Le Burkina Faso vote dimanche pour élire son président et ses députés dans un contexte politique et sécuritaire tendu, l'opposition redoutant des "fraudes massives" du camp du président Roch Kaboré, favori pour sa réélection, et menaçant de ne pas reconnaßtre les résultats.
Quelque 6,5 millions d'électeurs sont appelés aux urnes pour ce double scrutin, mais prÚs d'un cinquiÚme du pays ne pourra pas voter, faute d'une présence suffisante de l'Etat dans certaines zones du nord et de l'est en proie à des attaques jihadistes et à des violences intercommunautaires quasi quotidiennes.
Roch Marc Christian Kaboré, élu en 2015 et qui brigue un second mandat, fait face à 12 adversaires, dont Zéphirin Diabré, chef de file de l'opposition, et Eddie Komboïgo, candidat du parti de l'ex-président Blaise Compaoré, dont le régime tombé il y a six ans fait l'objet d'une nostalgie croissante. Considérés comme les deux outsiders les plus sérieux, Zéphirin Diabré et Eddie Komboïgo, ainsi que quatre autres candidats, ont fait monter la pression samedi en dénonçant des risques de fraude dans l'organisation du double scrutin.
"Il est clair qu'il y a une grande opération orchestrée par le pouvoir en place d'une fraude massive pour légitimer" une victoire au premier tour du président Kaboré, a déclaré M. Diabré, menaçant de ne "pas accepter des résultats entachés d'irrégularité".
L'opposant a jugé "inconcevable" qu'un parti puisse gagner "dÚs le premier tour". Le président du parti présidentiel Simon Compaoré a "réfuté" les "allégations de fraude annoncées par l'opposition pour préparer les esprits à la publication des résultats", affirmant ne pas avoir besoin "d'une quelconque fraude pour gagner les élections".
M. Kaboré est donné favori face à une opposition qui n'a pas réussi à s'unir, malgré un bilan trÚs critiqué sur le plan de la sécurité par ses détracteurs et les observateurs, qui le taxent d'immobilisme. Pays sahélien agricole et minier autrefois prisé des touristes et des ONG, le Burkina vit ses heures les plus sombres depuis l'indépendance de 1960, s'enfonçant depuis cinq ans dans une spirale de violences, à l'instar de ses voisins le Mali et le Niger.
- L'élection la plus ouverte -
Les attaques des groupes jihadistes --certains affiliĂ©s Ă Al-QaĂŻda, d'autres Ă l'organisation Etat islamique--, parfois entremĂȘlĂ©es de violences intercommunautaires, et la rĂ©pression violente des forces de sĂ©curitĂ© ont fait au moins 1.200 morts (majoritairement des civils) et chassĂ© de leurs foyers un million de personnes, qui s'agglutinent dans les grandes villes aprĂšs avoir fui la violence. Aucune mesure spĂ©cifique n'a Ă©tĂ© prise pour que ces dĂ©placĂ©s puissent voter.
Signe de la tension ambiante dans le pays, un citoyen américain a été tué samedi par des forces de sécurité devant un camp militaire de Ouagadougou. La situation est trÚs tendue autour des camps et bases militaires souvent ciblés par les jihadistes, en province mais aussi une fois à Ouagadougou: en mars 2018, des attaques simultanées visant l'état-major des armées dans la capitale et l'ambassade de France avaient coûté la vie à huit militaires dans la capitale. Dans les zones touchées par les exactions jihadistes, les autorités affirment que des forces de sécurité ont été déployées pour sécuriser le scrutin, mais aucun chiffre ou détail n'a été donné.
"Si le vote devrait avoir lieu sans trop d'accrocs (Ă Ouagadougou), il sera trĂšs certainement perturbĂ© dans certaines zones rurales", estime International Crisis Group (ICG). Dans certains endroits du nord du pays, "il n'y a pas d'Ă©lection, et c'est loin d'ĂȘtre la prioritĂ© des populations qui cherchent d'abord Ă Ă©viter de se faire tuer par une partie ou l'autre du conflit", souligne un observateur de la rĂ©gion de Dori (nord).
La réponse au phénomÚne jihadiste, qui ne cesse d'attirer depuis l'aube des années 2010 au Sahel des populations longtemps délaissées par l'Etat, a été le tout-militaire. Elle "n'a pas été adaptée ni adéquate", dit le spécialiste des questions de sécurité Mahamoudou Savadogo.
Des milices villageoises ont Ă©tĂ© créées par les autoritĂ©s dĂ©but 2020, avalisĂ©es par toute la classe politique, et dĂ©ployĂ©es dans un flou gĂ©nĂ©ralisĂ©. Leur ancrage local fait que leur nombre rĂ©el reste inconnu --plusieurs milliers selon les estimations-- et qu'elles auront selon certains un rĂŽle dans la sĂ©curisation du scrutin dans les campagnes. C'est un risque: le parti prĂ©sidentiel "pourrait ĂȘtre accusĂ© d'utiliser ses +troupes+" pour encourager Ă voter KaborĂ©, dit une source diplomatique occidentale Ă Ouagadougou.
Politiquement, cette prĂ©sidentielle parait nĂ©anmoins la plus ouverte de l'histoire du pays. Les opposants ont annoncĂ© qu'ils s'uniraient derriĂšre celui arrivĂ© en tĂȘte pour le deuxiĂšme tour, un cas de figure qui n'est encore jamais arrivĂ© au Burkina Faso.
AFP



