Afrique

Centrafrique: le sexe, un moyen de survie dans un pays meurtri

  • PubliĂ© le 26 fĂ©vrier 2016 Ă  21:36
Le camp de dĂ©placĂ©s de M'poko de l'aĂ©roport de Bangui, le 7 dĂ©cembre 2015, oĂč de nombreux cas de violences sexuelles sont dĂ©plorĂ©s par l'ONU

Pas une semaine ne passe sans que l'ONU rĂ©vĂšle un nouveau scandale en Centrafrique: les allĂ©gations d'abus sexuels de ses Casques bleus sur des civils se multiplient dans ce pays meurtri par des annĂ©es de guerre, oĂč le commerce du sexe est devenu un moyen de survie gĂ©nĂ©ralisĂ©.

Depuis le dĂ©but du mandat onusien pour dĂ©ployer la Minusca en Centrafrique en septembre 2014, 42 cas prĂ©sumĂ©s d'exploitation ou d'abus sexuels commis par des Casques bleus ont dĂ©jĂ  Ă©tĂ© signalĂ©s. ParallĂšlement, la justice française enquĂȘte sur de prĂ©sumĂ©s cas de viols commis par des soldats de l'opĂ©ration Sangaris.

L'an dernier, prÚs d'un tiers des cas recensés par l'ONU au sein de ses 16 missions de paix dans le monde concernait la Minusca. "Nous avons tristement la palme d'or et c'est inacceptable", déplore le chef de la mission de l'ONU à Bangui, Parfait Onanga-Anyanga.

La derniĂšre affaire, rĂ©vĂ©lĂ©e le 16 fĂ©vrier, concernait quatre enfants qui auraient Ă©tĂ© abusĂ©s par des soldats de la RĂ©publique DĂ©mocratique du Congo dans un camp de dĂ©placĂ©s de l'est du pays, Ă  Ngabkobo. Pour Parfait Onanga-Anyanga, "ce ne sont certainement pas les derniers cas, il n'y a pas de raison que cela s'arrĂȘte lĂ , maintenant que les langues se dĂ©lient".

De nombreuses nationalités ont déjà été mises en cause (Congo, RDC, Maroc, Bengladesh, Niger, Sénégal...) - dont certaines citées publiquement par l'ONU, une premiÚre.

A chaque fois ou presque, ces drames se sont produits trÚs prÚs de camps de déplacés particuliÚrement vulnérables, à proximité d'une base de la Minusca. Certaines victimes ont évoqué des agressions sous la contrainte, comme cette jeune femme de 18 ans qui dit avoir été violée par trois hommes armés fin 2015 alors qu'elle cherchait de l'argent ou de la nourriture sur la base de soldats congolais de Bambari (est): "ils m'ont emmenée en brousse (...) Ils étaient armés. Ils ont dit que si je résistais ils me tueraient", a-t-elle expliqué à l'ONG Human rights watch.

Mais au-delĂ  des scandales impliquant l'ONU, dans ce pays ravagĂ© par trois annĂ©es de conflit oĂč sĂ©vissent encore de nombreux groupes armĂ©s, les violences sexuelles sont gĂ©nĂ©ralisĂ©es partout dans le pays. D'aprĂšs le Fonds des Nations unies pour la population, 30.000 cas - notamment de viols - ont Ă©tĂ© enregistrĂ©s au cours des dix premiers mois de l'annĂ©e 2015, un chiffre probablement bien en deçà de la rĂ©alitĂ© puisque la plupart des victimes se taisent.

Mais pour les plus démunis, le commerce du sexe est surtout devenu un moyen de survie.

D'aprÚs des témoignages recueillis par l'AFP sur le camp de déplacés de M'poko de l'aéroport de Bangui, un grand bidonville, de nombreuses jeunes filles acceptent quotidiennement des rapports sexuels ou de fellations avec des hommes - Casques bleus ou pas - en échange d'un peu de pain, ou de 500 francs FCFA (0,8 euro).

"Les femmes n'ont que leur corps Ă  offrir pour nourrir leurs familles", alors que leurs maris ont Ă©tĂ© tuĂ©s ou dĂ©placĂ©s ailleurs dans le pays, explique IrĂšne Ngogui de l'ONG locale VitalitĂ© Plus Ă  Bangui. D'aprĂšs un autre humanitaire, "Ă©normĂ©ment d'enfants en Ăąge d'avoir des rapports sexuels se vendent" et parfois ce sont mĂȘme les parents qui les poussent Ă  se prostituer: "rĂ©cemment une mĂšre voulait que sa fille de 14 ans ramĂšne de la nourriture. La petite a refusĂ© alors elle l'a battue et chassĂ©e de la maison".

Dans ce contexte, les rĂ©centes rĂ©vĂ©lations onusiennes ne semblent pas Ă©tonner grand monde Ă  M'Poko, situĂ© juste en face des bases de la Minusca et de la force française Sangaris. Le camp n'Ă©tant pas clĂŽturĂ©, il est trĂšs difficile d'empĂȘcher les rencontres entre les deux mondes. "La nuit, les Casques bleus passent en voiture derriĂšre la piste et les filles les suivent, raconte LĂ©a, une mĂšre de famille de la zone 13. Elles savent qu'elles auront des sardines".

Depuis les premiers scandales, la Minusca assure avoir pris des mesures pour cantonner les troupes "quand c'est possible". Des missions de police interne sont aussi organisĂ©es avec "des rondes de nuit pour s'assurer que nos hommes en uniformes ne se retrouvent pas lĂ  oĂč ils ne devraient pas".

"Nous sommes dans un pays meurtri et profondément déstructuré, estime Parfait Onanga-Anyanga, et mettre du sel sur une plaie ouverte est une abomination".
AFP

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