Plus de treize ans après le crash du vol Yemenia 626 au large des Comores qui avait tué 152 personnes, laissant une seule rescapée, le tribunal correctionnel de Paris tranchera ce mercredi 13 septembre 2022 sur la responsabilité de la compagnie aérienne yéménite. Seule une enfant de 12 ans, Bahia Bakari, a survécu dans l'eau en s'accrochant à un débris de l'avion pendant une dizaine d'heures, avant d'être secourue le lendemain par un bateau. L'accusation a requis le 2 juin dernier l'amende maximale de 232.500 euros contre la compagnie.
A la suite d'une série d'erreurs de pilotage lors de l'approche de l'aéroport de Moroni, le vol Yemenia 626 s'est abîmé dans l'océan Indien dans la nuit du 29 au 30 juin 2009. La compagnie nationale yéménite a "participé aux erreurs" qui ont conduit à la catastrophe, elle a commis des "omissions" et pris de "mauvaises décisions", a soutenu la procureure Marie Jonca, au dernier jour de ce procès qui a débuté le 9 mai.
"Vous avez dans ce cockpit deux pilotes qui ne présentent pas un niveau professionnel équivalent", qui "ne savent pas travailler ensemble" et, "surtout, qui n'ont jamais été formés spécifiquement à l'approche de ce terrain si difficile et particulier de l'aéroport de Moroni", a souligné la magistrate.
En outre, a-t-elle ajouté, "vous avez deux pilotes qui vont poursuivre une approche dans des conditions délicates, de nuit, de façon règlementairement interdite (et) dans des circonstances dangereuses", à cause de la panne depuis plusieurs mois de certains feux de l'aéroport.
"Malgré ces circonstances qu'elle connaissait", la compagnie "n'a pas décidé de reprogrammer ce vol au petit matin et, de façon cohérente comme elle a pu le faire immédiatement après l'accident, d'interdire tout simplement les vols de nuit durant cette période", a souligné Marie Jonca. "Elle a attendu que l'accident se produise", a insisté la magistrate. "La compagnie a eu une gestion réactive du risque, on attendait d'elle une gestion proactive".
La procureure a aussi requis la publication du jugement du tribunal sur le site internet de la compagnie.
- Bahia Bakari, seule survivante -
Dans la grande salle d'audience, une centaine de proches des victimes sont venus écouter les réquisitions le 23 mai dernier. Au premier rang était assise Bahia Bakari, 25 ans aujourd'hui, qui a survécu en s'agrippant à un débris d'avion pendant une dizaine d'heures, avant d'être secourue par un bateau.
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Le 29 juin 2009, Bahia Bakari est partie avec sa mère, depuis l'aéroport de Roissy, pour assister aux Comores au mariage de son grand-père. L'avion fait escale à Marseille, puis les passagers changent d'appareil à Sanaa, au Yemen. Ce "second avion", un A310, était "plus petit, il y avait des mouches à bord et une forte odeur de toilette", a-t-elle. Mais lors de ce "vol de nuit", "cela s'est passé très normalement", jusqu'à l’atterrissage.
A l'approche de Moroni, la capitale des Comores, "les conseils de sécurité ont été annoncés, les voyants pour attacher la ceinture se sont allumés". Ce fonctionnement et les conditions "exécrables" de vol sur la compagnie étaient dénoncés depuis des mois par une association, SOS Voyages aux Comores.
"Je sens l'avion qui commence à descendre et je commence à sentir des turbulences, mais personne ne réagit plus que ça, donc je me dis que ça doit être normal", a-t-elle raconté. Puis, "je sens comme une décharge électrique dans tout mon corps", dit-elle. "J'ai un trou noir entre le moment où j'étais assise dans l'avion et le moment où je me retrouve dans l'eau".
Dans les vagues, "en face de moi, je vois trois débris, j'agrippe le plus grand en essayant de monter dessus mais je n'y arrive pas", a poursuivi Bahia Bakari. "Je prends conscience de voix qui appellent à l'aide en comorien, je crie mais un peu sans espoir, parce que je réalise bien qu'il n'y a que la mer autour de moi et que je ne vois personne".
"Je finis par m'endormir agrippée au débris d'avion. Quand je me réveille, le jour se lève, j'entends plus personne". Au loin, elle voit la côte, essaie de la "rejoindre" mais "la mer est très agitée", a-t-elle raconté, décrivant aussi "le goût de kérosène" qu'elle avait dans la bouche. "Je ne voyais pas comment j'allais m'en sortir. (...) Je voyais un avion passer au-dessus de moi mais j'étais pas sûre qu'il m'avait repérée. J'ai trouvé le temps très, très long". C'est la pensée de "sa mère", "très protectrice", qui la fait tenir. Elle sera finalement secourue par un bateau après une dizaine d'heures dans l'eau.
- La défense plaide la relaxe -
Les investigations menées sur les boites noires, retrouvées fin août 2009 à 1 280 mètres de fond, ont permis de conclure que l'accident était dû à une série d'erreurs de pilotage, qui se sont enchaînées en moins de cinq minutes.
L'état technique de l'avion n'était pas en cause dans l'accident, ont néanmoins conclu les expertises judiciaires.
Le jeudi 19 février 2015, le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence avait condamné, la compagnie Yemenia Airways à verser plus de 30 millions d'euros de dommages de intérêts aux proches de 70 des 152 victimes du crash
Aucun responsable de la compagnie, qui conteste tout "manquement", n’était présent devant le tribunal correctionnel de Paris à cause de la guerre qui ravage le Yémen, selon les avocats de l'entreprise qui, comme la loi le permet, la représentent depuis le début du procès.
Les avocats de la compagnie ont plaidé la relaxe.
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