Jardin de la préfecture à Saint-Denis

Statue de Mahé de Labourdonnais : déplacer ou ne pas déplacer, là est la question

  • Publié le 10 mai 2023 à 13:12
  • Actualisé le 10 mai 2023 à 13:44

Dans le cadre de la réhabilitation du square Labourdonnais à Saint-Denis, la mairie de Saint-Denis a annoncé son intention de déplacer la statue de Mahé de Labourdonnais, gouverneur esclavagiste et personnage très controversé de l'Histoire de l'île. La statue sera ensuite placée dans la cour de la caserne Lambert (Saint-Denis) après restauration. Le projet de déplacement a reçu l'aval du ministère de la Culture. Pour sa part la commission permanente du conseil régional a annoncé ne pas valider le financement du projet de réaménagement du square via les fonds européens. L'annonce de déplacement a aussi soulevé le mécontentement de deux associations. (Photo statue Mahé de Labourdonnais photo RB/www.imazpress.com)

"La commission permanente a décidé de surseoir à l'examen du dossier de réhabilitation du square Labourdonnais, présenté par la commune de Saint-Denis", a écrit la Région Réunion. Et ce, "dans l'attente de précisions sur la question controversée du déboulonnage et du déplacement de la statue de Mahé de Labourdonnais".

En effet, la Région Réunion souhaitant bénéficier des éclairages d'historiens et échanger avec Ericka Bareigts sur la question, "afin de prendre une décision en toute conscience" a commenté, ce mardi matin sur les ondes de Réunion la 1ere radio, Amandine Ramayen vice-présidente de la Région.

Cette position de la commission permanente de la Région, vient après la décision de la mairie de Saint-Denis de procéder au déplacement de la statue de Mahé de Labourdonnais, personnage controversé de l'Histoire de l'île.

La mairie de Saint-Denis n'a cependant aucune intention de changer ses plans. "La ville prend acte de cette décision, nous allons financer nous-mêmes notre espace public" a annoncé la maire Ericka Bareigts à l'occasion d'une conférence de presse ce mardi.

Elle a par ailleurs tenu à préciser que "à Saint-Denis, il n'y a pas de déboulonnage". "Nous avons sollicité une demande de déplacement de la statue, pas de déboulonner. Les mots ont un sens."

Lire aussi : Square Labourdonnais : "à Saint-Denis il n'y a pas de déboulonnage" déclare Ericka Bareigts

- Déplacement avec l'aval du ministère de la Culture  -

La maire de Saint-Denis, Ericka Bareigts, appuyée par l'aval du ministère de la Culture, a ainsi annoncé le 26 avril dernier, "c'est un monument à protéger, mais protéger ne veut pas dire immobile". Elle a ajouté que son déplacement au cœur de la Caserne Lambert "aux côtés d'autres monuments militaires", "convenait aux deux partis". Force est de constater que si ces partis sont d'accord, ce n'est pas le cas de certains Réunionnais, dont des historiens.

Prosper Ève, historien de l'Université de La Réunion a saisi le préfet sur le sujet. "Au nom de la souffrance endurée par cette fille d'esclave, qui a vécu sans mère, sans père, presque tout au long de sa vie, je vous prie Monsieur le Préfet, laissez l'histoire de ce père et de sa fille naturelle et non légitimée, née d'une esclave, dans l'espace public", écrivait-il dans un communiqué.

De son côté, Christian Jean-Luc Cadet de l'association "Fort Réunion" qui défend le vivre-ensemble réunionnais, dénonce in "laproptaz" d'envergure préfectorale. "Dans le procès intenté par madame Bareigts, il n’y a pas de jury populaire, la population dionysienne n’est pas consultée", dit-il. " Un exploit pour une municipalité qui fait de la concertation son leitmotiv"

- "Les héros de la liberté, ce sont les marrons, les résistants" -

"Puisqu’il faut avancer, admettons que le projet de Madame Bareigts est inspiré par la volonté d’éteindre les réminiscences des souffrances des anciens esclaves que certains de leurs descendants souhaitent légitimement commémorer, certes de façon exclusive. A l’opposé, comprenons aussi l’indignation des citoyens qui refusent qu’un tel symbole de notre histoire locale et nationale soit ainsi sacrifié, "souligne Christian Jean-Luc Cadet.

Une pétition a d'ailleurs été mise en ligne contre le déboulonnage de la statue Mahé de La Bourdonnais.

En réponse, le groupe #Laproptaz Nout pei déclare, "madame la Maire de Saint-Denis, Ericka Bareigts, a posé un acte symbolique très fort en décidant de déplacer la statue de Labourdonnais à la caserne Lambert avec l’accord du préfet de La Réunion. Mahé de Labourdonnais rejoint ainsi la confrérie des militaires et redonne la place au peuple dans toute sa dimension historique, car c’est bien sûr cette place que se sont réunis les esclavisés libérés le 20 décembre 1848, lors de l’abolition de l’esclavage. Ce courage de rendre au peuple son histoire et sa légitimité, nous l’acclamons et nous le félicitons".

"Enlever la statue de Labourdonnais, qui est un criminel aux yeux de la loi, n’est qu’une étape dans notre démarche de reconfiguration de notre territoire", ajoute le groupe #Laproptaz Nout pei. "Qui sont les héros de la liberté ? Ce sont les marrons, les résistants, les travailleurs des camps, esclavisés et engagés qui ont érigé des édifices publics et des églises, des routes et des chemins, toutes ces personnes qui ont construit notre réunionnité d’aujourd’hui" remarque le groupe.

- "Porte ouverte à toutes les dérives" -

Pour Christian Jean-Luc Cadet, déplacer cette statue, "c'est oublier que nombre de Réunionnais descendent à la fois d’un esclave et d’un esclavagiste". "Nous sommes à la fois Anchaing et La Bourdonnais …"

Le membre de l'association "Fort Réunion", "cette décision procède du refus obstiné de tenir compte, d’une part, de ce que représente vraiment Mahé de La Bourdonnais lui-même et, d’autre part, du contexte qui prévalait sous nos latitudes sous l’Ancien Régime".

"Calomnié en son temps par des rivaux jaloux des succès de ce grand commis de l’Etat, Mahé est emprisonné pendant trois ans avant d’être innocenté. Mahé a aussi été le premier gouverneur à offrir aux esclaves la possibilité de revêtir l’uniforme afin de se battre sur un pied d’égalité aux côtés de soldats blancs ou libres de couleur."

Il souhaitte que "le square La Bourdonnais, ex-place du Gouvernement" puisse "constituer un témoignage plus complet de l’histoire de notre île par l’adjonction, autour de la statue de Mahé de La Bourdonnais, de statues et plaques commémorant la révolte des esclaves de Saint-Leu de 1811, la proclamation de l’abolition par Sarda-Garriga en 1848, la loi de départementalisation de 1946...".

Pour sa part, l'association Kartyé Lib - Mémoire et Patrimoine Océan Indien (MPOI), annonce que le collectif "touche pas à notre statue" se réunira "la semaine prochaine", afin de poursuivre les démarches administratives demandant de ne pas déplacer la statue de Mahé de Labourdonnais.

Interrogé par Imaz Press, Marie-Lyne Champigneul de Kartyé Lib, précise : "le mois dernier, a eu lieu La Réunion, un symposium sur la thématique, composé d'universitaires et de représentants des musées du monde entier, ainsi que le ministère de la Culture de la Barbade et du Bénin".

Elle poursuit : "l'un des objectifs était : comment les musées, sites et autres espaces éducatifs, peuvent-ils dépeindre de manière pédagogique les horreurs de l’esclavage ainsi que les sentiments, les pensées, la résistance, la créativité et la résilience des personnes réduites en esclavages ? Comment ces structures peuvent-elles illustrer les traumatismes et les conséquences psychologique qui affectent jusqu’à aujourd’hui les rapports sociaux, culturels, politiques et économiques dans nos sociétés ?"

Elle souligne : "il s’agissait non pas de faire disparaître les acteurs de l’époque coloniale mais de revisiter en accentuant la vie quotidienne des esclavisés, les mises en scène dans la complémentarité de l’histoire et non l’amputer. Car c’est la porte ouverte à toutes les dérives", ajoute-t-elle.

Mais pour l'historien Laurent Hoareau, cette décision "rentre dans un débat sociétal". "Depuis 2017, sous l'impulsion d'Emmanuel Macron, on parle de décoloniser les arts et l'espace public. Il ne s'agit pas d'effacer l'histoire, mais de redonner du sens" estime-t-il.

"On enlève pas le rôle de Labourdonnais dans l'océan Indien, on réaffirme seulement qu'en tant que négrier, il a lui-même affréter des esclaves. Il y a une traçabilité mémorielle qui fait qu'on arrive à cerner le personnage. Il n'est pas compatible avec l'héritage de liberté de la place" ajoute-t-il.

"Le fait d'être sur une voie médiane, nous vaut des soutiens au niveau national. Cette posture permet de travailler la question des droits culturels sans être dégradante" ajoute par ailleurs Stéphane Hoarau, directeur du développement culturel à la mairie.

- Mahé de Labourdonnais, personnage controversé -

Descendant de la noblesse bretonne, Bertrand François Mahé - également appelé le comte de La Bourdonnais - a été le premier gouverneur général des Mascareignes de 1733 à 1747. C'est lui qui a contribué à la modernisation de La Réunion, alors appelée île Bourbon.

L'homme a lancé la culture de la canne à sucre à l'île Maurice (alors Isle de France) en créant la première sucrerie de l'île à Pamplemousses. A La Réunion, Mahé La Bourdonnais a développé le port de Saint-Denis ainsi que la ville de Saint-Louis.

Mais au-delà des évolutions commerciales qu'il a apporté à La Réunion, il est aussi directement lié à l'esclavagisme qui a sévi dans l'île jusqu'au 20 décembre 1848 – sans compter l'engagisme.

"A partir de 1735, les gouverneurs La Bourdonnais et Nicolas Tolentino de Almeida entretinrent une correspondance personnelle, développant des relations d’amitié et promouvant un trafic entre les deux colonies pour la satisfaction de leurs intérêts mutuels. Les Mascareignes importaient du Mozambique la main d’œuvre servile. Le Mozambique, les vivres, les armes à feu, la poudre et les munitions" détaille par exemple l'auteur Robert Bousquet dans son ouvrage "Les esclaves et leurs maîtres à Bourbon".

" Mahé de La Bourdonnais fit pratiquer une traite systématique entre le Mozambique et Bourbon : chaque année, deux expéditions fournirent plusieurs centaines d’esclaves" ajoute par ailleurs le portail Esclavage Réunion. Il aussi reprit le trafic entre La Réunion et l'Inde, " et des centaines d’esclaves arrivèrent à Bourbon depuis Pondichéry" détaille le site.

Dans ce contexte, des associations anti-racistes ont déjà demandé le retrait de la statue de Saint-Denis. Elle a d'ailleurs été repeinte en rose en 2021, sans que l'on sache qui est derrière cette action. En 2020, une pétition avait été créée en ligne pour demander son retrait. Une demande formulée alors que les protestations antiracistes relancées après la mort de George Floyd aux mains de la police aux Etats-Unis ont donné lieu dans le monde au déboulonnage ou à la dégradation de plusieurs statues de personnalités controversées.

ma.m/www.imazpress.com / redac@ipreunion.com

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9 Commentaires
Mesaieux
Mesaieux
5 jours

A cause y fait pas une pétition pour déboulonne saq y utilise l'argent contribuable pou faire n'importe quoi. Dire nana encore gaga pou gobe la bêtise humaine

Voilanousla
Voilanousla
1 semaine

Mette Pap Annette Ericka fonde une seule statue et met en place. A cause y prend pas ces 3 millions pou faire un hôpital et embauche de monde, Arrête gonfle à nous avec l'argent contribuable qui n'arrête pas de grimper.

Chat Gris
Chat Gris
3 semaines

Ho oui grand danger

Chat gris
Chat gris
3 semaines

Si je comprends les traumatisés de l'histoire et Dans ce cas il faut, aussi, faire un procès à toutes les familles qui ont exploitées les travailleurs des champs et des usines, car cela n'était pas loin de l'esclave, non ?

Vigilance
Vigilance
3 semaines

Le wokisme commence à frapper chez nous. Danger.

Vigilance
Vigilance
3 semaines

Vigilance

Eve
Eve
3 semaines

En rose , c'est très bien !
Sinon : rien de + important ?

Nono
Nono
3 semaines

il est vrai que l'état de la ville de st Denis est irréprochable des rues en bon état aucuns tas d'immondices abandonnées pas de carcasses de voitures des trottoirs qui donnent envie de marcher tranquille vraiment c'est un bonheur cette ville alors je comprend la mairesse qui veut nous faire plaisir elle trouve que le square est mal entretenu par ses services et donc on rase tout et on refait la même chose mais sans la statue qui la gêne bien sur avec l'argent de la région cela va sans dire

CHABAN
CHABAN
3 semaines

Fascinant ses débats de riche.