La tendance se renforce depuis quatre ans : la consommation d'ecstasy à La Réunion est en augmentation. Recherchée par des publics souvent jeunes, cette drogue fait partie intégrante de certaines soirées sur l'île. De quoi inquiéter les addictologues. Ils redoutent une banalisation de cette drogue et constatent une utilisation supérieure à la moyenne nationale. (Photo d'illustration)
Des soirées où les cachets d'ecstasy circulent de main en main, Jérémy* en a fait des tas. Consommateur habituel pendant un temps, il a préféré arrêter aujourd'hui, sentant qu'il avait de plus en plus de mal à faire la fête sans son cachet. Sans diaboliser pour autant l'ecstasy, il regrette une démocratisation de cette drogue, qui peut pousser toute personne à en prendre sans en connaître les effets.
"Certains jeunes ne peuvent littéralement plus s'en passer. Je me souviens avoir croisé un groupe une fois qui ne trouvait pas de cachets et qui était désespéré, pour eux la soirée était foutue…" raconte-t-il. "Moi ce que je crains c'est qu'on finisse par banaliser l'ecstasy alors que ça reste une drogue."
- Des mélanges dangereux pour les addictologues -
Un cachet d'ecstasy peut entraîner, selon son dosage, des effets euphorisants pendant 6 à 8 heures. Si elle n'est pas classée parmi les drogues hallucinogènes, la substance provoque des effets euphorisants, une "ultra conscience" nous explique Bruno*, consommateur occasionnel. "Moi je pense qu'il y a moins de risques d'être dépendant de l'ecstasy dans le sens où ça reste une drogue de soirée, pour faire la fête, pour faire corps avec la musique. Après oui les spécialistes conseillent de ne pas en prendre plus d'une fois tous les trois mois" explique-t-il.
Ce qui devient dommage voire dangereux pour lui, c'est la consommation hors soirée et celle qui devient "quasi systématique". Lui même avoue connaître dans son entourage des amis qui ont du mal à s'en passer quand il s'agit d'aller faire la fête.
Pour les spécialistes et addictologues justement, la peur se concrétise dans les mélanges. Car si l'ecstasy a cet effet réputé euphorisant, les médecins, eux, constatent parfois les effets négatifs d'une mauvaise descente en cas de consommation excessive : déshydratation, anxiété, irritabilité… mais aussi vomissements et convulsions en cas d'excès.
"Le 'binge-drinking' (alcoolisation ponctuelle importante ou API, ndlr) que l'on peut observer chez les jeunes s'accompagne souvent d'associations avec d'autres produits, cocaïne ou ecstasy…" confirme l'addictologue David Mété. "Nous avons été surpris par les dernières analyses urinaires effectuées sur des patients consommateurs quotidiens : on y trouve des amphétamines, du crystal, des substances très addictives qui vont bien plus loin que la MDMA, le composant essentiel de l'ecstasy".
Il y a de cela deux semaines, le docteur raconte avoir examiné un cachet à l'aspect étrange. Soupçonnant un produit franchement douteux face à ce comprimé rugueux, l'addictologue l'a retourné dans tous les sens jusqu'à comprendre : il s'agissait d'un cachet d'ecstasy mélangé à du crystal.
- Des habitudes qui évoluent -
De son nom barbare "méthylènedioxyméthamphétamine", la MDMA est le composant-clé de l'ecstasy. Interdite depuis 1970 en France comme le rappelle Le Monde, elle est souvent appelée "drogue de l'amour" pour son effet empathogène.
"Il semble que la consommation à La Réunion soit supérieure à la moyenne nationale. Nous avons eu l'occasion de faire analyser des comprimés d'ecstasy de fabrication locale qui contiennent des taux de MDMA supérieurs à la moyenne européenne" indique alors David Mété. Ce n'est pourtant pas l'effet ressenti par les consommateurs, plusieurs d'entre eux expliquent au contraire estimer l'effet en-deça des produits disponibles sur le sol métropolitain.
De façon générale, la teneur en MDMA a augmenté de 135% entre 2008 et 2017, selon Le Monde : "aujourd’hui, un cachet d'ecstasy contient, en moyenne, entre 132 et 181 mg de MDMA, une dose considérée comme élevée".
Mais chargé ou non, le cachet se vend sur l'île. Selon l'Observatoire français des drogues et des toximanies (OFDT), les habitudes des Réunionnais en matière de drogue évoluent. Un rapport complet sur les drogues et addictions dans les Outre-mer datant de juin 2020 révèle que l'usage détourné de médicaments "perd en attractivité" et que les jeunes générations d'usagers "se tournent davantage vers des drogues illicites telles que la cocaïne et la MDMA/ecstasy dont la disponibilité s'est accrue depuis les années 2010". 1,6% de la population réunionnaise, dans la tranche des 15-64 ans, a déjà consommé de la cocaïne ou de l’ecstasy, 4% ont déjà essayé au moins une drogue dite hallucinogène.
Aucune donnée précisément chiffrée ne permet hélas de quantifier cette augmentation, pourtant confirmée par les consommateurs comme les addictologues. L'OFDT promet justement de suivre avec plus de précision les habitudes locales, depuis l'an dernier.
- Un trafic maintenu malgré les saisies -
Pour Bruno, l'ecstasy se démocratise au point d'être parfois "plus facile à trouver que du zamal", dans certains contextes de soirées. "J'ai été impressionné du nombre de personnes qui en consommaient en soirée électro, j'ai même vu un mec passer avec une bande passante affichée sur son téléphone : 'qui a des taz ?' (cachets d'ecstasy, ndlr)" se souvient-il.
C'est contre cette disponibilité que les douanes essaient de lutter. A l'aéroport les saisies se renforcent, sans pour autant mettre fin au trafic. Pas plus tard que fin octobre, un jeune homme de 23 ans comparaissait pour import d'ecstasy et cocaïne. La mule avait alors été contrôlée avec plus de 2.500 cachets scotchés à son corps. En avril dernier, trois individus avaient été condamnés pour trafic d'ecstasy après la découverte de 5.000 cachets chez l'un d'eux.
Comme le rappelle le journal Le Monde, les précurseurs chimiques utiles à la fabrication d'ecstasy en Europe proviennent avant tout de laboratoires, souvent installés en Pologne ou en Belgique, et contrôlés par des groupes criminels chinois ou néerlandais, les leaders sur le marché. A La Réunion, les produits consommés étant essentiellement importés, leur prix va du simple au double en comparaison avec l'Hexagone.
- Entre 20 et 25 euros le cachet -
Un cachet d'ecstasy se vend entre 20 et 25 euros à La Réunion, contre 10 euros en Métropole. Une différence de tarif qui vaut aussi pour la cocaïne, vendue entre 120 et 200 euros le gramme sur l'île contre 60 euros dans l'Hexagone.
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Un cachet est donc loin d'être accessible à tout le monde, d'autant plus sur une île où 38% de la population se trouve sous le seuil de pauvreté. A défaut de pouvoir "s'offrir" un cachet d'ecstasy, certains jeunes se tournent donc vers la chimique, dont les effets dévastateurs dans les quartiers pauvres ne sont plus à prouver.
Ce mélange de tabac, d'alcool et de cannabinoïdes de synthèse s'est avant tout répandu à Mayotte, où l'usage de chimique est rapidement devenu un problème de santé publique. Peu chère, elle agit vite. Une "drogue du pauvre" qui s'oppose donc à l'ecstasy, davantage recherchée en soirée. "A Saint-Gilles, ça circule énormément près des clubs" témoigne Jérémy.
Pour lui, les autorités sont en retard dans la lutte contre la consommation d'ecstasy. C'est justement parce qu'il est passé du côté de la prévention aujourd'hui qu'il préfère taire son vrai prénom, par peur des représailles dans son milieu. Pourtant il alerte le préfet, l'ARS et les élus : "on fait une semaine de sensibilisation sur l'alcool, une journée sans alcool… c'est bien, très bien même. Mais on ne voit pas qu'aujourd'hui ce sont des cachets d'ecstasy que les jeunes recherchent en soirée".
mm/www.ipreunion.com / [email protected]
*Prénoms d'emprunt afin de préserver l'anonymat des personnes interrogées

continuez à interdire le cannabis et vous aurez de plus en plus de drogues fortes,la répression et la prohibition sont des échecs coûteux et inefficaces depuis 50 ans mais en France on est lent à la compréhension et surtout on a des politiciens qui vivent sur une autre planète.....
Dans le temps, drogue circulant plutôt dans les milieux gays.