"Ils ne savaient pas que c’était impossible. Alors, ils l’ont fait ". Il y a du Mark Twain dans Hassen Patel. L’organisateur de l’Ultra Trail des Géants (175 km et 11 000 m D+) et du futur Ultra Terrestre en mai prochain (224 km et 14 000 m D+) était en effet totalement étranger au monde du trail il y a quelques années encore. Avec son équipe, il propose des courses sur des sentiers durs mais inédits, avec un accent particulier mis sur la sécurité des traileurs et la mobilisation de gîteurs sur tout le parcours. Entretien avec un ultra-passionné bienveillant (Photo rb/www.imazpress.com)
Hassen Patel le reconnaît sans ambages : il ne connaissait strictement rien au trail il y a 3 ans. "Quand des amis m’ont proposé de faire la Zembrocal, j’ai cru qu’on allait pique-niquer en montagne" dit-il.
Et pourtant, en 18 mois, Hassan Patel a réussi à créer un éco-système complet et cohérent : une demi-douzaine d’ultras organisées cette année, un salon du trail annuel au Parc des Expositions de Saint Denis et une équipe de 20 champions réunionnais au nom de l’UTOI (Ultra Trail de l’Océan Indien) au programme ambitieux.
- Un trail encore jamais vu -
Après avoir marqué les esprits avec les affiches en 4x3 qui annonçaient la première édition de l’Ultra Trail des Géants (UTG) en début d’année, Hassan Patel vient de réaliser un gros coup médiatique en annonçant le rajout d’un 5ème étage à la fusée UTOI : en plus de l’UTG (175 km, 11 000 m D+), de la Speed Goat 117 (128 km, 8 000 m D+), du Méga Trail de l’Ouest (82 km, 3 250 D+) et du Trail des Pétrels (44 km, 2 200 D+)… le 8 mai prochain, à 6h du matin, à Saint Philippe, sera donné le départ de l’Ultra Terrestre, un trail XXL de 224 kilomètres et plus de 14 000 m de dénivelé positif.
Autrement dit, du jamais vu sous nos latitudes ! L’information a été reprise par L’Équipe, Ouest-France, Outside...
- Conserver "un côté humain" à l'ultra trail -
"Nous avons 270 inscrits à ce jour. Et on n’ira pas au-delà des 300. Je veux conserver un côté humain à nos courses. Je préfère moins de monde, mais bien géré". Nous avons voulu en savoir plus sur ce nouveau venu dans le monde du trail : son parcours, ses objectifs et ses projets.
Hassen Patel a 58 ans, il est marié et père de deux grandes filles. Il est le discret et souriant gérant de 2 centres de formation (prépa médecine et prépa aux concours de la fonction publique) qui accueillent une centaine d’étudiants par an. Il se dit" passionné de sports automobiles".
Il faut lui tirer les vers du nez pour apprendre qu’il préside le Karting Club de Bourbon (KCB) et qu’il a officié longtemps comme directeur de courses, en France et à l’international.
"Je suis passionné par les défis. Je n’avais jamais pris un dossard, mais des amis ont commencé à m’en parler au restaurant qui me sert de cantine. J’ai découvert un monde à part, un sport simple mais comportant des risques" dit-il.
- Passionné par les défis -
"J’ai été attiré par le combat des coureurs contre eux-mêmes. Alors, j’ai commencé à faire des recherches sur les courses, les coureurs, les règles, etc. Et puis, je me suis lancé en décembre 2023 avec la Boucle du Cœur de l’Est. Vous savez, je ne suis pas médecin et je gère un centre de prépa aux professions médicales. En revanche, je m’y connais en pédagogie" ajoute Hassen Patel.
La deuxième course (le Trophée de l’Océan Indien, calé sur le salon du trail) a dû être décalée en juin à cause des dégâts causés par le cyclone Belal.
Un mal pour un bien, puisque le report a permis à Hassen Patel et son équipe de mener à bien les 4 courses de l’UTOI en mai. Alors que beaucoup de sceptiques sur l’île lui prédisaient au mieux le bouillon, au pire, un accident.
Certes, le peloton est resté modeste avec environ 500 coureurs inscrits sur la première édition de l’ensemble des 4 courses, soit près de 15 fois moins que l’ensemble des coureurs inscrits sur les 5 courses du Grand Raid en octobre dernier. Mais les traileurs étaient apparemment contents des parcours innovants, des balises GPS individuelles, des ravitaillements dans des restaurants et gîtes du parcours et… des polos de qualité "Moin la fé" !
- Un ultra trail XXL -
Alors, comment est venue l’idée d’un ultra XXL ? "Depuis le départ, j’avais l’ambition de proposer une grande course . De nombreux coureurs réunionnais sont capables de faire du très très long, au-delà des 100 miles classiques (160 kilomètres)" souligne-t-il.
"Mais pour eux, participer au Tor des Géants (330 km, 24 000 m D+) ou à la SwissPeaks (370 km, 27 000 D+), c’est loin et très cher. Alors, avec mon équipe, on a mixé le parcours de l’UTG et de la Boucle du Cœur de l’Est pour proposer l’Ultra Terrestre (en référence au surnom donné à l’icône du trail, Kilian Jornet), un parcours qui tutoie tous les cirques et sommets de l’île, à l’exception du Grand Bénare" poursuit Hassen Patel.
- Les coureurs de La Réunion comme cible principale -
Sa cible principale : les coureurs locaux. Mais des champions de niveau international ont déjà pris leur dossard : les français Antoine Guillon, Benat Marmissolle et Claire Bannwarth, surnommée "Lapin DuDuracell" (première du classement scratch du Tahoe 200 Miles Endurances Run en 2023, 11è du Tor des Géants cette année, excusez du peu !) ont déjà signés.
Précision importante : ils n’ont pas été invités, ils ont payé leur inscription comme tout le monde. On compte aussi déjà parmi les inscrits des Belges, des Italiens, des Equatoriens, des Kenyans, des Sud-Africains, des Antillais et évidemment des Mauriciens et des Malgaches.
Forcément, tout le monde se pose la même question : comment vous vous en sortez financièrement ? : "Nous avons voulu garder des frais d’inscription contenus, en-dessous de 1 euro/km. Le coût de l’inscription est ainsi de 220 € sur l’Ultra Terrestre. Ils ne nous ont pas permis d’équilibrer le budget de la première édition (la sécurité - avec 22 médecins, 46 infirmiers, 18 kinés, 2 podologues, une douzaine d’ambulances -, mais aussi les prestataires pour les ravitaillements, le chronométrage, les polos et les médailles et les prize money, uniques à La Réunion, qui ont tant fait jaser en début d’année)" détaille Hassen Patel.
- Aucune subvention -
"On n’a reçu aucune subvention. On s’en sort grâce aux bénévoles et aux partenaires (Edena, City Sport…). Mais on ne cherche pas à faire de l’argent. Sur la première édition, on a terminé à – 25.000 euros. On ne pourra pas perdre de l’argent éternellement, mais je suis confiant pour atteindre l’équilibre rapidement" ajoute-t-il.
Deuxième sujet qui turlupine la (grande) planète du trail réunionnais : comment diable avez-vous eu l’autorisation du Parc et de l’ONF de passer par le Kiosque d’Affouches pour l’arrivée sur Saint Denis ?
"On a déposé notre dossier auprès de l’ONF et du Parc. Leurs 2 seules remarques exprimées concernent la Ravine des Lataniers et le tronçon Bébour-Bélouve. L’interdiction de passage de peloton de traileurs entre le point géodésique et le Kiosque d’Affouches court du 1er août au 31 mars (ndlr : la saison de nidification des fameux mais invisibles tuit-tuits). Donc, ça devrait être validé" assure Hassen Patel, tout sourire.
"On m’avait aussi dit qu’on ne pouvait pas organiser un salon du trail en 3 mois. J’ai dormi 3 heures par nuit pendant 3 mois, mais on l’a fait !" continue notre interlocuteur.
- Quelle différence avec le Grand Raid ? -
A quelles modifications les coureurs doivent alors s’attendre pour la deuxième édition de l’UTOI ?
"On mettra plus de bénévoles. Plus de moyens encore sur les ravitos. On conserve nos balises GPS, mais on aura en plus une équipe de sécurité dédiée au suivi en temps réel des coureurs. Les parcours ne changent pas non plus, sauf l’arrivée qui se fera au stade de La Redoute et plus au stade olympique de Saint Paul qui est pris par d’autre événements sportifs sur le même week-end. Je rêve d’une arrivée en centre-ville de Saint Denis, comme à Chamonix pour l’UTMB…".
L’équipe de directeurs de course reste la même que pour la première édition, à l’exception de Patrick Jourdain : Kevin Bonnabeau, Christopher Camachetty, Irshad Rahim Khan et Stéphane Ferrère. "On garde également le principe de non-sélection à l’inscription : nos barrières horaires sont déjà dures, on fait confiance aux coureurs, on ne leur demande pas de courses qualificatives".
On ne pouvait pas terminer l’interview sans poser la question qui fâche : mis à part la date dans le calendrier, et maintenant, l’Ultra Extrême, qu’est-ce qui différencie le Grand Raid de l’UTOI ?
"J’ai mis l’UTOI en mai pour laisser les coureurs pouvoir faire le Grand Raid en octobre. Nos courses rapportent des points ITRA (International Trail Running Association, qui fournit un classement mondial des traileurs, sur lequel certains organisateurs s’appuient pour accepter ou refuser des candidats sur leurs courses), donc, non, on n’est pas en concurrence" note Hassen Patel.
- "Les traileurs disent qu’il y a une chaleur humaine sur nos courses" -
Il préfère reprendre les paroles de coureurs à l’issue de la première édition de l’UTOI : "les traileurs nous disent qu’il y a une chaleur humaine sur nos courses, plus d’écoute, de bienveillance et de respect de la part de nos équipes que sur d’autres courses" dit-il.
"Remettre l’humain au cœur de la course" : les spécialistes reconnaitront la patte de l’un des directeurs de course de l’UTOI, Christopher Camachetty, champion réunionnais (vainqueur du Trail des Anglais en 2023), ancien président du club d’athlétisme possessionnais du Caposs et "accessoirement" élu à la mairie de la Possession délégué à Mafate.
Précision : ce ne sont pas seulement les coureurs de l’UTOI qui ont été chouchoutés, les bénévoles également. Quand les premiers dévoraient des carris feu de bois aux ravitaillements mafatais, les seconds avaient des chambres réservées dans des gîtes pour faire des pauses.
Résultat logique : l’UTOI a de meilleures relations avec les Mafatais que le Grand Raid…
- Emmener l’élite réunionnaise aux championnats de France de trail -
Dernier sujet qui fait jaser dans les clubs de trail de l’île : la création d’un Club de l’UTOI, une équipe composée de 20 champions et championnes réunionnaises. Avec en tête de gondole chez les hommes, Judicaël Sautron (7ème du dernier Grand Raid et premier Réunionnais) et Fabrice Payet (vainqueur de la première édition de l’UTOI) ; Hortense Bègue (2ème féminine du Royal Raid l’an dernier) et Amélie Huchet (1ère féminine du Beachcomber Trail de Maurice et du Raid 974 cette année) chez les femmes.
Certains critiquent le côté fermé du Club UTOI. Hassen Patel préfère souligner les moyens mis en place et les ambitions de sa Team : "Chacun.e s’entraîne comme il/elle l’entend, mais les athlètes se retrouvent une fois par mois pour une formation de 48 à 72 heures : préparation physique et mentale, coaching nutritionnel…" indique Hassen Patel.
Le but est d’emmener l’élite réunionnaise aux championnats de France de trail, en juillet prochain, à Val d’Isère . Mais Hassen Patel voit plus loin : "la course des Trophées de l’Océan Indien se déroulera à Madagascar en 2025. On travaille également sur 2 autres courses à Maurice et Mayotte en 2026. Et en ligne de mire, l’équipe a les Jeux de l’Océan Indien en 2027, où le trail sera proposé pour la première fois comme discipline officielle".
Autrement dit, on devrait revoir Hassen Patel sur les lignes d’arrivées ou dans les sentiers de l’île pendant encore quelques années.
xl/www.imazpress.com / [email protected]
C'est un article ? ou une campagne de communication ?
Mais Missouk, c’est une blague? Ils ont le droit d’innover non?
C'est bien d'innover, mais aujourd'hui il y a bientôt un trail voire deux par week-end. Les inscriptions ne sont pas données, les bénévoles pas toujours faciles à trouver, et les sponsors vont commencer par se faire plus rares... Créer de nouveaux trails pour que d'autres mettent la clé sous la porte n'est pas une solution très plaisante!