Seul sur un atoll polynésien pendant 240 jours pour repenser notre lien au vivant

  • PubliĂ© le 15 juin 2025 Ă  12:59
Des coraux dans un atoll de l'archipel des Tuamotu, en Polynésie française, le 14 octobre 2015 ( AFP / GREGORY BOISSY )

Il est biologiste marin et a vécu prÚs de huit mois sur un atoll isolé de l'archipel des Tuamotu, en Polynésie française. Une expérience scientifique et humaine inédite, en autonomie complÚte, par laquelle Matthieu Juncker a voulu réconcilier rigueur des données et vécu émotionnel.

De retour depuis fin fĂ©vrier en Nouvelle-CalĂ©donie, oĂč il vit, le quadragĂ©naire partage son aventure Ă  travers des confĂ©rences, tout en travaillant sur des articles scientifiques. Un film est Ă©galement en cours de montage Ă  Paris.

"La donnée est une chose, mais voir les coraux mourir sous mes yeux a provoqué une émotion que je n'avais jamais ressentie", confie à l'AFP M. Juncker.

Cette immersion prolongée lui a permis d'observer de prÚs les bouleversements écologiques à l'oeuvre dans cette partie du Pacifique Sud. Son premier article portera sur l'état de santé du récif corallien, affecté par une vague de chaleur marine d'une ampleur inédite dans cet océan.

"Un tiers du récif est mort. La température de l'eau est restée à 30,5 degrés pendant plus de cinq semaines, jusqu'à six mÚtres de profondeur", témoigne-t-il.

Deux autres publications porteront sur le titi, ou chevalier des Tuamotu, un oiseau endémique. L'une analysera l'effondrement de sa population, tombée d'environ 185 individus en 2003 à une soixantaine en 2024. L'autre détaillera des comportements jusque-là méconnus, parfois en contradiction avec la littérature scientifique.

"Ce que j'ai appris, c'est que beaucoup de choses que je pensais savoir étaient fausses", observe-t-il.

- "Tellement insignifiant" -

Pour le scientifique, ce type de voyage au long cours permet une observation fine, impossible lors des missions scientifiques classiques oĂč le temps est comptĂ©.

Il a ainsi enrichi les connaissances sur les crabes de cocotiers, en observant des comportements en mer jusque-là insoupçonnés, alors qu'on pensait qu'ils ne s'y rendaient que pour se reproduire.

Mais au-delĂ  des rĂ©sultats, cette expĂ©dition fut aussi une traversĂ©e intĂ©rieure. La durĂ©e, l'isolement, l'environnement mouvant - oĂč les tempĂȘtes dĂ©placent en une nuit des centaines de mĂštres cubes de sable, modifiant la physionomie du motu (Ăźlot) - l'ont confrontĂ© Ă  une forme de vertige.

"On se sent tellement insignifiant au milieu du lagon, la nuit, sous le ciel étoilé." Il évoque une solitude parfois violente, ressentie "comme un poignard dans le ventre", mais aussi un fort sentiment d'appartenance au vivant. "J'étais hypersensible à mon environnement", souligne le naturaliste, motivé par le désir, à son échelle, de contribuer à la préservation du milieu.

L'expérience a toutefois été interrompue par l'insurrection en Nouvelle-Calédonie en mai 2024. Incapable de joindre ses proches par téléphone satellite, il décide de quitter l'atoll pour les retrouver. Mais y retourne aprÚs un mois et demi d'interruption, pour achever sa mission.

Depuis, il raconte cette aventure dans des conférences, défendant une approche sensible de la recherche, convaincu qu'"une exploration ne vaut que si elle est partagée".

Son passage a suscité un élan local: une association dédiée à la protection de ces écosystÚmes fragiles a été créée le 15 janvier. Elle regroupe déjà 180 membres issus des motus voisins.

Le grand public devrait découvrir bientÎt son histoire au cinéma. Un documentaire, tiré de prÚs de 300 heures de rushs, coproduit par Galatée Films - qui a notamment produit "Microcosmos" -, France Télévisions et Ushuaïa, est attendu à l'automne.

AFP

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