A l'aube d'une rencontre improbable entre le sommet de l'Etat et la base de notre société laborieuse et malade, une question me revient en tête : qu'avons-nous fait ou pas fait pour en arriver là ? Où est notre part de responsabilité dans la tournure que prend notre destinée commune, et que d'aucun ont prédit depuis bien avant 1991 ?
L’émergence d’une nouvelle société que beaucoup appelle de leurs vœux ne peut se construire sans un constat (auto) critique lucide et honnête de nos égarements. De même, la réussite de cette imminente négociation exige que nos hérauts jaunes soient conscients des arguments du camp d’en face sur nos points faibles. Se victimiser ou conspuer des boucs émissaires faciles est exactement ce qu’il faut faire pour rater le tournant. C’est d’autant plus difficile d’exorciser ses travers que culturellement nous nous considérons comme faisant pitié. Il convient alors de n’oublier personne dans cette introversion au cœur des principales composantes antagonistes.
A tout seigneur tout honneur les gilets jaunes sont un tsunami social conscient de sa force, fier d’une dignité collective retrouvée mais ignorant ses faiblesses. Sa spontanéité et la légitimité de ses revendications largement partagés et incontestables (pauvreté, illettrisme, faiblesse du pouvoir d’achat, chômage, etc.. ) font oublier que tant sur le plan collectif que sur le plan des comportements individuels nous sommes loin d’être vertueux. Beaucoup de naïveté dans ce mouvement. Comment faire prévaloir ses doléances sans mesurer la complexité de la réalité, sans avoir l’expérience de la négociation ? Quand on entend certaines revendications irréalistes on peut craindre sur les chances de réussite de la démarche. La radicalisation n’est pas une position tenable dans la durée.
Il faut de la consistance. Grossière erreur ce lynchage du personnel syndical et politique. Alors que certain(e)s sont à la fois vertueux et expérimentés. N’a ton pas une ex ministre qui a géré la crise guyanaise par exemple ? Toutes les conquêtes passées viennent d’un travail syndical également. Pressentez -vous qu’à la fin de cette aventure non maitrisée, pro et anti gilets jaunes feront sortir des urnes l’extrémisme pour des motivations pourtant opposées ! Voyez le résultat du Front National à la Réunion récemment. Après Macron on aura le choix entre Lepen ou Mélenchon. D’un mouvement populaire nous glisserons vers un mouvement populiste..
Autre exemple : comment peut-on se croire démocrate et parler au nom du peuple sans savoir si on est majoritaire ? Il y a 850.000 personnes à la Réunion. Qui n’aiment peut être pas tous le jaune. Et individuellement, parmi les participants à ce mouvement pacifiste tourné vers un avenir meilleur et plus juste, qui a réfléchi en tant que réunionnais gilet jaune à nos travers bien loin du souci d’un bien être partagé dans un esprit de solidarité?
La destruction en cours , par bon nombre d’entre nous, de notre cadre de vie (par exemple les dépôts d’ordures sauvages), à la surconsommation abêtissante productive de diabète ou d’obésité record, à la désinvolture de certains agents de service public, qui oublient la chance inouïe qu’ils ont de bosser sous la protection d’un statut qui disparaitra tôt ou tard ? Quelle société accouche d’une mère de famille qui vient se servir naturellement dans un magasin éventré avec son enfant ? Le bénévolat associatif se raréfie, les gens ne votent pas et ne s’engagent pas en politique préférant critiquer ceux qui en font plus ou moins mal et vont le weekend à l’hyper marché pour engraisser les enseignes.
Si on prétend vouloir remettre les choses à plat il faut le faire vraiment. Et prendre conscience que chacun essaye de profiter du système. Il y a un enjeu bien plus important que le pouvoir d’achat, la survie de notre âme créole..
Et que dire de nos entreprises qui n’ont pas d’autre choix que de produire pour distribuer les prélèvements et autres cotisations ? Et à qui on reproche de vouloir faire et profiter des bénéfices fruits de leur travail. Pourtant, leur challenge dans ce nouveau deal est de reconnecter avec l’opinion peut être par une meilleure implication citoyenne dans la vie de proximité (petits parrainages, recrutement social quitte à baisser un peu les marges) ou dans la considération portée à leurs salariés. En tous cas les augmentations sauvages injustifiées et immorales de certains commerçants de leurs étiquettes depuis le début de la crise s’apparente à du vol.
Pire que les casseurs. Intolérable ! Honte à eux.
Et n’oublions pas le personnel politique tant décrié à raison : au-delà des dérives et dérapages ici ou là d’élus cupides désormais insupportables, le reproche majeur sous -jacent c’est à la fois son incapacité à apporter des réponses aux problèmes chroniques et surtout son habitude récurrente à vendre de l’illusion électoraliste ancestrale en oubliant que le corps électoral a changé. Retour de boomerang en pleine figure.
Nos concitoyens ont besoin de pédagogie pas de clientélisme ; d’un discours fondé sur le courage, l’effort et la solidarité partagée dans un monde qui vacille. Expliquer que gouverner c’est choisir et choisir c’est renoncer surtout quand les marges de manœuvre sont limitées : il faut plus de policiers, plus de personnel hospitalier, plus d’enseignants, il faut augmenter les minimas sociaux, les retraites, plus de prisons plus d’établissements scolaires.
Mais en même temps il faut diminuer les taxes, impôts et prélèvements en tous genres, il faut désendetter l’Etat pour éviter le cataclysme aux générations futures. Et il faut surtout assurer une transition écologique rapide pour éviter les catastrophes déjà annoncées qui nous attendent dans ce siècle vers 2050.
Comment fait-on alors ? On dépense avec quel argent ? On fait payer les " riches " comme M’Bappé ou Carlos Ghone, ou plus près de nous M Ravate ou M Leclerc ? On supprime les indemnités des élus ? Si l’opinion de couleur jaune le pense c’est que les élus n’ont pas expliqué que la réalité n’est pas manichéenne.
Et en final le seul vrai courage qui vaille, ce n’est pas de tout demander à la France hexagonale ni de chanter la marseillaise les pieds sur le bitume, mais de s’attaquer avec tous ses congénères à la question du statut non pas institutionnel dérisoire mais économique , juridique, fiscal et social de notre ile sans avoir peur des épouvantails anachroniques. Nos représentants élus, les petits maires et les grands présidents autistes, auront alors gagné en crédibilité auprès des sans culottes, du tiers-états et des bourgeois la cour, dont je fais partie avec ou sans gilet, la couleur important peu en final…
Beaucoup de monde connait cette phrase du Président Kennedy " ne demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous. Demandez ce que vous pouvez faire pour votre pays "…
Jacques Rivière