Tribune libre de la CGPER

La coopération régionale se résumerait-elle à la formation des agriculteurs malagasy ?

  • Publié le 7 août 2023 à 07:21
  • Actualisé le 7 août 2023 à 07:22
Jean Michel MOUTAMA

En juin 2023, La Présidente de Région et le Président du Sénat de Madagascar ont partagé leur vision quant à l’importance de la coopération entre la Réunion et Madagascar, fondée sur des liens historiques et géographiques mais également sur les perspectives qui doivent s’ouvrir pour l’avenir. (Photo Jean Michel MOUTAMA photo Sly imazpress)

Cette coopération s’établit notamment sur certains dossiers prioritaires :

celui de la francophonie et des échanges humains, notamment dans le cadre de la formation, celui de la sécurité alimentaire, qui  illustre  tout  le  potentiel  et  l’intérêt  d’une  coopération  renforcée entre La Réunion et Madagascar,

celui de l’agro-écologie puisque les deux iles sont toutes deux des hauts lieux de la biodiversité mondiale,

celui de  l’Energie,  le  Président  du  Senat  s’étant montré  très intéressé par les innovations explorées par La Réunion. 

Des pistes de travail avaient été ouvertes. Enfin, cette coopération revêt une dimension culturelle d’autant plus importante en cette année qui sera marquée par la célébration du 360e anniversaire du peuplement de La Réunion.

Ces  échanges avaient  traduit  une  volonté louable de  promouvoir un codéveloppement mutuellement profitable : 

- C’est  dans  un  tel  contexte  que  la  délégation  du  président  du  Sénat  revient  à  La  Réunion, avec plusieurs représentants du monde économique de la Grande île.

Si le  contexte  est  toujours le même, malheureusement les  stratégies  et les ambitions des uns  et  des autres se sont affutées. Nous  revoilà donc à  rêver du  temps jadis ou les  techniciens de  toutes sortes allaient en remontrer aux paysans malagasy.

Que propose-t-on au président du Sénat malgache ? :  de Former les agriculteurs malgaches , quand  ils  demandent  si  clairement  d’ouvrir  des  échanges  commerciaux  avec  La  Réunion  de  manière  équitable.

Non, Nous ne sommes plus au temps où il faudrait aller former les agriculteurs malgaches alors qu’ils  luttent  contre  les  aléas  climatiques,  l’inorganisation  des  marchés  et  surtout  la  concurrence  internationale avec des pays d’où il est plus facile d’exporter vers La Réunion.

Alors  que Madagascar  est  à  seulement  800  Km,  une  heure  d’Avion  et deux  nuits  de  bateau  de  La  Réunion comme le rappelait si justement M. le président du Sénat de Madagascar.

Nous  pourrions  intervenir  pour  former  les  formateurs  des  agriculteurs  malgaches  sur  la  technicité  agricole,  l’irrigation,  la  fertilisation  ou  encore  l’environnement",  expliquent  certains.

Cela  suffira-t-il  à  créer  un  vrai  courant  d’échanges  entre  les  agriculteurs  réunionnais  et  les  agriculteurs malagasy ?

A les en croire, il suffirait d’envoyer là-bas des techniciens pour former les Malgaches.

Nous  revoilà donc à  rêver du  temps jadis ou les  techniciens de  toutes sortes allaient en  remontrer  aux  paysans  malagasy :    Les  agriculteurs  réunionnais  apprécieront,  eux  qui  n’ont  plus  l’occasion,  depuis belle lurette, de voir des techniciens venir les conseiller sur leurs exploitations.

"Puisque  nous  parlons  de  coopération,  pourquoi  ne  pas  imaginer  que  nous  avons  également  à  apprendre des agriculteurs malgaches ?".

- Sur leur façon de produire, de respecter leur terre et leur environnement,  - En utilisant moins d’intrants chimiques, en respectant les cycles naturels et en produisant  ce qu’ils consomment.

Non,  la  coopération  n’est  pas « allon mont’  bana  Koman  i  travay ».  La  coopération  est  affaire  de  réciprocité et d’humilité, la coopération est une affaire d’équité. 

C’est  une  coopération  et  une  collaboration  "gagnant-gagnant"  qui  est  vivement  souhaitée  par  les  représentants de la Grande île.

Ils produisent du riz à moins de 800 km de chez nous et nous importons le riz d’inde, d’Asie  et de France. 

Ils  manquent  d’eau  dans  certaines  régions  et  nous  proposons  de  former  les  agriculteurs  malgache à  une agriculture  intensive,  image  d’un  passé  pas  si  lointain  ou  nous excellons à  piller les ressources de la terre et notamment l’eau si précieuse à la vie…

Ils ont des terres et nous rêvons d’y aller s’installer.

En  1977,  la  formidable  expérience  de  la  Sakay  a  pris  fin  douloureusement  avec  l'expulsion  des  agriculteurs réunionnais installés sur les hauts plateaux de Madagascar pendant un quart de siècle. Quelques 46 ans plus tard, nous n’avons toujours pas tiré les leçons de l’histoire, « assé envoy’ des  lamontrèr » en coopération.

A la CGPER, nous pensons que les agriculteurs de tous les pays, méritent mieux que l’on pense d’eux  qu’ils  ont  besoin  de « lamontrèr »… Ils  sont  toujours l’un  des métiers les  plus  confrontés aux aléas  climatiques et subissent d’ores et déjà la pression d’un changement climatique bien installé.

Nous  pensons  qu’il  faut  instituer  des  véritables  échanges  en  matière  de  pratiques  agricoles,  de  respect de notre environnement et que seule cette coopération basée sur la connaissance mutuelle  des peuples pourra déboucher sur une « co-opération » équitable.

Comment établir les relations directement en amont avec les producteurs malgaches pour servir à  la fois les agriculteurs de la Réunion et de Madagascar, les éleveurs indépendants de La Réunion et  les intérêts des filières coopératives ? 

La question reste posée mais il ne faut surtout pas choisir la voie de la  facilité en proposant d’aller  former les agriculteurs malagasy !

Pourquoi ne pas voir au-delà et proposer de mettre en place à Madagascar des plans de production  avec les agriculteurs malgaches ?

Ce qui aurait également effet de stabiliser les prix et de permettre à la  fois aux indépendant de La  Réunion et à la coopération réunionnaise d’être le réseau d’écoulement de cette production.

« L’imagination  au  pouvoir »  scandaient  les  jeunes  en  Mai  68,  ils  traduisaient  là  une  volonté  de  changement, de faire autrement, d’imaginer un autre monde, d’autres relations. 

Manifestement ce n’est pas le cas lorsqu’on préconise toujours les mêmes médicaments dont on sait  qu’ils n’ont aucun effet sur la maladie qui affecte le malade. 

Non, il nous faut penser autrement le monde agricole, il nous faut penser autrement la relation entre  les agriculteurs  réunionnais et les agriculteurs malagasy, il  nous  faut  penser  d’autres  réponses à la  demande de nos voisins et cousins malgaches. 

Ils souhaitent pouvoir répondre à des attentes communes et vous leur proposez toujours les mêmes  poncifs de la pensée unique « Nous allons les former »,  

Nos  agriculteurs  malagasy  et  réunionnais  méritent  mieux…de  ceux  qui  prétendent  organiser  et  encadrer la production agricole.

Jean-Michel Moutama
Président de la CGPER

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