Deux ans après le rachat de la filiale du groupe Casino Vindemia par le Groupe Bernard Hayot (GBH), autorisée par l’Autorité de la concurrence par sa décision du 26 mai 2020, l’observatoire des prix, des marges et des revenus (OPMR) a décidé de confier une nouvelle étude à la société de conseil Bolonyocyte Consulting, visant à établir un état des lieux du marché de la distribution généraliste à dominante alimentaire et faire le point sur les effets réels de cette opération de concentration. Cette étude met en lumière l’avancé du groupe GBH sur le marché de La Réunion en matière de grande distribution : Carrefour atteint environ 37 % de part de marché en 2022, tandis que Leclerc atteint une part de marché d’environ 29%, soit de 7 à 10 points inférieur au premier acteur. Ce duopole totalisant à lui seul les deux tiers du marché.
« Ce rapport confirme un rapport que j’ai publié il y a deux ans : il montre une situation d’un marché extrêmement concentré, marquée par la montée puissance du groupe Carrefour » détaille Christophe Girardier, rapporteur de l’étude. « Elle se traduit par l’émergence d’un duopole. » Le rapporteur estime que les bénéfices du groupe GBH pourraient s'élever à 1,8 milliard d’euros, totalisant environ 45 % des dépenses de consommation courantes des ménages réunionnais.
Concrètement, cela signifie « la mise en péril de Make Distribution, exploitant de Run Market » détaille-t-il. « Cela se traduit aussi par une dépendance des producteurs locaux et des fournisseurs » affirme-t-il.
Christophe Girardier explique par ailleurs avoir observé « quatre situations d’atteinte à la concurrence, dont le verrouillage de certains marchés en raison de la situation de producteur et distributeur de Vindémia ». Le groupe possède le groupe Sorelait (production de yaourts et produits laitiers) et Bamyrex (grossiste représentant de marque). « Il s’est renforcé davantage par l’absorption de son équivalent SDCOM, la filiale de Vindemia, et du grossiste généraliste Supercash » précise Christophe Girardier.
- La diversité de l'offre en danger -
Conséquence : ces marques seraient surreprésentées dans les enseignes Carrefour, au détriment d’autres producteurs locaux. « Ce renforcement de son intégration verticale, combiné avec l’augmentation sensible de sa part de marché aval, ont eu pour effet d’ouvrir de nouvelles opportunités de développement à GBH de nature elles aussi à déséquilibrer le marché amont et fragiliser ses acteurs » insiste le rapporteur.
« GBH est actif dans la production et la distribution, ce qui signifie que via Supercash, le groupe revend aux petits commerçants. En me penchant sur la question, j’ai noté que les petits commerçants rachètent les produits entre 5 et 25% plus cher que le prix de vente chez Carrefour, ce qui les conduit parfois à aller acheter leurs produits directement chez l’enseigne » assure-t-il.
Christophe Girardier estime que ce duopole serait voué à s’étendre dans les années à venir. "Ce duopole va s'accroitre et va menacer d'autres acteurs, cela aura des conséquences directes sur la diversité de l'offre, et évidemment sur les prix" estime-t-il.
Il recommande donc plusieurs mesures aux législateurs pour tenter de réguler le marché. « Il faut que la loi apporte des réponses : nous devons modifier le code du commerce, spécifique aux territoires ultramarins insulairaes, pour limiter la part des marchés à 25% par acteur » dit-il.
Il souhaite par ailleurs interdire les organisations verticales, c’est-à-dire interdir aux acteurs d’être à la fois producteur et distributeur. Il conseille aussi de limiter les ouvertures de grandes surfaces à un espace inférieur à 1.500 m2.
- Run Market victime du succès de GBH -
Pour rappel, il y a deux ans, lors du rachat par le groupe GBH, l’OPMR et l’agence de consulting par le biais de Christophe Girardier, rapporteur de l’étude, avaient mis en exergue les risques de cette opération. Pour autant, l’Autorité de la concurrence avait donné son feu vert le 26 mai 2020. Toutefois, l’Autorité avait demandé au groupe GBH de céder une partie de ses actifs pour éviter une atteinte à la concurrence. Le groupe a donc cédé quatre hypermarchés à Make Distribution sous l’enseigne Run Market et deux au groupe Thien Ah Koon.
A la suite de cette opération de rachat et de cession de quatre hypermarchés au groupe Make Distribution, l’étude menée par l’OPMR dit avoir noté une baisse drastique de l’activité dans les enseignes, alors que sous l’enseigne Jumbo Score, la clientèle était présente.
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“La défaillance de Make Distribution est imminente”, avait alors commenté Christophe Girardier. Selon lui, de nombreux fournisseurs seraient impayés depuis près de six mois. “Il y a également une rupture des produits locaux et une paupérisation de l’offre”, note le rapporteur de l’étude. “Une spirale”, qui, selon Christophe Girardier, “aboutit toujours à un échec”. Plusieurs risques sont donc à craindre du côté de la grande distribution, notamment sur l’impact des prix et la diversité de l’offre. “Ce qui mettrait à mal l’équilibre de l’économie de l’île. Autre impact majeur, l’avenir des 780 salariés qu’emploi le groupe Make Distribution et les enseignes Run Market.
Selon ces éléments, le groupe Make Distribution perdrait environ un million d’euros par mois. Toujours selon l’étude, le groupe cumulerait une dette estimée en 70 et 80 millions d’euros.
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