Environnement

Le "no man's land" de Chypre, un havre pour la faune et la flore

  • PubliĂ© le 2 fĂ©vrier 2022 Ă  12:41
  • ActualisĂ© le 2 fĂ©vrier 2022 Ă  16:23
Des mouflons dans la zone tampon séparant les deux parties de Chypre, le 13 février 2019 prÚs du village de Variseia

Si la zone tampon à Chypre, appelée aussi "no man's land", est le symbole tragique d'années de division, elle offre cependant un environnement exceptionnel pour la flore et la faune, à l'image du mouflon, une espÚce endémique et emblématique de l'ßle méditerranéenne. (Photo : AFP)

"En l'absence d'influence humaine, la faune et la flore se sont développées", explique le botaniste chypriote-turc Salih Gucel, dans le village abandonné de Variseia, à quelque 55 km à l'ouest de la capitale Nicosie.

"C'est comme faire un voyage dans le passé en observant ce que nos grands-parents auraient vu il y a 100 ans", poursuit-il, en regardant une orchidée qui a poussé sur les ruines d'une maison de la zone tampon.

Depuis l'invasion du nord de Chypre par l'armĂ©e turque en 1974 en rĂ©action Ă  un coup d'Etat de nationalistes chypriotes-grecs qui souhaitaient rattacher l’üle Ă  la GrĂšce, Chypre est partagĂ©e en deux.

- No man's land -

La partie nord, autoproclamée République turque de Chypre-Nord (RTCN) en 1983, n'est reconnue que par Ankara tandis que le gouvernement chypriote n'exerce son autorité que sur la partie sud.

La zone tampon divise Chypre d'est en ouest sur 180 km et peut atteindre jusqu'à 8 km de largeur, selon la Force des Nations unies chargée du maintien de la paix à Chypre (Unficyp).

Seuls quelques fermiers dotés d'autorisations, et surtout les Casques bleus de l'Unficyp qui surveillent ce no man's land, guettant notamment contrebandiers ou des migrants qui tenteraient de la traverser, peuvent pénétrer dans cette "zone morte".

Zone pourtant bien vivante pour de nombreuses espĂšces rares de plantes et d'animaux pour lesquelles elle est devenue un "havre", note l'ornithologue chypriote-grecque Iris Charalambidou.

"C'est un secteur oĂč les espĂšces peuvent fuir l'intense activitĂ© humaine", ajoute-t-elle, notant que la rĂ©gion de Variseia accueille Ă  elle seule entre 200 et 300 mouflons --un ruminant sauvage proche du bouquetin--, sur une population de quelque 3.000 sur l'Ăźle.

"Ce sont des zones oĂč la biodiversitĂ© se dĂ©veloppe", indique-t-elle. "Des espĂšces, quand elles deviennent trop nombreuses, se propagent dans d'autres secteurs."

A travers le feuillage d'oliviers, un couple de mouflons observe avec méfiance les intrus --l'équipe de l'AFP et des experts en faune, accompagnés de Casques bleus argentins--, avant de s'éloigner lorsqu'ils tentent d'approcher.

Considéré comme un symbole national, le mouflon était autrefois chassé et en voie d'extinction au XXe siÚcle. Certaines espÚces d'orchidées ou encore de rares reptiles ou des mammifÚres restent en danger, comme le rat épineux, note Mme Charalambidou, de l'université de Nicosie.

"Quand l'activité humaine n'est pas trop forte dans certaines zones, vous pouvez voir la nature reprendre le dessus", explique-t-elle.
Cette zone a de fait échappé au développement immobilier effréné qui a ravagé ailleurs l'habitat de nombreuses espÚces, sur une ßle connue pour la richesse de sa biodiversité.

- "Travailler ensemble" -

Si les dirigeants respectifs des deux parties de l'ßle s'opposent sur la façon de résoudre le "problÚme" chypriote, Mme Charalambidou et M. Gucel, directeur de l'Institut des sciences de l'environnement à la Near East University, en RTCN, collaborent au sein d'un projet soutenu par l'ONU chargé d'identifier les "hauts lieux de la biodiversité" dans la zone tampon.

"La situation politique de l'Ăźle demeure trĂšs difficile (...) mais beaucoup de travail pour la rĂ©conciliation peut ĂȘtre encore fait sur le terrain", explique Aleem Siddique, porte-parole de l'Unficyp.

"L'un des buts de notre projet était de faire travailler ensemble des gens des deux communautés qui s'intéressent à l'environnement", raconte M. Gucel.

PrÚs d'un demi-siÚcle aprÚs la division de l'ßle, les communautés chypriote-grecque et chypriote-turque semblent mener leur vie chacune de leur cÎté, avec trÚs peu de contacts.

"Plus on peut faire travailler les deux communautés ensemble, plus on peut les faire s'entendre sur des sujets en commun, et cela ne bénéficiera pas seulement à l'environnement mais aussi au processus de paix", veut croire M. Siddique.

"Nous avons un but commun et des intĂ©rĂȘts communs", abonde Mme Charalambidou, regardant des fleurs jaunes qui se sont frayĂ© un chemin Ă  travers des fils barbelĂ©s. "Cela unit les gens."

AFP

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