Nuit tragique au GHER de Saint-Benoit : un médecin de garde jugé pour homicide involontaire

  • Publié le 31 août 2025 à 03:00
  • Actualisé le 31 août 2025 à 11:14
Tribunal judiciare de Saint-denis

Au tribunal correctionnel de Saint-Denis, vendredi 29 août 2025, Emad N., anesthésiste de garde, répond de l’homicide involontaire d’une patiente de 79 ans décédée dans la nuit du 29 au 30 mars 2015 au sein du GHER de Saint-Benoit. Deux expertises ont relevé neuf dysfonctionnements, dont l’absence de déplacement du praticien et une inscription à posteriori au dossier. Le parquet a requis deux ans de prison avec sursis et six mois d’interdiction d’exercer. Le jugement sera rendu le 7 octobre 2025 (photo RB/www.imazpress.com)

Le tribunal correctionnel de Saint-Denis a examiné ce vendredi 29 août 2025, la responsabilité d’Emad N., médecin anesthésiste de garde né en 1964, dans le décès d’une patiente de 79 ans survenu dans la nuit du 29 au 30 mars 2015 au GHER à Saint-Benoit.

L’affaire a émergé quelques mois suivant cette funeste nuit, après l’envoi d’un courrier anonyme au parquet du Nord dénonçant des défaillances au sein de l’hôpital et un « faux » commis par le praticien. Deux expertises successives ont été menées. Elles font état de neuf dysfonctionnements dans la prise en charge, dont deux directement imputés au prévenu : l’absence de déplacement au chevet de la patiente et une inscription a posteriori, anté-datée, dans le dossier médical.

 - Des examens prescrits... pour le lendemain -

Admise aux urgences pour douleurs abdominales, la malheureuse septuagénaire souffre d’une infection de la vésicule biliaire. Une opération chirurgicale est programmée puis réalisée le 6 mars 2015. Le 28 mars, la patiente toujours hospitalisée se dit nauséeuse et se sent très mal. Le 29, Emad N. prend sa garde à 8h30. À 23h45, la patiente est en tachycardie, avec des signes évocateurs d’infarctus du myocarde.

À 0h30, l’infirmière de nuit, qui vient de réaliser deux électrocardiogrammes dont les marqueurs sont préoccupants, appelle le médecin de garde. Celui-ci ne se déplace pas, estime qu’il s’agit "d’une simple tachycardie" et prescrit un bilan sanguin et un nouvel électrocardiogramme pour le lendemain matin. À 2h30, l’état reste préoccupant. La patiente finit par s’endormir. À 5h du matin, son décès est constaté : l’autopsie conclura à un infarctus du myocarde.

Selon la commission d’analyse post-décès, l’évolution défavorable de l'état de santé de la septuagénaire imposait une évacuation vers un service de cardiologie, une surveillance rapprochée et un traitement adapté. Le GHER ne disposant pas d’un service de cardio, il convenait de solliciter le SAMU en vue d’un transfert au CHU. Le rapport pointe un décès « multifactoriel » et une prise en charge « non conforme », engageant la responsabilité de l’établissement et celle du médecin de garde, qui « aurait dû agir en urgence ».

 - Un climat de service tendu au sein du GHER -

Lors de la très longue l'instruction du dossier, (due à de nombreux recours ndlr), l’infirmière de nuit livre un témoignage clé : elle dit avoir appelé Emad N. à 0h30, décrit une patiente en sueur et affirme avoir réalisé de sa propre initiative deux électrocardiogrammes aux résultats préoccupants, qu’elle assure avoir communiqués.

Elle explique qu’au moment de la constatation du décès, le médecin a rempli une feuille mentionnant être intervenu, alors qu’il ne s’était pas déplacé ; elle l’a noté dans sa transmission et alerté sa hiérarchie, déclenchant la procédure. La présidente de l'audience correctionnelle évoque « un clivage entre équipes médicale et paramédicale » et ajoute : « Ce contexte ne donne pas envie d’aller là-bas ».

À la barre du prétoire, Emad N. présente une tout autre lecture. Costume sobre, ton respectueux mais très longues justifications, il rappelle avoir vu la patiente dans la journée, consulté son dossier, ajusté le traitement à 19h30 puis augmenté les anticoagulants à 20h30, juge le risque « maximum » mais sans signe nouveau à minuit trente. Il soutient ne pas avoir eu connaissance des deux ECG réalisés par l’infirmière avant le décès.

Placé en garde à vue en 2019, il dit avoir commis une erreur d’horodatage sans intention frauduleuse : il aurait écrit « vu la patiente » pour signaler un appel et des consignes, pas une visite au lit. Il souligne des tensions internes au GHER, où il fut, affirme-t-il, le premier praticien hospitalier au milieu de médecins essentiellement libéraux, avec un « conflit de vision » avec son chef de service.

 - La vive douleur des courageux proches -

L’expert judiciaire parle d’une « perte de chance de survie », particulièrement au moment de l’épisode de 23h45 : le médecin de garde aurait dû venir ausculter, rassurer, et appeler le SAMU pour une coronarographie en filière cardiologique.

Pour les proches, la douleur est vive. Au coeur du prétoire, une des filles de la défunte raconte une mère « très fatiguée » la veille du décès. Un des petit-fils témoigne avoir « perdu [sa] grand-mère chérie » et son emploi d’agent de sécurité au CHU dans le sillage de l’affaire. Une autre fille confie n’avoir « pas pu faire son deuil ».

À l’audience, l’avocate des parties civiles, Me Fanny Olivier, interpelle le prévenu : « C’était à vous de vous déplacer. Ça ne vous coûtait quoi d’appeler le SAMU ? ». Lui persiste : « À minuit trente, il n’y avait aucun élément nouveau » et, provocant l’indignation, ajoute : « Si c’était à refaire, je referais la même chose compte tenu des moyens dont je disposais ».

Le parquet retient "une absence de diagnostic" face à une situation qui l’exigeait, malgré les alertes de l’infirmière et des constantes anormales. Il dénonce une tentative de dissimulation par l’inscription « vu » alors qu’aucune visite n’a eu lieu, mention ensuite raturée lors de la commission interne.

Véronique Denizot a requis deux ans d’emprisonnement avec sursis et six mois d’interdiction d’exercer. La direction du GHER rappelle qu’aucune sanction disciplinaire n’a été prononcée au terme d’une suspension de trois mois.

Le tribunal a mis sa décision en délibéré au 7 octobre 2025.

is/www.imazpress.com/redac@ipreunion.com

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