Grand rassemblement de voiliers

Le Shtandart, le navire "dissident" russe de l'Armada de Rouen

  • Publié le 18 juin 2023 à 07:17
  • Actualisé le 18 juin 2023 à 07:32

"Je me sens comme le général De Gaulle qui avait conservé le drapeau français à Londres", lance Vladimir Martus, le capitaine du Shtandart, seul navire russe de l’Armada de Rouen, grand rassemblement français de voiliers, qui présente le trois mâts comme "dissident".

M. Martus, poignée de main ferme et regard bleu, navigue depuis plus de quarante ans, dont vingt-trois sur le "Shtandart", propulsé par 660 mètres carrés de voilures, réplique d'un yacht royal de Pierre Le Grand.

Avec son air de bateau pirate, ses 34 mètres de long et sa peinture jaune, le voilier ne passe pas inaperçu, amarré aux quais de Rouen (nord-ouest de la France), plus clairsemés que lors de la précédente édition de l'Armada en 2019, en raison de l'absence de tout autre navire russe.

Ce rassemblement international de voiliers, qui compte parmi les importants au monde, s'achève ce dimanche.

Enfant de Saint-Pétersbourg, c'est dans les archives de sa ville natale que Vladimir Martus trouve en 1982 une représentation "du plus beau bateau du monde".

C'est le Shtandart ("étendard" en russe), yacht du tsar russe Pierre Le Grand, qui a fondé la ville en 1703 et fait construire le bateau par la même occasion.

Un personnage très important pour M. Martus: "c'est mon héros, il a travaillé dur pour sortir la Russie du Moyen-Age et développer des liens avec l'Europe par le commerce, la communication, une sacrée différence avec nos dirigeants actuels".

Le capitaine n'est pas tendre avec le régime de Vladimir Poutine: "il n'y a plus de justice en Russie, si vous critiquez le président vous pouvez aller en prison, quand je suis parti en 2009 le régime s’apprêtait à jeter la démocratie par dessus bord. Aujourd'hui, elle n'existe plus".

Pour autant il n'a pas renoncé à battre pavillon russe.

Un drapeau polémique: absent sur le site internet officiel de l'Armada qui qualifie le navire de "dissident", le drapeau n'est pas sorti à quai et l'organisation avait refusé de transmettre les coordonnées du capitaine à la presse.

"Le drapeau russe représente tous les Russes et ils sont nombreux à être en désaccord" avec le conflit, assure-t-il. "L'amitié entre les peuples et la communication, voilà comment on peut aller de l'avant. Sans entraide, on n'y arrive pas, comme sur un voilier".

- "Pirates indépendants" -

L'équipage du Shtandart comprend neuf nationalités: France, Belgique, Canada, République Tchèque... Mais aussi la Russie et l'Ukraine, ensemble dans le même bateau pour faire avancer un magnifique voilier.

A bord également une Moldave russophone, Sacha Pocitarenko, architecte paysagiste de 29 ans, enrôlée il y a une semaine comme bénévole, dont "la vie est désormais en mer" et qui estime que si "la France ne peut pas être résumée à Emmanuel Macron, c'est pareil en Russie".

"Je n'arrive pas à prendre position contre un peuple quand les familles se déchirent", soupire-t-elle.

L'aventure du Shtandart a été imaginée dans les années 80, avant un chantier de six ans jusqu'au lancement du navire en 1999.

Idyllique jusqu'en 2007, l'histoire dérape quand le capitaine Martus inscrit le Shtandart dans des programmes culturels d'Etat.

Refusant la corruption, attaqué en justice, menacé, il comprend alors qu'il n'y a "pas de futur" pour lui en Russie, et met les voiles.

Il ne reviendra jamais... Trop dangereux, selon lui.

Depuis 14 ans, le marin vit en fuite avec ses matelots, en mer en été et dans un port différent chaque hiver, en Norvège, Allemagne, Italie, Grèce, Royaume-Uni, Espagne ou en France comme à La Rochelle cette année, un port "très accueillant".

Mais la guerre en Ukraine a considérablement compliqué la situation, pour cause de sanctions ou d'amalgame.

Venir à l'Armada était pour M. Martus "un symbole très spécial, plusieurs festival ont refusé notre venue depuis le début de +l'opération militaire spéciale+ en Ukraine, c'est douloureux et injuste".

"Aujourd'hui nous sommes des pirates indépendants et libres dans les eaux européennes" sourit-il, malicieux. "Et un jour viendra où nous retournerons en Russie".

AFP

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