Détox de plastique

Istanbul en bouteille? La Turquie veut valoriser ses déchets

  • PubliĂ© le 9 dĂ©cembre 2018 Ă  11:20
  • ActualisĂ© le 9 dĂ©cembre 2018 Ă  11:47
Un enfant turc et sa mÚre recyclent des bouteilles en plastique pour créditer leur carte de transport à Istanbul, le 9 novembre 2018

Debout devant un distributeur dans la station de mĂ©tro Sishane Ă  Istanbul, TĂŒlay Gerçek s'apprĂȘte Ă  recharger sa carte de transport. ScĂšne banale, Ă  un dĂ©tail prĂšs: au lieu de billets de banque, elle insĂšre des bouteilles en plastique dans la machine. Chaque bouteille en plastique ou canette placĂ©e dans cette machine - un projet de la municipalitĂ© d'Istanbul pour favoriser le recyclage - rapporte Ă  Mme Gerçek quelques centimes de crĂ©dit sur sa carte de transport.

"Tous les jours, j'en emporte avec moi. Avant, je les jetais à la poubelle", glisse Mme Gerçek en plongeant la main dans son cabas rempli de bouteilles vides. "C'est vraiment une trÚs bonne initiative. Ce serait bien qu'il y en ait plus!"

Ces machines ont pour l'instant été déployées dans trois stations de métro de la capitale économique de Turquie, mais la mairie espÚre en installer d'autres bientÎt.
Dans un pays oĂč la gestion des dĂ©chets laisse Ă  dĂ©sirer et oĂč les dĂ©fenseurs de l'environnement tirent la sonnette d'alarme depuis des annĂ©es, les autoritĂ©s prennent de plus en plus conscience de l'urgence Ă  changer les mauvaises habitudes et s'efforcent dĂ©sormais de sensibiliser la population au recyclage.

Mais la tùche est immense: avec un score de 52,96 pour l'année 2018, la Turquie pointe à la 108e place sur 180 dans l'Index de performance environnementale (EPI), créé par les universités américaines de Yale et Columbia.

440 sacs plastiques par an

Selon Oya GĂŒzel, de la fondation turque Occupe-toi de tes dĂ©chets (CopĂŒne Sahip Cik), seulement 11% des 31 millions de tonnes de dĂ©chets que la Turquie produit chaque annĂ©e sont recyclĂ©s.
"Nous polluons les sols et l'environnement avec du plastique, des métaux et du verre qui restent dans la nature pendant des années (...) Nous utilisons un sac en plastique pendant 12 minutes en moyenne. AprÚs 12 minutes, il devient un déchet", déplore-t-elle auprÚs de l'AFP.
"Notre objectif est d'atteindre un taux de recyclage de 35% d'ici cinq ans. Ce n'est pas beaucoup, mais nous sommes convaincus que nous pouvons faire des progrĂšs" dans ce laps de temps, ajoute-t-elle.
En Turquie, les questions environnementales ne sont pas centrales dans le débat public et occupent une place négligeable lors des élections.
Malgré tout, le Parti de la justice et du développement (AKP) du président Recep Tayyip Erdogan, souvent associé aux méga-projets d'infrastructures peu soucieux de l'environnement, semble s'emparer de la question.
Le ministre turc de l'Environnement, Murat Kurum, a ainsi annoncĂ© en novembre que les sacs plastiques deviendraient payants Ă  partir de janvier 2019, une mesure dĂ©jĂ  en vigueur dans plusieurs pays europĂ©ens. Ce sera une rĂ©volution dans un pays oĂč ils sont omniprĂ©sents.
Chaque Turc utilise en moyenne 440 sacs plastiques par an, a indiqué M. Kurum, ajoutant que l'objectif était de diviser ce nombre par 10 d'ici 2025.

L'épouse du président turc, Emine Erdogan, a elle aussi apporté son soutien à la cause du recyclage en Turquie: le personnel du palais présidentiel a été formé pour trier les déchets, a-t-elle annoncé lors d'un sommet consacré à cette question en novembre. "Nous n'avons pas vu de camion à ordures depuis bien longtemps au palais présidentiel", a-t-elle souligné.
Mais il faudra du temps pour que le tri devienne un rĂ©flexe dans un pays oĂč les habitants dĂ©posent souvent pĂȘle-mĂȘle leurs dĂ©chets sur un coin de trottoir.

Les déchets, une manne

Dans un centre de tri prĂšs d'Istanbul, des employĂ©s rĂ©cupĂšrent ce qui peut encore servir: les dĂ©chets organiques sont mis de cĂŽtĂ© pour ĂȘtre transformĂ©s en un fertilisant qui sera utilisĂ© dans les jardins publics. Le verre, le plastique et les mĂ©taux seront recyclĂ©s.
Ce travail de tri serait toutefois plus efficace si les particuliers triaient les dĂ©chets avant de les jeter, souligne Ibrahim Halil TĂŒrkeri, responsable du recyclage Ă  la mairie d'Istanbul.
"Des déchets plus propres seraient traités par nos centres et ils feraient des matériaux recyclés de meilleure qualité", souligne-t-il. "Les particuliers ont une grande responsabilité."

Et le jeu en vaut la chandelle, tant le potentiel de ces déchets est énorme, relÚve Ahmet Hamdi Zembil, ingénieur à l'ISTAC, une entreprise de gestion des déchets à Istanbul qui produit de l'électricité à partir du gaz produit par les déchets organiques brûlés.
"Nous avons traité sept millions de tonnes de déchets l'an dernier et produit 400 millions de kWh d'électricité", dit-il.
Mais là encore, cela n'est possible que si les déchets organiques sont séparés des déchets synthétiques, une tùche qui serait simplifiée par le tri.
De retour dans la station de métro Sishane, Mme Gerçek pousse un soupir en voyant qu'une bouteille en plastique ne lui a rapporté que trois centimes de livre turque de crédit sur sa carte de transport.

Pour atteindre les 2,6 livres turques que lui coĂ»te un trajet, il lui faudrait donc insĂ©rer encore 86 bouteilles. "Bon... c'est quand mĂȘme un dĂ©but", relativise-t-elle. "Je pense que le systĂšme va s'amĂ©liorer".

AFP

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