Alors que la Formule 1 a encore flambé dimanche à Monaco, la note très salée et le parfum de scandale hérités des derniers Grands Prix français sur le circuit varois voisin du Castellet n’ont pas fini d’empoisonner la région, sur fond de rivalités politiques locales.
Le parquet de Marseille a ouvert en 2023 une enquête judiciaire pour favoritisme et détournement de fonds et la chambre régionale des comptes (CRC) doit rendre dans les prochaines semaines un rapport qui s’annonce très critique, pendant que les collectivités concernées se déchirent sur la répartition des près de 35 millions d’euros de dette.
Sortie du calendrier de la F1 en 2008, victime de la concurrence de marchés plus porteurs pour la Fédération internationale de l’automobile (Golfe, Asie, Etats-Unis...), la France y a refait une apparition entre 2018 et 2022, laissant une lourde ardoise pour les collectivités alors engagées au sein du Groupement d’intérêt public (GIP) en charge du Grand Prix: région, département du Var, métropoles de Toulon et de Nice...
Pour rassurer les hésitants lors du lancement du projet, la région s’était engagée à prendre en charge un éventuel déficit du GIP.
Mais elle est revenue sur sa promesse, et pendant plusieurs années, "il n’y a eu aucune alerte" sur l’état des comptes, raconte le président du département du Var, Jean-Louis Masson (LR).
Aujourd’hui, la dette à éponger représente plus de la moitié de ce que les collectivités ont déjà versé en subventions pendant cinq ans.
Pour M. Masson, c’est dû en partie au choix de confier la direction du GIP à des spécialistes de F1 plutôt qu’à un as de la gestion administrative.
Un audit réalisé par le cabinet Fidal en 2023, que l’AFP a pu consulter, pointe de son côté la rémunération très importante de certains responsables aux missions trop floues ou des irrégularités dans l’attribution de marchés de plusieurs millions d’euros.
Le premier bénéficiaire de ces marchés contestés est le cabinet d’avocats CPC, dirigé par un proche de Christian Estrosi (Horizons), le maire de Nice, qui concentre beaucoup de critiques: c’est cet ancien champion de moto qui a poussé pour faire revenir la F1, il présidait la région Paca lors de la promesse de garantir la dette et préside le GIP depuis sa création.
- Réveillon à Courchevel -
"Ça a été un gouffre complet (...) je ne vois pas comment il (M. Estrosi) peut s’en sortir", accuse Jean-Christophe Picard, conseiller municipal écologiste de Nice, parmi les premiers à alerter la justice.
En 2024, la députée UDR Christelle D’Intorni a pris le relais, obtenant des détails des comptes du GIP, où elle a repéré des dépenses suspectes: plus de 10.000 euros de stylos Montblanc, 40.000 euros de stages de pilotage, des dizaines de milliers d’euros dans des hôtels alpins de luxe, dont un réveillon à Courchevel...
Le GIP explique qu’il s’agissait de prestations offertes dans le cadre d’un "Business club", dont les adhésions ont représenté une source de revenus. Mais refuse de fournir les factures à Mme D’Intorni: "Tout est fait pour cacher les bénéficiaires de ces dépenses somptuaires. C’est irresponsable. M. Estrosi dépense, le contribuable paie", s’insurge cette proche d’Eric Ciotti, ennemi juré du maire de Nice.
Dans ce contexte, les avances réclamées par le liquidateur, Bernard de Froment, ont provoqué ces derniers mois de nouvelles tensions, illustrées par une conférence de presse furieuse début mai de Jean-Paul Joseph, président de l’agglomération varoise Sud-Sainte-Baume, engagée à hauteur de 2,2%.
M. de Froment attend encore la validation des comptes de 2023 et 2024 pour trancher "avant la fin de l’année" sur la répartition. Mais il ne doute pas qu’il y aura des recours.
"On est d’accord pour payer les factures qui sont irréprochables", prévient M. Masson.
Interrogé par l’AFP, Christian Estrosi explique qu’il ne peut légalement s’exprimer avant la publication du rapport définitif de la CRC, mais ne semble pas découragé par l’expérience.
"Des millions de français rêvent de voir le pays fondateur de l’automobile dans le monde accueillir de nouveau un Grand Prix", insiste-t-il. Et pourquoi pas sur le circuit du Castellet, "le site qui s’y prête le mieux".
AFP