Mythes et légendes

Granmèr kal kisa ou lé ?... bien plus qu'une figure d'Halloween

  • Publié le 2 novembre 2023 à 02:59
  • Actualisé le 2 novembre 2023 à 14:57

Le 31 octobre est passé... mais combien ont raconté l'histoire de Granmèr kal pour faire peur… Ouhhhhh… La nuit fait peur, les bruits font frissonner et les zistoirs lontan remontent. Parmi ces histoires, celle de Granmèr kal. Granmèr kal kosa ti fé ? Granmèr kal, kel heur i lé ? Granmèr kal, ousa ti lé ?..." ces paroles d'une chanson de Ziskakan résonnent dans nos oreilles. Car si Granmèr kal, en cette période où les citrouilles et sorcières sont de sortie est assimilée à une vieille dame au nez crochu avec son chapeau noir… dans la réalité, la légende de Granmèr kal est bien plus profonde. Et c'est pour cela qu'il est bien dommage que dans notre île, marquée par l'histoire de l'esclavagisme, il ne reste dans les esprits des Réunionnais, que l'histoire d'une sorcière qui "vient attraper marmailles la nuit" (Photo d'illustration : rb/www.imazpress.com)

Granmèr kal ou notre sorcière locale… peu de gens connaissent sa véritable histoire. Si l'imagination en a fait une épouvantable veille femme au cri sinistre, venant chercher les enfants… La Réunion a partiellement oublié que Granmèr kal fut en réalité une esclave dont le destin s'est avéré tragique.

- Granmèr kal, une esclave au destin tragique -

Granmèr Kal est un personnage légendaire de La Réunion. Vieille femme aux allures de sorcière, elle apparaît en tant que telle dans les contes narrés aux Réunionnais.

Des contes où différentes versions se côtoient mais dont l'issue reste toujours tragique pour cette esclave, dépeint en oiseau de malheur.

Selon les versions, dans sa jeunesse Grand-mère Kal, fut une esclave, prénommée Kal, épousant un esclave marron chef d’une République noire. On lui attribue la dénonciation de l’esclave marron. Pour cela, elle sera tuée.

Kala a pu également apparaître dans certains contes comme une méchante propriétaire. En effet, on raconte que, près de Mahavel, dans le Sud de l’île, elle abrite dans sa maison des condamnés pour leur faire commettre des méfaits. Chaque fois qu’un voyageur passe à proximité, Granmèr kal lui propose de venir boire un verre chez elle. Si le malheureux a de l’argent sur lui, les condamnés le traquent pour le voler et le précipiter dans un ravin.

"Au départ Granmèr kal est une esclave qui s'appelait Kala Kala", nous explique Anny Grondin, illustre conteuse de La Réunion. "Un jour, cette tisaneuse d'origine malgache a soigné l'enfant de son patron." Un patron qui par la suite et grâce à cet acte de guérison a fait le choix de l'affranchir, de la libérer de ses chaînes.

"C'est à ce moment-là que Kala Kala est partie du côté de la ravine des huîtres – rebaptisée bassin 18 – à Saint-Pierre. Là elle a construit une cabane", poursuit Anny Grondin. Kala Kala devint ensuite mère, puis grand-mère. Mais selon la légende, sa fille se serait suicidée. Élevant seul son petit-fils, un jour, "le petit marmaille a eu un accident et serait tombé dans un ravin. C'est là que Granmèr kal se serait transformée et serait devenue mauvaise".

L'autre version, raconte toujours l'histoire d'une esclave. Kala Kala, jeune femme malgache qui aurait eu un enfant avec son propriétaire. L'enfant grandit, pensant avoir les mêmes droits que les autres enfants du propriétaire, jusqu'au jour où "li la gagn son koud d'boi avec le propriétaire", raconte Anny Grondin.

"Le kèr Kala fé mal et là Kala li sa va", ajoute la conteuse. "Avec ses dons de prévoyance, la tisaneuse alerte un village côté Grand Sable d'un danger. Ceux qui l'on écouté sont partis et les autres sont décédés dans l'effondrement situé dans la rivière des Remparts.  "C'est à partir de là qu'on a associé Granmèr kal à un oiseau de malheur".

Autre légende à laquelle Granmèr kal a donné vie. Celle d'une mère d'un enfant "différent". "Il était un peu bête et les autres marmailles le tapaient. Un jour, le marmaille s'est approché d'une falaise et est tombé." C'est depuis ce jour que, selon l'histoire, "Granmèr kal s'est transformée en mauvaise personne et que la légende d'une femme attrapant les enfants surgit", conte Anny Grondin.

Une légende qui a donné vie au jeu "Granmèr kal, kel èr i lé".

- Kala... esclave assimilée à Halloween malgré elle -

Dans les années, c'est donc cette légende, du moins cette partie sombre de légende qui a été retenue, donnant vie à l'image de Granmèr kal telle une sorcière pour Halloween.

"Dans la légende li fé pèr et du kou bana la voulu kréoliz la fèt d'Halloween ek Granmèr kal. Bana té koz in sorsièr dessu in balié soman ké Granmèr kal té ek in sat maron ek son kapline", raconte Anny Grondin. "In nafèr i sort déor i met Granmèr kal pou kréolizé."

Une créolisation que déplore la conteuse. "Le mois de novembre il y avait des croyances, des superstitions, c'est de cela qu'il faut parler, pas Granmèr kal."

"Souvent zot i koné le nom Granmèr kal, ti Jean, Sitarane mais pas le zistoir mèm."

L'un des hommage rendu à Kala, fut les deux chansons écrites et chantées par le groupe Ziskakan.

"C'était la période sans télé, sans radio, sans tourne disque, le soir on nous racontait des histoires avant de dormir comme l'histoire de Granmèr kal. Il y avait de l'émotion, de la peur, du rire, presque des pleurs", raconte Gilbert Pounia.

"J'ai grandi avec ça et c'est comme ça que le premier texte est venu. Ça nous rappelait les bons souvenirs de la famille et les raconteurs d'histoires."

Une mémoire qu'il souhaite faire perdurer. "Je tire mon chapeau à Anny et aux autres mais j'aimerais que dans les écoles on n'efface pas la mémoire réunionnaise", dit-il.

"Je ne suis pas contre une autre culture mais il faut valoriser la nôtre aussi."  "C'est dommage que l'on soit obligé de travailler en tant que militants alors que l'histoire de La Réunion devrait couler de source."

"On dit de Granmèr kal qu'elle vole les enfants mais ce n'est pas seulement ça", poursuit le chanteur de Ziskakan.

Toutefois – si l'histoire de Granmèr kal reste assimilée à une vielle sorcière – Anny Grondin salue les professeurs qui dans les écoles, "essayent de divulguer ces histoires traditionnelles".

"Dans les écoles on a fait un grand pas, avec des personnes qui s'impliquent et font rentrer le patrimoine et ça permet de rendre les enfants curieux", ajoute Gilbert Pounia.

- Une légende pour créoliser un phénomène américain -

Pour l'historien Laurent Hoarau, "on a pris Halloween comme quelque chose de nouveau alors que cela existait déjà au 19ème siècle et jusqu'au année 50". "Il y avait un mardi Gras où on se déguisait et on allait dans le chemin pour un grand défilé populaire à Saint-Denis."

(Photos : Iconothèque de l'Océan indien)

Selon lui, "on a utilisé Granmèr kal pour faire quelque chose de local avec Halloween et participer au processus de créolisation. "Cela permettait de toucher les jeunes à La Réunion."

"Il ne faut pas voir Halloween et Granmèr kal comme deux logiques qui s'opposent", souligne Laurent Hoarau. "Dans la créolisation il y a une logique complémentaire, associée à la culture extérieure et on le fait tout le temps avec la culture malbar, africaine, chinoise, malgache… on a un creusé commun."

"L'histoire péi n'est pas mise de côté, c'est juste qu'on la replace par ce biais-là", poursuit l'historien. "On crée quelque chose d'hybride, sans tout américaniser."

ma.m/www.imazpress.com/redac@ipreunion.com

guest
0 Commentaires