Des Américains qui surenchérissent sur des acheteurs français sur le tarmac d'un aéroport chinois, des Français ou des TchÚques qui saisissent des cartons à destination d'autres pays.... La compétition pour l'achat de masques contre le virus est sans pitié.
Pris au dĂ©pourvu par la pandĂ©mie, incapables de les produire eux-mĂȘmes en nombre suffisant, les pays, notamment occidentaux, cherchent des milliards de masques, principalement en Asie: une situation qui conduit Ă faire fi des rĂšgles et du fair-play censĂ©s prĂ©valoir dans les Ă©changes Ă©conomiques mondiaux.
Ainsi, des masques commandés en Chine par la France auraient été rachetés par des acquéreurs américains non identifiés sur le tarmac des aéroports chinois, selon des présidents de région françaises qui ont eu à souffrir de ces procédés. "Il y a un pays étranger qui a payé trois fois le prix de la cargaison sur le tarmac", a dénoncé le président de la région Provence-Alpes-CÎte d'Azur, Renaud Muselier.
"Nous nous sommes fait prendre un chargement par des AmĂ©ricains qui ont surenchĂ©ri sur un chargement que nous avions identifiĂ©", a assurĂ© ValĂ©rie PĂ©cresse, la prĂ©sidente de la rĂ©gion Ile-de-France. Le gouvernement amĂ©ricain a dĂ©menti, mais ces acquĂ©reurs pourraient ĂȘtre des acteurs privĂ©s ou des Ătats fĂ©dĂ©rĂ©s. Le gouvernement français assure sĂ©curiser ses approvisionnements et ne pas avoir "de prĂ©cisions" sur l'Ă©ventuelle surenchĂšre amĂ©ricaine.
- "Effrayante concurrence globale" -
Le phĂ©nomĂšne est mondial. Le Premier ministre canadien Justin Trudeau s'est dit jeudi "trĂšs inquiet" et a demandĂ© une enquĂȘte aprĂšs des informations de Radio Canada selon lesquelles une cargaison de masques achetĂ©e en Chine pour le QuĂ©bec aurait Ă©tĂ© livrĂ©e en plus faible quantitĂ© que prĂ©vu aprĂšs qu'une partie eut Ă©tĂ© revendue "au plus offrant", Ă savoir les Ătats-Unis.
"Les marchĂ©s d'approvisionnement pour le Covid 19 sont en train de s'effondrer", a estimĂ© jeudi lors d'une visio-confĂ©rence le professeur Christopher R. Yukins de l'UniversitĂ© de Washington, et "concurrence et transparence" en font les frais. "Il y a une tension extrĂȘme sur ces marchandises face Ă des besoins immĂ©diats des Ătats qui tardent Ă ĂȘtre comblĂ©s", explique BollotĂ© Logistics, un important logisticien français prĂ©sent en Chine.
"Les Ătats sont en situation de compĂ©tition les uns envers les autres, voire de rivalitĂ©. C'est ce que la philosophie politique nomme l'+Ă©tat de nature+", rappelle le chercheur Jean-Sylvestre Mongrenier de l'institut franco-belge Thomas More, une "insĂ©curitĂ© endĂ©mique entre les nations voire, en cas de dĂ©sagrĂ©gation de l'ordre public international, un Ă©tat d'anarchie".
Pour autant, "le surenchérissement sur une livraison de masques relÚve plutÎt de la compétition pour l'accÚs aux ressources : c'est désagréable mais ce n'est pas le déchaßnement des hostilités", estime-t-il.
Le député ukrainien Andriï Motovylovets, qui s'est rendu en Chine en mars pour accompagner une cargaison médicale, a raconté sur son compte Facebook avoir été témoin d'une concurrence "effrayante pour l'équipement médical. Nos consuls qui se rendent dans des usines (chinoises, ndlr) y rencontrent leurs confrÚres d'autres pays (Russie, USA, France) qui veulent récupérer nos commandes. Nous avons payé nos commandes préalablement par virement et avons des contrats signés. Eux, ils ont davantage d'argent, et des espÚces. Nous nous battons pour chaque cargaison".
Sur les aĂ©roports chinois, autour des usines et des plateformes logistiques, "la tension est Ă©norme lĂ -bas. Les escrocs sont multiples et variĂ©s", a dĂ©noncĂ© M. Muselier. En Chine, peu de producteurs disposent de licences d'exportation. Les autres sont obligĂ©s de passer par des sociĂ©tĂ©s de nĂ©goce s'ils veulent pouvoir exporter. D'oĂč l'existence de nombreux intermĂ©diaires.
Partout dans le monde, de multiples intervenants, Ătats, rĂ©gions, acteurs privĂ©s, intermĂ©diaires, se court-circuitent pour mettre la main sur ces matĂ©riaux si prĂ©cieux, pour lesquels les services secrets peuvent ĂȘtre employĂ©s. Ainsi, selon Le Figaro (quotidien français), le Mossad israĂ©lien a menĂ© courant mars une opĂ©ration clandestine pour rĂ©cupĂ©rer des kits de dĂ©tection du virus dans un pays inconnu.
"L'heure est à la négociation directe, aux marchés de gré à gré, instruments utiles dans les situations d'urgence sanitaire, mais qui s'accompagnent souvent d'un cortÚge prévisible de favoritisme, malversations, et surfacturations", estime dans une tribune au journal Le Monde Laurence Folliot Lalliot, professeure de droit public.
"Depuis le dĂ©but de la crise, nous avons renforcĂ© les mesures de sĂ©curitĂ© et de surveillance, proposant mĂȘme Ă nos clients d?effectuer des livraisons Ă l?arrivĂ©e sous escorte", dĂ©taille BollotĂ© Logistics.
- Mallette de cash -
Et dans ce contexte le paiement en liquide fait des miracles. "Les AmĂ©ricains paient cash et sans voir (la cargaison, ndlr), forcĂ©ment ça peut ĂȘtre plus attractif pour certains qui cherchent juste Ă faire du business avec la dĂ©tresse du monde entier", estime Mme PĂ©cresse.
L'ancien Premier ministre slovaque Peter Pellegrini a dĂ©clarĂ© Ă la tĂ©lĂ©vision TA3 le 15 mars que son pays avait rĂ©servĂ© des millions de masques en Ukraine, qui devaient ĂȘtre payĂ©s comptant. "Nous Ă©tions en train de prĂ©parer une mallette avec 1,2 million d'euros. Nous devions utiliser un vol gouvernemental spĂ©cial pour aller rĂ©cupĂ©rer les masques. Mais un intermĂ©diaire allemand est arrivĂ© avant, a surenchĂ©ri et l'a achetĂ©".
Ces accrocs surviennent parfois Ă l'intĂ©rieur mĂȘme de l'Union europĂ©enne oĂč plusieurs membres ont interdit l'exportation de matĂ©riel mĂ©dical ou dĂ©cidĂ© des rĂ©quisitions, comme la France.
D'aprÚs une information de l'Express, la France a saisi le 5 mars dernier sur son territoire des masques appartenant à la société suédoise Mölnlycke, qui étaient destinés à l'Espagne et l'Italie.
La RĂ©publique TchĂšque a Ă©galement saisi des masques dont une partie devait ĂȘtre livrĂ©e en Italie. Les autoritĂ©s de Prague ont affirmĂ© que la saisie avait Ă©tĂ© dĂ©cidĂ©e "sur la base d'un soupçon de comportement frauduleux et activitĂ©s criminelles", mais se sont engagĂ©es Ă envoyer en Italie "dans les meilleurs dĂ©lais l'Ă©quivalent du matĂ©riel", selon l'ambassade tchĂšque Ă Paris.
Pour le groupe Mölnlycke, "il est de plus en plus difficile de revenir Ă des conditions de distribution et de production de dispositifs mĂ©dicaux efficaces en Europe, ce qui nous semble urgent". "La SuĂšde a alertĂ© la Commission europĂ©enne de la situation", a dĂ©clarĂ© vendredi Ă l'AFP le ministĂšre suĂ©dois des Affaires Ă©trangĂšres, jugeant que "toutes les restrictions Ă l'exportation au sein de l'UE devraient ĂȘtre levĂ©es".
AFP



