À La Réunion, près de 10.000 personnes sont atteintes du trouble du spectre de l'autisme (TSA). Chaque année, l'Agence régionale de santé estime à 95 le nombre de naissances d'enfants porteurs de ce trouble parfois peu visible mais bien présent. Elever un enfant porteur de handicap n'est jamais chose aisée, d'autant que la prise en charge est souvent complexe et que le regard des autres peut parfois être source de mal-être (Photo rb/www.imazpress.com)
Hélène* est maman célibataire. La jeune femme s'occupe à temps plein de son petit garçon âgé aujourd'hui de 9 ans et atteint d'un TSA léger.
"Avant le diagnostic, on me faisait tout le temps culpabiliser. J'avais même fait une dépression en croyant que c'était moi qui étais folle", confie la maman à Imaz Press.
Mais un jour, elle décide d'appeler un neuropédiatre. "À peine entrée dans le cabinet, le médecin m'a dit il n'y a pas de doute, c'est l'autisme."
C'est alors que le combat de cette mère commence. "On fait tout le temps culpabiliser les mamans. Lorsque mon fils est rentré à l'école, convoqués devant le Centre Médico-Psychologique pour Enfants, on nous a dit, c'est de la faute de la mère, elle est trop fusionnelle avec l'enfant."
Les médecins également ont eu du mal avec la situation d'Hélène. "Après avoir bataillé en faisant plusieurs allers-retours cela fait maintenant un an que mon fils est suivi correctement par une orthophoniste", dit-elle.
- "Je me bats pour qu’il aille à l’école" -
"À trois ans il a commencé à être suivi, cependant lorsqu’il y a eu le covid l’ancienne orthophoniste nous a dit qu'elle ne prendrait plus notre fils car il touchait à tout dans la salle. C’était sa raison pour arrêter les séances" confie la mère de famille. "Quand j’ai montré le motif de ce bilan à l’orthophoniste actuelle, elle n’arrivait pas à en croire ses yeux. Mais ça n’est pas grave, je m’en suis remise", ajoute Hélène.
Désormais, déclaré porteur du syndrome autistique, son fils est actuellement scolarisé en classe Unité pour l'inclusion scolaire (Ulis).
"Je me bats pour qu’il aille à l’école. L’enseignement à la maison et à l’école, ce n’est pas pareil. Il faut essayer d’intégrer nos enfants, l’inclusion c’est mettre tous nos enfants autistes en école. Ils ont le droit à l’éducation comme tout le monde, il faut arrêter de mettre nos enfants de côté" estime-t-elle.
"C’est un combat, mais comme je le dis souvent, il ne faut pas baisser les bras, nos enfants ont des capacités hors normes. Nous avons peur en tant que parents, mais eux non. Aujourd’hui, j’arrive à lâcher prise lorsqu’il est à l’école, il faut faire confiance à nos enfants", témoigne Hélène.
- École inclusive oui… mais pas pour tous -
Mais là encore, à la difficulté de suivi, s'ajoute la difficulté pour elle de trouver un environnement stable au sein du milieu scolaire.
"J'ai un peu gueulé pour avoir un AESH. Sur sa notification MDPH c’est bien noté qu’il a besoin d’une AESH I (individuelle) en classe Ulis école ordinaire" raconte Hélène. Or tout le monde le sait, en cette période, les AESH manquent. À La Réunion, il n'y a que 2.800 postes pour 8.000 jeunes concernés.
"Mon fils a besoin d’une personne pour l’aider et l’accompagner au mieux. Donc je vais me battre pour qu’il reste en classe ordinaire et en classe Ulis" explique Hélène.
Ce qu'elle ne veut surtout pas, c'est que son fils aille dans une classe spéciale où il n'y a qu'un AESH pour 10 enfants. "Apparemment, c’est comme ça dans les classes spécialisées et en Ulis TSA (trouble du spectre de l’autisme).
"Il est en CE2, et il apprendra à son rythme. Je ne demande pas à ce qu’il soit intello, je lui dis souvent qu'il apprendra à son rythme, que sa maman ne le force à rien", confie Hélène, la maman célibataire.
"Quand l’année dernière, alors qu’il était en CE1, il a su m’épeler son prénom, ça a été une avancée énorme" cite-t-elle par exemple. "Maintenant il arrive à compter de 1 à 15 avec le kiné. Quand je l’entends compter à peu près parfaitement, je me dis que c’est bien et que le reste va venir au fur et à mesure. Il faut laisser du temps à nos enfants", dit-elle avec émotion.
- Prise en charge à temps partiel pour besoins à temps plein -
Mais pour apprendre à son rythme dans un cadre stable il lui faut… un AESH. C'est dans ce contexte qu'Hélène dit "avoir pris les devants avec la directrice de l’école l’année dernière". "Quand j’ai compris que la prise en charge de mon fils à temps plein n’était pas sûre, je me suis tout de suite interposée auprès de la directrice" raconte-t-elle.
En maternelle, son fils changeait tous les ans d’AESH, et en grande section il en a eu deux. "Là j’ai dit stop. Il est en primaire, il ne peut pas changer constamment d’AESH, c’est bien écrit qu’il a besoin d’un AESH individuel sur sa notification MDPH."
Et elle est loin d'être seule dans ce cas.
Alexandre Metrard est le papa d'Octave, autiste dit "modéré" (de type asperger). "Il a du mal à se concentrer, il a beaucoup d’idées en même temps, ce qui fait qu’il a tendance à papillonner de gauche à droite. Ainsi envisager une scolarité sans AESH ça n’est pas possible. Ça ne sert à rien de le mettre à l’école si personne ne l’accompagne" raconte son père.
"Mon fils a 10 ans, cela fait maintenant quatre ans qu’il est diagnostiqué comme TSA. On a eu une notification de prise en charge d’une AESH de 20 heures. Mais lors de la rentrée, la directrice m’interpelle pour me dire que l’AESH de mon fils sera disponible non pas 20 heures mais seulement 10 heures" dénonce-t-il. Un vrai coup de massue pour le papa.
"Lorsque j’ai demandé des justifications auprès de la directrice, on m’a expliqué qu’il s’agissait d’une décision du pôle inclusif d'accompagnement localisé (PIAL), le nouveau service qui s’occupe de la gestion des AESH, pour pallier aux éventuelles absences de ces dernières", ajoute-t-il.
- Un choc -
"Le fait de ne pas avoir été informé de cette décision a été un choc à la fois pour nous mais aussi pour notre garçon, car il s’est retrouvé tout seul dans la classe alors qu’il a toujours été habitué à avoir quelqu’un qui l’aide en classe", ajoute Alexandre Metrard.
Le papa d'Octave reconnaît cependant, "on a beaucoup de chance qu’il est une AESH ne serait-ce que 10 heures par semaine, car ce n’est pas le cas de tout le monde". "On a de la chance d’avoir des enseignants qui soient compréhensifs, chaque année on fait une réunion avant la rentrée pour expliquer comment il fonctionne, il a donc réussi à s’adapter."
Des AESH qui font de leur mieux mais qui, souvent, ne sont pas suffisamment formés. "C’est vrai que l’AESH avait du mal avec mon fils au début, tout simplement car ils ne sont pas formés pour la prise en charge d'enfants autistes", souligne Hélène. "C’est moi qui lui a donné quelques pistes pour gérer mon fils, c’est moi qui note dans le cahier de liaison tout ce qu’il faut pour mieux l'aider, je donne des informations sur ce que je fais à la maison pour qu’ils puissent gérer au mieux."
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- Un métier peu valorisé -
Patience, écoute, compréhension, voici une partie des qualités requise pour pouvoir être AESH. Mais comment mettre à profit ces qualités, lorsque certains accompagnants se voient attribuer jusqu’à cinq enfants aux handicaps, pathologies, personnalité et besoins différents ?
"J’ai eu le témoignage d’une AESH qui avait un contrat de travail avec plus d’une vingtaine d’heures avec plusieurs enfants à charge. Comment peut-on prendre en charge correctement quand on les accompagne seulement 1h ou 2h par semaine, particulièrement quand il est spécifié qu’il faut de la patience, de l’écoute, de la persévérance avec ces enfants-là, ?" s'interroge le père d'Octave.
Pour le Rectorat de La Réunion, '"il est important de rappeler que les notifications prescrivent une aide humaine, pas une personne". "La grande majorité des élèves concernés présentent des besoins qualifiés comme continus ; par la Commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) en référence au décret 2012-901 sur l'aide humaine. Cela implique qu'un AESH peut accompagner plusieurs élèves, parfois en même temps s'ils sont dans la même classe ou simultanément dans le même établissement scolaire", indique l'Académie.
Mais bon nombre d'AESH le réfutent.
À cela s'ajoute une note envoyée à l'ensemble des AESH de l'île de la part de l'inspectrice académique DAASEN 2nd degré.
"Grâce aux moyens complémentaires attribués par le ministère de l'Éducation nationale, le service de l'École Inclusive a pu augmenter les quotités de service à 24 heures pour ceux et celles qui le souhaitaient."
"Le choix d'accompagner les élèves notifiés individuels de plus de 16 heures par au moins deux AESH permet d'éviter les ruptures complètes d'accompagnement en cas d'absence de l'un des personnels AESH. C'est aussi permettre d'améliorer vos conditions de travail par rapport à des accompagnements qui peuvent être très lourds."
- "On retire tout le côté humain"-
"Pour un enfant changer d'AESH est complexe, nous le comprenons très bien, mais c'est aussi lui permettre de gagner en autonomie. C'est l'un de nos objectifs à tous, permettre à chaque enfant de devenir un futur adulte capable d'être le plus possible autonome", ajoute la note.
"Je tiens à insister tout particulièrement sur le devoir de loyauté que nous devons tous avoir envers notre institution et vous rappelle que les arbitrages académiques ne peuvent faire l’objet de contestations dans le cadre de nos missions respectives. Nous devons tous ensemble réussir à construire une réelle école inclusive" souligne par ailleurs cette note.
Pour Alexandre Metrard, cet envoi est une aberration. "On retire tout le côté humain de l'aide apportée et elles n'ont absolument aucun droit de discuter de la situation, de leur situation sur le terrain. La menace est à peine voilée : "Le refus d'obéissance équivaut à une faute professionnelle."
Ce que souhaite Alexandre Metrard, "c’est que le travail des AESH soit considéré, et qu'ils puissent créer une véritable relation avec les enfants pour que chacun puisse s’épanouir dans sa scolarité et dans son travail".
- Une grande incompréhension -
Pas ou peu de suivi, des AESH qui se succèdent...Ajoutez à cela l'incompréhension parfois du corps médical et de la société.
"Les gens ne nous croient pas lorsqu'on en parle parce qu'il s'agit d'un handicap invisible, et considèrent qu'il s'agit juste d'enfants mal élevés. J'insiste dessus : nos enfants autistes ne sont pas mal élevés", témoigne Hélène.
Le logement doit aussi être adapté pour les personnes atteintes d'un trouble autistique. "Je suis allée au Conseil général, j’ai fait plein de démarche, les collectivités ne comprennent pas notre position. Pour moi il y a une mauvaise compréhension de l’autisme, l’autisme est méconnu de tous", souligne la maman.
Mais alors, comme est réellement prit en charge ce trouble à La Réunion ?
Dans notre île, il existe le Centre ressource autisme (CRA) créé en 2007. "Le CRA est ouvert aux enfants, adolescents, adultes, familles, professionnels et à toutes les personnes concernées par l’autisme et les troubles apparentés", précise l'Agence régionale de santé.
"Le CRA assure le diagnostic des enfants de plus de 6 ans et les situations complexes. Les équipes diagnostic autisme de proximité (EDAPs) sont chargées d’établir les diagnostics pour les enfants de moins de 6 ans."
- Priorité pour les adolescents -
Il existe également le TéléDIagnostic Autisme Adultes DEpendants (TéléDIAADE). Le télédiagnostic vise à poser un constat en distanciel sur les éléments de dossiers complets et de courtes séances vidéo filmées, le plus souvent au sein de l’établissement médico-social, par les équipes accompagnant l’usager.
Ce projet s’adresse spécifiquement aux personnes dépendantes (avec besoin de soutien important) de plus de 16 ans accompagnées en établissement médico-social ou sanitaire à La Réunion, avec une priorité pour les adolescents dès 16 ans ainsi que les personnes en situation d'urgence faute de diagnostic.
Pour la prise en charge, des services d'éducation spéciale et de soins à domicile sont spécialisés dans la prise en charge de l’autisme et s’adressent aux enfants de 18 mois à 20 ans. Cela va de l'institut médico-éducatif, aux foyers d’Accueil Médicalisé (FAM), Maison d’Accueil Spécialisé (MAS), Services d'accompagnement médico-social pour adultes handicapés (SAMSAH).
"Pour ce qui concerne l’employabilité, l’augmentation des crédits dédiés en 2021 et 2022 à l’emploi accompagné ont permis de renforcer l’accès à l’emploi des personnes autistes", note l'ARS.
Le 1er groupement d’entraide mutuel (GEM) spécialisé dans l’autisme a ouvert en 2020. L’installation de ce 1er GEM TSA s’inscrit dans le cadre de la stratégie nationale autisme-Trouble du neuro-développement 2018-2022.
- Eviter l'isolement -
Les GEM ont été créés pour éviter l'isolement et l'exclusion de personnes en situation de handicap et servir de passerelle vers une vie sociale. "Le GEM est une association de personnes partageant la même problématique de santé ou des situations de handicap, dont l’objectif exclusif est de favoriser des temps d’échanges, d’activités et de rencontres susceptibles de créer du lien et de l’entraide mutuelle entre les adhérents."
Pour les situations complexes, 40 unités résidentielles seront installées entre 2022-2024 en France dont une pour le département de La Réunion, seul département d’outre-mer. L’ARS a lancé un appel à manifestation d’intérêt en juillet 2022 à cet effet pour l’installation d’une unité de six personnes.
Les personnes qui seront accueillies dans ces unités résidentielles relèvent de situations très complexes. Elles s’adressent plus particulièrement aux personnes de plus de 16 présentant des troubles sévères du spectre de l’autisme, le plus souvent associés à des comorbidités relevant d’autres troubles du neuro-développement.
Mais malgré tout cela, l'accompagnement des personnes atteintes d'un TSA semble insuffisant. Un constat que partage l'ARS.
"Le nombre d’infrastructures et de solutions est en constante augmentation. Néanmoins les besoins d’accompagnement sont importants sur le champ de l’autisme" écrit l’ARS. "Nous travaillons continuellement à développer l’offre médico-sociale qui permet de répondre aux besoins des enfants et adultes en situation de handicap" conclut-elle.
*nom d'emprunt
ma.m et la/www.imazpress.com/redac@ipreunion.com