La situation géographique et la nature géologique de La Réunion en font l’une des régions françaises les plus exposées aux risques naturels. Parmi les menaces, houles et marées, glissements de terrains, inondations, tsunamis, feux de forêts et cyclones. À La Réunion, si la culture de préparation au risque est ancienne, elle se transforme au fil du temps, pour s’adapter, informer et sécuriser les populations. (Photo : rb/www.imazpress.com)
La culture du risque englobe toutes les expériences et les connaissances qui permettent à la population, aux collectivités et aux services de l’État, d’adopter des comportements adaptés en cas de catastrophe naturelle. À La Réunion, dès l’annonce de l’arrivée d’un cyclone, cela passe par une communication préfectorale et le déploiement progressif du plan ORSEC, organisation des secours et système d’alerte météo.
De son côté, la population s’attelle à la préparation du stock alimentaire, ainsi qu’à la sécurisation de son logement. Dans la culture insulaire, il s’agit aussi de prendre soin et de rendre visite aux voisins, des gestes et des habitudes transmis de génération en génération.
- Les jeunes réunionnais formés à la culture du risque -
Selon la Piroi, plateforme d’intervention de La Croix-Rouge dans l’océan Indien, La Réunion est le seul département français où les élèves bénéficient d’un programme scolaire d’éducation aux risques naturels.
Depuis 2011, 41.000 enfants du cycle 3, du CM1 à la 6ème ont pris part à ce programme. L’objectif du projet Paré pas paré : les préparer à l’arrivée d’une catastrophe naturelle sur le modèle de ce qui est fait au Japon par exemple lors des exercices de gestion aux séismes dans les écoles.
Mieux connaître les risques pour mieux y faire face. C’est tout l’enjeu de ce programme ludo-éducatif destiné aux petits Réunionnais.
Dans son livret destiné aux enseignants, la Piroi explique : "C’est une approche d’animation qui prend en compte leurs besoins, leurs capacités psychologiques et évite l’utilisation de la peur comme levier éducatif."
- Protéger son habitation à l’ancienne : fenêtre en Z et renfort en bois -
Dans le savoir-faire réunionnais qui peut être utilisé aujourd'hui pour renforcer et protéger les logements : volets en Z et renfort temporaire en bois placés sur les portes et fenêtres.
À La Réunion, il n'est pas rare de voir des fenêtres en bois avec la forme d'un Z à la surface, c'est ce qu'on appelle une écharpe : un renforcement transversal du panneau, complétant les barres horizontales. Elle renforce la structure du volet. Un savoir-faire local, pour des fenêtres longtemps fabriquées sur mesure par des menuisiers réunionnais.
C'est toujours une bonne idée selon Alban Massete, responsable du laboratoire d'essais menuiserie au Centre d'Innovation et de Recherche du Bâtiment Tropical. "Ces menuiseries en bois ont survécu à 30, 40 ans de cyclones, c’est intéressant sur la solidité du bâtiment." Écoutez
"Si à la maison, on a du bois pour faire des renforts temporaires, c’est toujours une très bonne idée de le faire, ça permet de se protéger des projectiles et aussi de limiter l’impact du vent sur les menuiseries."
- La mémoire cyclonique, une transmission familiale -
Pierre-Antoine Bluker raconte : "Je suis né dans une case en paille de vétiver, on dormait sur des gonies (sacs en toile de jute). Quand on avait cette maison-là, le rituel, c’était d’aller chez la voisine Tine bébé, pendant le passage des cyclones."
"On faisait comment ?" s’exclame-t-il. "On arrivait ! Ils nous faisaient entrer. Les adultes nous laissaient leur lit, puis eux restaient entre gramounes à discuter." Pas d’organisation particulière, mais une solidarité de chaque instant.
"Mais pour Firinga, on est restés chez nous" se remémore Pierre-Antoine. En 1989 il a 28 ans. Aujourd’hui encore, quand il parle du cyclone Firinga, le souvenir est intact : "po féringa, le van té sorte par Sin Piér. La souflé, le siél la ni rouj. Lo van la réte sec. Soley té y pét."
Il continue : "On a tous pensé que le cyclone était parti. On est sorti sur la route pour voir les dégâts, juste à côté de la maison. "C'est là que le cyclone et le vent sont arrivés de par l’autre direction. Notre case faisait 5 mètres sur 6 mètres, on l’a vu s’envoler chez les voisins et tomber sur leur maison, ils se sont enfuis."
"On a essayé de réunir les enfants, le vent était tellement fort. T’as jamais marché dans le vent d’un cyclone toi, tu ne sais pas ! Ça t’appuie contre le sol, ça te fait rouler comme une brindille. Autour de nous, la grande maison avec la boutique du quartier n’avait plus de toit. On a marché à quatre pattes pour aller chez un voisin."
Il insiste : "Quand tu construis ta maison, tu penses que tu vas y être en sécurité. Avant Firinga, notre maison en paille de vétiver avait tenu, et nous n’avions même pas de porte à l’époque, juste un sac en gonie avec des grosses pierres à l’intérieur pour les faire tenir. Alors, dans les pièces en dur et en tôle, on pensait être en sécurité."
Ce qui a manqué selon lui à l’époque : "la préparation, la solidité de la maison, tout ! C'était précaire, très précaire." À l’ époque, pour des familles plongées dans la misère, il n’est pas question de faire des courses exprès pour le cyclone. "Lontan té pé pa fé stok kom koméla. Sak lavé in moné té sa rodé, mé ou na pwin."
Il nous raconte encore : "lors du passage d'un cyclone comme Firinga, tu as la gorge nouée." Chaque bourrasque de vent plonge la maison dans le silence, il ne reste que l’attente et la peur. Pas de radio, pas de téléphone, aucune information pendant le passage du cyclone.
"Quand Firinga est passé on n'avait pas l’eau courante encore. Pour récolter l’eau, on mettait notre bac sous la maison pour récupérer l’eau de pluie."
Au sujet de la transmission orale, il explique : "ma mère avait tellement peur à l’arrivée d’un cyclone, elle ne nous parlait plus. On savait qu’il fallait rentrer le cochon et une poule dans la maison pour au moins sauver ça. On commençait à prendre clous, et cordes pour attacher les tôles."
Augusta Marapa aura 80 ans dans quelques semaines. Elle se souvient de sa case en paille de vétiver qu'elle fuyait à chaque cyclone, pour se mettre à l’abri chez une voisine. "Je prenais tous mes enfants avec moi dans le lit, ma maman faisait comme ça. À chaque cyclone, nous étions collés à elle, je faisais pareil avec les miens" pas de stock démesuré pour elle, il faut avoir des sous pour faire du stock nous dit-elle, alors : "on rentre les poules que l’on peut sauver. Et s'il y a un peu d’huile, on tourne ça avec du riz."
À l’époque de Pierre-Antoine et d’Ausgusta dans les hauts de Saint-Leu, les habitants n’avaient pas accès à l’eau potable. Ils devaient encore aller aux citernes en béton de leur quartier pour ravitailler la famille. Vestiges d’une autre époque, quelques citernes en béton sont toujours là. Mais les Réunionnais se souviennent surtout des bacs en fer-blanc dans le jardin pour leur stock d’eau.
- Un tour de l'île pour collecter les souvenirs des Réunionnais -
Dans le cadre de sa thèse universitaire intitulée "impact et gestion des risques naturels à La Réunion : apport de la géohistoire" Messie Dupont, étudiante et géographe a parcouru l'île afin de récolter des données sur le vécu des réunionnais lors des cyclones qui ont marqué l’histoire de l’île.
Elle détaille les premières données obtenues : "Il y a eu énormément de changement concernant la culture du risque à La Réunion, particulièrement depuis la départementalisation en 1946. Le changement majeur est évidemment la prévision cyclonique effectuée par Météo France et les moyens d'informations et d'accès à ces données. Aujourd'hui les moyens les plus utilisés pour s'informer d'un cyclone sont dans l'ordre les sites en ligne, la radio, la télévision, le bouche à oreille puis les journaux."
Elle ajoute : "Concernant les collectivités, beaucoup de changements ont eu lieu et viennent aussi bien de lois nationales ou européennes, que locales comme par exemple l'évolution des alertes cycloniques avec des réformes en 1962, 1994, 2002 et 2022, ou encore le déploiement du système FR-Alert à La Réunion en 2022 : les messages envoyés sur tous les téléphones portables de l’île".
"En dehors des cyclones, les habitants se souviennent souvent des éruptions volcaniques de 1977 et 2007, des inondations en 1998 et 2024 ou encore de l'éboulement de Mahavel en 1965."
Selon Jules Dieudonné, citoyen engagé, il faut agir avec ce que nous savons faire, il invite les Réunionnais à écouter les gramounes : "ils ont une science dans le domaine de l’environnement, zot y koné, zot y présan" dit-il. Écoutez
- Journée de la résilience : s'adapter face à la catastrophe -
Le 13 octobre est désormais la journée nationale de la résilience. Un évènement qui est là pour inciter à mener des actions de sensibilisation au regard des comportements à adopter face à différentes catastrophes naturelles.
Sabine Staal, du service de prévention des risques naturels à la Deal, direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement, explique : "Pour nous l’objectif c’est d’informer les institutions et les citoyens, on communique sur les pluies ou les inondations. Mais pour toucher la population on a conscience qu’il faut passer par des relais de proximité, qui connaissent le public et vont adapter le message. "
Adapter le message, c'est le travail de Martine Nourry au sein de l'association Française pour la Prévention des Catastrophes Naturelles et Technologiques. Avec les mouvements de population et l’arrivée de personnes qui n’ont jamais connu de cyclone, il faut non seulement adapter le message mais aussi faire découvrir les bonnes pratiques en cas de cyclone. "L'objectif c’est vraiment d’augmenter la culture du risque avec le programme et l’outil ansam nou lé paré. On se rend compte que dans les quartiers prioritaires ou dans les zones éloignées de la ville, la culture du risque n'est pas assez soutenue." dit-elle. Écoutez
Après le passage du cyclone Belal en 2024, le Préfet de la Réunion de l’époque Jérôme Filippini écrira sur son compte Linkedin : "Cette "culture" citoyenne des risques est une condition nécessaire de la gestion de crise. À La Réunion, comme dans les autres Outre-mer, cette culture de préparation au risque est ancienne, ancrée dans l’histoire et dans la géographie ultramarine, transmise à l’école, dans les récits familiaux, et dans l’organisation sociale."
Avant de conclure : "La mémoire se perd et parfois, nos souvenirs nous trahissent. C’est pourquoi il faut entretenir cette "mémoire" pour qu’elle demeure une "culture" et finalement une "seconde nature".
Outre les projets institutionnels qui visent à transmettre la culture du risque cyclonique aux Réunionnais et aux nouveaux arrivants sur l’île, des témoins de l’histoire : nos gramounes, attendent d’être écoutés et entendus.
Eux aussi savent gérer la crise cyclonique, c’est uniquement à leurs côtés qu’il sera possible d’entretenir la mémoire des cyclones passés et de leur gestion.
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