La Caisse des dépôts (CDC) serait-elle "vieille, riche et conne" ? Deux journalistes révèlent dans un livre arrangements et inimitiés entre dirigeants de l'institution bicentenaire et le pouvoir exécutif, qui nuiraient à sa mission d'intérêt général.
Fil rouge de "La Caisse" de Sophie Coignard et Romain Gubert, journalistes de l'hebdomadaire Le Point: la difficile équation à laquelle est confrontée la CDC, bras armé financier de l'Etat tout en étant statutairement indépendant du pouvoir exécutif.
Soumise au contrôle du Parlement, la CDC, qui gère plus de 60% des encours du Livret A et la retraite d'un Français sur cinq, est aussi financièrement autonome.
Le problème est que "tout le monde sait qu'elle répond toujours présent", soulignent les auteurs, selon lesquels la Caisse a régulièrement assumé des financements, voire des pertes, en lieu et place du Trésor, de collectivités ou du secteur privé.
Les pressions du politique sur l'institution publique financière sont largement contées. A l'instar du dossier de financement de la Cité du Cinéma, projet d'Hollywood à la française de Luc Besson, qui a fini par aboutir malgré un refus initial de la Caisse, à force de "harceler la direction générale jusqu'à ce que l'on change d'avis", explique Sophie Coignard à l'AFP.
Ou encore la maison de disques Naïve, dont la CDC était actionnaire depuis 2000, qui a bénéficié d'investissements en "montée progressive sur les années 2009 et 2010" pour un montant total de 4,8 millions d'euros, a précisé la CDC à l'AFP. A l'époque, le label comptait parmi ses artistes phares Carla Bruni.
- "La Caisse des copains" -
L'ouvrage dévoile aussi les rapports de responsables de la CDC et de ses filiales avec le pouvoir exécutif, la plupart d'entre eux ayant fréquenté les mêmes grandes écoles françaises, l'ENA en tête.
D'où le surnom de "Caisse des copains", selon les auteurs, qui énumèrent les camarades énarques de la promotion Voltaire de François Hollande ayant intégré la CDC.
Parmi eux, l'ancien secrétaire d'Etat aux Affaires européennes de Nicolas Sarkozy, Jean-Pierre Jouyet, qui dirige l'institution de 2012 à 2014 - pour se "décontaminer de ses miasmes de droite", selon les auteurs - avant de rejoindre l'équipe de François Hollande à Elysée, et Pierre-René Lemas, qui a fait le chemin inverse en 2014.
- Actions attribuées gratuitement -
Sont aussi décrites des dérives de gouvernance et budgétaires, comme la mise en place en 2007 d'un Plan d'attribution gratuite d'actions par Jérôme Gallot, magistrat détaché de la Cour des comptes, alors à la tête de la filiale CDC Entreprises.
Grâce à ce plan, clôturé en 2013 lors du transfert de la filiale auprès de la banque publique d'investissement Bpifrance, 59 salariés ont pu empocher 15,2 millions d'euros entre 2010 et 2013.
Cet intéressement a été ensuite réintégré à la rémunération fixe des salariés, Bpifrance expliquant à l'AFP que la législation du travail interdit d'abaisser les salaires. Ce bénéfice a toutefois été réduit.
Au grand dam de la Cour des comptes, qui a critiqué le fait dans deux rapports en 2015 et 2016. "Le magistrat de la Cour concerné (...) a fait l'objet d'une sanction disciplinaire" et son cas est actuellement instruit par la Cour de discipline budgétaire et financière, a précisé la Cour à l'AFP.
"On ne dénonce pas la Caisse en tant que telle, c'est un outil légitime pour l'économie, mais il faut de la transparence, les comportements doivent être vertueux quand on appartient à une institution qui sert l'intérêt général", estime Romain Gubert.
"Ce livre comporte de nombreuses inexactitudes et confusions qui portent préjudice à (notre) image", considère toutefois la CDC, sollicitée par l'AFP.
Parmi les éléments que conteste la Caisse figurent notamment le coût de l'entretien du jardin de son bâtiment principal, l'hôtel de Pomereu (10 fois moins élevé, selon la CDC, que ce qu'avancent les auteurs de l'enquête) ou encore le niveau du salaire moyen au sein de l'institution (4.480 euros au lieu des 5.000 indiqués par les auteurs).
Par Deborah COLE - © 2017 AFP