Il est 20h15, les applaudissements aux fenĂȘtres en hommage aux soignants ont cessĂ©.
Les Parisiens sont retournés à leurs intérieurs et à leurs occupations de confinement. Alors, dans les rues, un Paris tantÎt inquiétant, désolant ou sublime, s'éveille. La place Stalingrad, à l'est de Paris, n'a jamais autant mérité son surnom de "Stalincrack".
Malgré le confinement, nombreux sont les dealers et toxicomanes regroupés autour des points de deal à deux pas de campements de fortune de migrants en errance ou de SDF qui n'ont que la rue pour gßte. Pour traverser la zone, Amirouche, agent de sécurité à la RATP, tient plus court la laisse de son chien d'attaque. "C'est catastrophique, maintenant ils commencent à consommer dÚs 5h00 du matin, aprÚs c'est des zombies pour le reste de la journée, et les embrouilles à n'en plus finir à gérer pour nous dans le métro et les stations. Pour eux, il n'y a pas de confinement, c'est comme si de rien était", explique l'agent à l'AFP.
Poussés à bout par le manque de nourriture ou le sevrage forcé, les utilisateurs de la "salle de shoot" installée dans l'hÎpital LariboisiÚre, au nord de Paris, sont devenus plus agressifs avec les rares passants. L'hÎpital a recruté en urgence il y a deux semaines, des agents de protection rapprochée pour escorter ses soignants, en journée, comme le soir.
"Gare du Nord, ok je prends", lùche dans son talkie walkie, l'un des six agents recrutés à la hùte par l'hÎpital, avant d'accompagner deux infirmiÚres jusqu'à l'entrée du métro.
- Pour 10 euros de recette -
Dans les rues de ces quartiers populaires, la peur de la maladie compte moins que la peur de tout perdre quand cette parenthÚse irréelle prendra fin. Boulevard BarbÚs, la sandwicherie de Stéphane est l'un des rares commerces à ouvrir dans ce secteur d'habitude bouillonnant de vie. Le gérant campe chaque soir de 18h à 23h sur sa chaise et regarde le déprimant boulevard vide.
"En ce moment je fais 20 Ă 30 euros par soir, c'est rien. Vous savez, j'ai un loyer et on parle de quelques milliers hein", dit StĂ©phane, qui se cache la bouche dans une Ă©charpe aprĂšs avoir, dit-il, perdu en un mois "plusieurs dents, Ă cause du stress". "Je prĂ©fĂšre venir, mĂȘme pour 10 euros de recette, histoire de pas rester enfermer toute la journĂ©e Ă la maison Ă stresser. Je suis lĂ , j'attends, on sait jamais, il peut se passer quelque chose, ça peut reprendre, non ?" dit un autre commerçant, Ibrahim, propriĂ©taire depuis 1998 d'une Ă©picerie de quartier, Ă Pigalle.
Ce quartier bien connu de la capitale est plongé dans le noir. Les ailes du cabaret le Moulin Rouge ont coupé les néons rouges. Au sommet de la butte Montmartre, la basilique du Sacré-Coeur, se détache dans un ciel remarquablement étoilé pour un ciel parisien. Sur le parvis, Camille, 28 ans, musique dans le casque et cigarette roulée à la main, contemple la vue panoramique sur la capitale.
"C'est une pĂ©riode un peu compliquĂ©e pour moi ce confinement. J'ai mon frĂšre qui a des problĂšmes et qui dort souvent chez moi, dans mon petit 16m2", confie l'Ă©ducatrice, qui s'accorde tous les soirs ce moment d'Ă©vasion. Les policiers arrivĂ©s sur les lieux feront finalement comme tout le monde: des photos de cette vision historique d'un Paris Ă l'arrĂȘt.
- Centre fantomatique -
"Du produit Ă lentilles aux tests de grossesse, on nous demande toujours de tout, Ă©pidĂ©mie ou pas", explique-t-on Ă la pharmacie de garde de la place Clichy. La place du nord-ouest de Paris est une premiĂšre poche de normalitĂ©. Outre la pharmacie, un tabac, et un snack qui fait des crĂȘpes salĂ©es et sucrĂ©es restent ouverts une partie de la nuit.
Ce sera le dernier point d'animation, avant de franchir une frontiÚre invisible qui fait basculer dans un autre Paris: le Paris des arrondissements "à un chiffre", peu résidentiels, donc entiÚrement fantomatiques. La place VendÎme, écrin des grands noms de la joaillerie française, n'a plus qu'à scintiller, les vitrines ont été vidées par précaution. Le Ritz, comme la trentaine de palaces parisiens, a aussi fermé. Au milieu de la place, des touffes d'herbes parfois fleuries, apparaissent désormais entre les pavés.
Sur les Champs-Elysées, les feux passent du vert au orange puis au rouge... mais dans le vide, puisque moins de cinq voiture y circulent à cette heure. La vue est ainsi entiÚrement dégagée entre la Concorde et l'Arc de Triomphe. Comme avant une arrivée de Tour de France, ou un 14 juillet, mais sans participants ni public.
Quant à la place de l'Etoile, connue pour sa circulation chaotique, aucun problÚme pour s'insérer dans la circulation: il n'y en a pas. Enfin, apparait depuis le Trocadero celle qui rythme les longues soirées de confinement, en balayant sa ville de son faisceau lumineux. A 1H00 pile, la Tour-Eiffel se met à scintiller, pour offrir cette vision de carte postale.
Mais aprÚs dix minutes de spectacle - sans spectateurs - elle s'éteint subitement. Et redevient une silhouette angoissante et immobile de plus dans ce Paris des ombres.
AFP





