À "bout de souffle" pour la Cour des comptes

Octroi de mer : "bouc émissaire de la vie chère", mais "indispensable" pour l'économie réunionnaise

  • Publié le 15 mars 2024 à 12:08
  • Actualisé le 15 mars 2024 à 12:13

Pour la Cour des comptes, c'est clair et net… l'octroi de mer n'a plus lieu d'être. Impôt avec une mauvaise réputation et fustigé par le gouvernement, qui alourdirait le pouvoir d'achat, il est cependant défendu par les élus de La Réunion, qui considèrent que le réformer "serait dangereux". Une taxe qui, si elle est à "dépoussiérer", reste indispensable aux collectivités et à la production locale. Région, Département, Associations des maires… pour eux, l'exécutif fait un faux procès à l'octroi de mer, devenu véritable "bouc émissaire de la vie chère" et se trompe de coupable (Photo : rb/www.imazpress.com)

Depuis la crise des gilets jaunes, l'octroi de mer est pointé du doigt : il serait la raison même de la vie chère à La Réunion. Serge Hoareau, président de l'association des maires, s'étant ainsi offusqué lors d'une réunion de sénateurs, évoque "le fait que c'est un faux procès que nous faisons à l'octroi de mer".

"Si cette réforme est mise en œuvre elle va générer l'appauvrissement des Réunionnais car elle concerne à la fois les collectivités locales, la production péi et les consommateurs", fustige Huguette Bello.

"Ce gouvernement veut faire des économies, mais ces économies si elles sont faites, le seront sur le dos des consommateurs", peste-t-elle. Écoutez.

- Un impôt essentiel aux collectivités locales -

"L'octroi de mer est une ressource financière pour les collectivités qui permet de faire fonctionner l'économie" insiste Serge Hoareau.  "Si on réforme l'octroi de mer, on peut déposer les clés des mairies devant la préfecture", a-t-il lancé ce jeudi 14 mars 2024 lors d'une réunion à la Région.

"Entre 25 et 46% des recettes de fonctionnement des collectivités viennent de l'octroi de mer. Si elles disparaissent nous ne pourrons, plus assurer nos missions de service public", craint le maire de Petite-Île. Écoutez.

Des collectivités qui font fonctionner l'industrie de La Réunion. "Si on enlève cette réforme on ne pourra plus lutter contre l'importation et il y aura des fermetures d'industries", alerte Michel Dijoux, président de l'ADIR (Association des industries de La Réunion). Écoutez.

Pour Bruno Robert, vice-président de la Chambre d'agriculture, "la fonction originelle de l'octroi de mer est de protéger la production locale qui est notre coeur de bataille. Toucher à cela c'est un choix de société. Est-ce que La Réunion veut être demain une terre de consommation ?"

Selon Serge Hoareau, "il faut apporter les bonnes réponses et arguments pour aider au refondement et lancer une étude qui va devoir prendre en compte la situation, l'autonomie financière et la protection des productions locales". Écoutez.

Pour cela, "il faut pouvoir décortiquer la façon dont sont construits les prix à La Réunion et connaître les chiffres que l'État a en sa possession", ajoute-t-il.

- "La TVA renchérit plus que l'octroi de mer" -

À La Réunion, l'octroi de mer, cet impôt décrié, est une taxe qui concerne l'ensemble des produits importés, sauf ceux de première nécessité. Et ce avec des taux variant entre 10 et 30% en fonction de s'il existe sur le territoire une production locale.

Pour les élus locaux, l'exécutif se trompe de coupable. "quand on voit la liste des produits du Bouclier qualité prix (BQP) il n'y a pas d'octroi de mer, par contre il faut regarder le taux de prélèvement de la TVA fait sur cette liste", lance la présidente de Région.

Huguette Bello citant en exemple le savon de Marseille. "Ce produit a 0% d'octroi de mer et 8,5% de TVA. C'est pareil pour les produits d'entretien."

"Alors quand on dit que l'octroi de mer est la colonne vertébrale de la vie chère à La Réunion, c'est insensé."  "La TVA renchérit plus que l'octroi de mer sur le produit final", ajoute Michel Dijoux.

Dans un tableau remis à la presse par la Région, on peut y voir différents produits du BQP. Hormis l'exemple du savon de Marseille donné par la présidente de la collectivité, de nombreux produits importés exonérés de l'octroi de mer sont cependant soumis à la TVA.

Tel est le cas de la margarine 500 grammes ou du papier aluminium dont la TVA s'élève à 8,5% ou encore les haricots verts très fin ou le thon en morceaux taxés à hauteur de 2,10%.

- Les élus demandent plus de transparence -

"La première des lacunes de cet octroi de mer, c'est l'opacité et le manque de transparence sur la construction des prix", note Jocelyn Cavillot, vice-président de l'OPMR.

"Il est nécessaire d'avoir plus de transparence dans la gouvernance qui est faite par la collectivité et sur les prix et l'impact lui-même de l'octroi de mer."

La transparence sur la formation des prix, c'est également "ce que souhaite la population", ajoute Bernard Picardo, président de la Chambre des métiers et les élus.

D'après une étude menée par l'OPMR, "on arrive à un taux moyen de taxation d'importation de 7,5%. Sur l'impact de l'octroi de mer sur la chaine de formation des prix, nous avons ciblé entre 4 et 6% en moyenne", précise-t-il.

"Quand vous êtes sur un territoire qui importe 75% de ce que vous consommez il y a des coûts comme le fret, les assurances qui ont une importance dans cette chaine de formation des prix et quand le fret explose ça augmente."

Face à ce souhait de réforme l'octroi de mer, l'Observatoire des marges, des prix et des revenus (OPMR) avait, il y a quelques temps, émis des recommandations.

"L'une de nos propositions a été de dire qu'il faut plus de transparence pour rendre traçable l'octroi de mer dans la chaîne de valeur."

L'OPMR a également évoqué la mise en place "d'une taxe régionale pour remplacer l'octroi de mer et régler ces problématiques d'opacité et de formation des prix". Une taxe qui doit tout de même être indépendante de la TVA pour que les collectivités gardent leur indépendance dans la gestion de cette taxe.

"On propose également que la gouvernance soit élargie à l'ensemble des acteurs concernés par l'octroi de mer", poursuit Jocelyn Cavillot.

- Réformera, réformera pas ? -

Dans un rapport publié mardi 5 mars, l'institution estime que la taxe sur les produits importés dans les départements et régions d'Outre-mer "tend à enfermer les économies ultramarines dans un modèle peu porteur d'avenir". Avec 1,6 milliard d’euros récoltés en 2022, la taxe représente une recette majeure et en forte hausse depuis 2014 pour les collectivités ultramarines – 32 % de leurs ressources globales et jusqu’à 57 % des dépenses de fonctionnement des communes.

"Le temps semble venu de réformer en profondeur une fiscalité désormais à bout de souffle à de nombreux égards et qui ne répond plus aux enjeux structurels auxquels font face les outre-mer", affirme la Cour.

La Cour envisage trois scénarios possibles pour l'avenir de la taxe, dont un statu quo qui "paraît devoir être écarté" et un "scénario de rupture" avec sa suppression d'ici à 2027 et sa substitution par une ressource alternative, par exemple une TVA régionale.

Des recommandations font écho à la décision prise en juillet par le gouvernement - dans le cadre du comité interministériel de l’outre-mer - d'engager une réforme de l'octroi de mer.

Lire aussi - La Cour des comptes appelle à totalement réformer l'octroi de mer

Lire aussi : Comité interministériel des Outre-mer : l'octroi de mer au coeur des discussions

Ce que ne veulent pas les élus, c'est de cette réforme. "Nous ne voulons pas que Bercy vienne dépouiller La Réunion", lance Huguette Bello. "Il faut une concertation, or une concertation nous n'en avons eu aucune", déplore-t-elle.

La collectivité et les élus reconnaissant tout de même "qu'il faut dépoussiérer l'octroi de mer sans toucher ses fondements" et surtout pas "de façon brutale", ajoute Cyrille Melchior, le président du Département.

L'octroi de mer "fait partie des grands équilibres de La Réunion, il protège les productions locales, les collectivités et s'il était réformé ces grands équilibres seraient en péril", indique Cyrille Melchior.

Huguette Bello en appelle "à la sagesse du gouvernement". "Imposer une réforme à marche forcée est dangereux."

Si l’octroi de mer n’est ni le seul ni le principal facteur expliquant la cherté de la vie par rapport à la France hexagonale, il joue un rôle significatif compte tenu de son assiette, reposant sur des biens importés et pour une part très limitée sur des produits locaux.

Selon l’Insee, les écarts de prix à la consommation entre les départements et régions d’outre-mer et la France hexagonale continuent de croître en 2022. Ces hausses sont plus marquées depuis 2015. Ces écarts varient selon les territoires : de 9 % à La Réunion et jusqu’à 16 % en Guadeloupe.

Reste une réalité partagée, ce sont avant tout les produits alimentaires, qui proviennent pour 60 % de l'Hexagone, qui expliquent ces écarts (+42 % en Guadeloupe, +39 % pour la Guyane, +37 % à La Réunion et +30 % pour Mayotte).

Lire aussi - Des prix plus élevés de 9 % à La Réunion, jusqu’à 37 % pour l’alimentaire

Lire aussi - "On peut dépoussiérer l'octroi de mer, mais agir de façon si brutale ce n'est pas normal" estime Huguette Bello

ma.m/www.imazpress.com/redac@ipreunion.com

guest
2 Commentaires
HULK
HULK
4 mois

Svp,informez vraiment les gens. L'Octroi de mer profite surtout aux collectivités locales et finance parfois leurs errements financiers. Alors certes, s'il n' y avait pas cette taxe, les impôts augmenteraient, mais politiquement ce serait plus difficile à gérer. Alors que là, les gens payent et ne s'en prennent pas aux politiques CQFD.

Gestionnaire
Gestionnaire
4 mois

L'OM a été perverti par nos décideurs élus.
Faut savoir : qui paye ? C'est toujours la masse des consommateurs que nous sommes, riches et pauvres... plutôt les pauvres plus nombreux (si c'est ça nous défendre ?). A quoi ça sert ? A faire vivre "dignement " les collectivités locales qui affectent cet impôt au budget de fonctionnement. C'est à dire à entretenir leur électorat par des embauches dites sociales et inutiles... souvent.
Moi, payeur de cet OM depuis des années, je dis NON. A force de regarder l'état de nos communes cet argent supplémentaire est mal utilisé. Comment font les collectivités de métropole ? Elles gèrent correctement et dignement... je demande donc à nos élus d'en faire de même avec NOTRE argent au lieu de le dilapider dans des voyages inutiles, embauches partisanes et repas... voire même tenues vestimentaires. Ça c'est le "foutan" extrême !!!!