1.300km de périple

A travers l'Anatolie, l'Express des fĂȘtards

  • PubliĂ© le 21 janvier 2022 Ă  11:12
  • ActualisĂ© le 21 janvier 2022 Ă  11:26
L'Express de l'Est traverse un paysage enneigé prÚs d'Ilic, en Turquie, le 6 janvier 2022

Sur le quai de la gare d'Ankara, l'heure est aux selfies devant les wagons rouges et blancs. A bord, Yoruk a déjà accroché les guirlandes, étalé sa nappe rouge et sorti les bouteilles. Le Turistik Dogu Ekspresi, l'Express de l'Est, qui file dans une ambiance de colonie de vacances à travers les plateaux enneigés de l'Anatolie en longeant les premiers méandres de l'Euphrate, est le plus convoité et le plus festif des trains de Turquie.

Sur 1.300 km et de nombreux dĂ©tours pour contourner les tourments de la gĂ©ographie, il relie deux fois par semaine en 32 heures (au mieux) la capitale Ankara Ă  Kars, grande ville du nord-est proche des frontiĂšres gĂ©orgienne et armĂ©nienne. Obtenir des billets relĂšve de la chance tant ils sont pris d'assaut. Aussi, chacun se sent privilĂ©giĂ© d'ĂȘtre lĂ : neuf wagons et 180 couchettes - deux par compartiment - ne suffisent pas Ă  satisfaire les demandes, surtout aprĂšs sa suspension en 2020 Ă  cause de la pandĂ©mie, moins d'un an aprĂšs le lancement du train.

PhotogĂ©nique, avec ses apparitions oniriques dans les vallĂ©es enneigĂ©es, l'Ekspres doit beaucoup aux rĂ©seaux sociaux, surtout Instagram. "La ligne Ankara-Kars compte parmi les quatre plus belles lignes ferroviaires du monde, selon les Ă©crivains de voyage", affirme Ă  l'AFP Hasan PezĂŒk, directeur de la SociĂ©tĂ© des chemins de fer turc, TCDD.

"C'est moi qui voulais ce voyage! mais les places partent trĂšs vite... Pour ma famille et moi c'est vraiment un moment trĂšs spĂ©cial", assure Zulan-Nour Komurcu, une brunette de 26 ans qui fĂȘte son anniversaire Ă  bord avec sa famille. "C'est mon cadeau", sourit la jeune femme qui a accrochĂ© une couronne de sapin Ă  la porte et une guirlande de loupiotes mauves dans la cabine, sorti les biscuits et la thĂ©iĂšre en porcelaine disposĂ©e sur une nappe brodĂ©e.

- Trois mois de neige -

Le périple est d'autant plus recherché que le train ne circule qu'entre le 30 décembre et la fin mars pour profiter de la neige, comme un mini-transsibérien - auquel il fait immanquablement penser -, précise Fatih Yalcin, l'ingénieur technicien du train. "Il y a toujours quelque chose à régler", lùche-t-il, le nez dans une armoire électrique. "La semaine derniÚre il faisait -24°... l'eau gelait. Parfois ça descend à -40°". "J'interviens quand il le faut et sans déranger les passagers. Les voir monter et descendre heureux, pour moi c'est un vrai plaisir".

Au wagon restaurant, le service s'effectue tout le long du voyage sur des nappes blanches et sous une boule à facettes façon boßte de nuit. C'est là qu'Ilhemur Irmak et ses copines retraitées se retrouvent pour prendre un thé alors que le ciel s'embrase. Les 40 femmes viennent de Bursa, sur la mer de Marmara (ouest). "On est surtout en retraite de nos maris et de nos pÚres!", lance Ilhemur, déclenchant l'hilarité.

Comme la plupart des passagers, elles ont embarquĂ© avec leurs provisions: pour certains, un vĂ©ritable buffet de spĂ©cialitĂ©s et de douceurs. Un autre train, plus direct et moins festif, dessert la mĂȘme ligne en une vingtaine d'heures, sans les Ă©tapes touristiques. Mais la joie n'est pas tant d'arriver que de voyager Ă  travers les dĂ©cors spectaculaires des provinces de Kayseri, Sivas, Erzincan et Erzurum. Et de faire la fĂȘte en profitant de la nuit.

- Nostalgie -

Yoruk Giris, avocat de 38 ans, s'est organisé avec deux amies pour tenir jusqu'à une heure avancée: en ambianceur patenté, il a sorti une guirlande lumineuse blanche, un bonhomme de neige en plùtre, des bougies et une enceinte portable qui diffuse du rock turc. Les whiskies sont sur la table avec quelques gourmandises et les biÚres, au frais.

"C'Ă©tait un vieux rĂȘve, il fallait en faire quelque chose de joyeux: on s'est beaucoup prĂ©parĂ©", confie-t-il tout sourire en chaloupant. En avançant dans la soirĂ©e, les groupes se retrouvent dans le couloir pour partager danses et musique. Parmi eux, deux couples quinquagĂ©naires, "amis depuis le lycĂ©e" prĂ©cisent-ils, entendent "passer de bons moments ensemble".

L'un d'eux, Ahmet Cavus, évoque sa "nostalgie": "on revit les voyages qu'on faisait, enfants, avec les grands-parents". Le train rassemble, en un condensé de la société turque, tous les ùges, tous les styles, des plus débridés aux plus réservés. L'alcool ici, les priÚres deux compartiments plus loin.

Malgré une premiÚre nuit et une journée entiÚre passée dans le train, l'ambiance ne retombe pas. A Erzurum, ultime halte à 1.945 m d'altitude, plusieurs dizaines de passagers entament une danse traditionnelle sur le quai glacé, bercée par la radio grésillante du vendeur de thé. Le thermomÚtre de la gare affiche -11°: rien de décourageant. Résigné, le chef du train diffÚre en souriant le départ pour Kars en agitant sa torche en rythme.

AFP

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