Cinq ans après l’envoûtant « Hors Sol »,Carlo de Sacco et sa bande de semeurs de graines reviennent avec Zamroza. Un troisième album terrestre, cosmique, qui célèbre une fois encore une chanson créole sans frontières, pleine de rage et de tendresse. (Photos Ti'Manioc)
En dix ans d’existence, Grèn Semé, actuellement en tournée métropolitaine, a montré combien les langues créole et française forgent un univers artistique singulier. Du terreau fertile de son imagination a grandi Zamroza, le dernier album du groupe, disponible en version digitale depuis le 28 octobre (sortie physique le 18 novembre).
Deux titres phares du dernier album Zamroza ont fait récemment l’objet d’un clip. Dans « A quels Saints ? », faut-il y voir la quête de principes et de valeurs devant guider nos actions ?
Ce sont des clés de lecture car il y a beaucoup de points d’attache dans le texte. Perdu spirituellement, L’Homme cherche au dehors la lumière qu’il a au fond de lui en se tournant vers le plus offrant. Pour replacer les choses dans leur contexte, j’ai écrit cette chanson après les attentats de Paris, car je me demandais comment être aussi perdu au point d’écouter le premier venu te dire comment agir au nom d’une religion et de l’éloigner du divin. Autre degré de lecture, la place de la femme dans les croyances, à travers ce jeu de mots qui fait le parallèle entre le fait que l’homme est perdu tant spirituellement que sexuellement à en oublier la place de l’amour. Je ne me pose ni en donneur de leçon ni en influenceur, je donne juste des pistes de réflexion dans une société où les vraies valeurs ont tendance à se perdre.
« Daniel », en revanche est un clip plutôt sombre dans lequel tu évoques le thème du suicide…
En effet, c’était un thème qui me tenait à cœur pour des raisons personnelles. Ayant toujours eu un caractère de battant, je me suis demandé comment un homme pouvait en arriver là alors qu’il n’était pas seul. J’étais sur la plage et les paroles et la mélodie me sont venues spontanément, ce qui est rare. Pour moi, il y a deux façons de combattre : écrire des chansons qui parlent de la beauté de la vie et combattre le feu par le feu, c’est-à-dire plonger dans l’atmosphère d’une personne qui va passer à l’acte. Alors oui, c’est très sombre mais j’estime qu’il est important de donner de l’espoir parce que la vie est belle et le soleil brillera toujours le lendemain.
Et plus généralement, qu’y a-t-il d’autre sur Zamroza ?
Une douzaine de titres abordant des thèmes tels l’écologie, l’amour, l’amitié, la mort, l’identité réunionnaise à travers des morceaux comme Utopie, Le Trou dans mon armure. Ou encoreDésobéir qui traite de l’éducation des enfants dans un contexte où même si on doit changer les mentalités, on éduque à ne jamais désobéir dès l’école. Un genre de pied de nez ou comment dire non quand tout le monde dit oui, parce que c’est souvent la désobéissance civile qui a apporté les progrès humains et sociaux (les 35 heures, les congés payés, la marche du sel de Gandhi…), ! Bref, j’estime que les choses avancent dans la désobéissance. Il faut arriver à prendre du recul mais ça ne s’apprend pas forcément à l’école malheureusement.
En 2013, sort le premier album « Grèn Sémé », suivi en 2016 de « Hors sol ». Puis « Zamroza » en 2022… Estimes-tu avoir gagné en maturité ?
Avant on était hors sol et maintenant on est devenu un pied de bois… Gagné n’est pas selon moi le bon mot, mais le fait est qu’en vieillissant, on nivèle un peu les choses. Charlélie Couture disait : « Les artistes ça fait d’abord et pensent après ». Encore une fois, j’aime désobéir au formatage. Au-delà des textes, la musique de Grèn Sémé est libre, on est un peu des cabris sauvages et on ne cherche pas la notoriété, ni à plaire au plus grand nombre.
Pourquoi « Zamroza » ?
Zamroza parce qu’il y en a beaucoup dans les ravines, c’est très bon, quand le fruit est mûr il a un goût de rose délicieux. Mais personne n’en fait plus cas. C’est une façon de dire qu’on ne voit pas la beauté des choses qui nous entourent. Malheureusement, l’homme s’habitue à tout et c’est valable pour plein de choses de la vie. Zamroza c’est aussi un peu la rose de maloya dans le sens où dans notre culture, on a trop tendance, et moi le premier, à en occulter la fragilité. Il y a des choses qu’on juge sauvages, trop communes et qui finalement sont magnifiques.
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Ode à la vie
Zamroza a nécessité trois ans de travail durant lesquels Carlo et ses dalons ont cherché sans relâche leurs sons, leurs mots... Ils se sont enfermés un mois et demi, en une sorte de marathon créatif, dans les studios MDC Prod, à Saint-Louis, pour enfanter ce disque qu’ils ont réalisé de A à Z. De cette collaboration, émane un son massif, puissant, qui joue aussi, virtuose, avec un arc-en-ciel de nuances et un chatoiement d’influences savamment imbriquées : maloya, musique indienne, électro, rock, chanson française, transe tribale... Dans cette jungle sonore poussent des histoires à travers une galerie de personnages. Grèn Sémé évoque la religion, la perte de repères, de boussoles et la place des femmes dans les croyances (À quels saints ?). Le groupe sème avec Gaël Faye, guest de choix, la poussière « la même toujours dans l’air », quel que soit l’endroit du globe, celle que l’on sème, celle que l’on remue, celle qui nous fabrique (Poussière). En un titre lyrique et déchirant, il nous emmène à Bhopal, ville sinistrée par une catastrophe chimique en 1984, en compagnie du maître Lakshminaryana Ambi Subramaniam au violon et de Maruthuvakudi Thiagarajan aux tablas (Bhopal). Il évoque nos rêves limités et l’immensité du ciel (Game Over), clame la puissance du tambour malbar qui rythme le quotidien et les émotions à La Réunion (Tanbour). Dans Le Trou dans mon armure, il dresse un tableau irrésistible de l’amour filial, et dans Daniel, il peint avec délicatesse le suicide d’un ami. La naissance, la mort, en chanson : le défilé d’une vie...
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Chez Ti Roule à Saint-Leu, fin novembre
Après une tournée métropolitaine d’une quinzaine de jours qui emmène actuellement Grèn Sémé d’Angers à Amberieu en passant entre autres par Brassac les mines (63), Saint-Agrève (07) et bien sûr Paris aux Trois Baudets, retour à La Réunion où le groupe se produira chez Ti Roule à Saint-Leu, le 27 novembre.
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