Tribune libre d'Evelyne Corbière-Naminzo

La loi visant à renforcer la lutte contre les violences sexistes et sexuelles débattue au Sénat

  • Publié le 2 avril 2025 à 20:18
  • Actualisé le 2 avril 2025 à 20:22
évelyne corbière

Nous débattrons au Sénat ce jeudi 3 avril d’une Proposition de Loi visant à renforcer la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Cette cause nécessite des mesures fortes, et je regrette que ce texte ait progressivement perdu de son ambition. (Photo photo Sly/www.imazpress.com)

Alors que le texte initial proposait l’imprescriptibilité civile des viols commis sur des mineurs, cette disposition a été supprimée au fil des discussions. En vue du débat en séance publique ce jeudi, je défendrai donc d’intégrer à la loi l’imprescriptibilité civile des agressions sexuelles sur mineurs.

L’enquête de la CIIVISE (Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles Faites aux enfants) a révélé que les faits sont prescrits pour 75% des victimes ayant témoigné, et que l’abolition des délais de prescription est la demande la plus formulée de la part des victimes.

En effet, de nombreuses victimes de violences sexuelles dans l’enfance n’ont pas pu porter plainte, pour des raisons variées : menaces ou manipulations de la part des agresseurs, manque de crédit accordé à la parole des enfants, ou amnésie post-traumatique - un phénomène bien courant. Or, la réception d’un avis de classement sans suite pour cause de prescription est vécue comme une injonction à l’oubli (et même au pardon), comme si le droit d’être reconnu et écouté s’était éteint. 

Loin de « menacer la paix sociale », l’imprescriptibilité civile des viols sur mineur serait une manière de permettre aux victimes d’être reconnues comme telles, d’autant que ces violences et les traumatismes liés impactent lourdement la situation financière des victimes.

Plusieurs pays ont ainsi instauré l’imprescriptibilité des infractions sexuelles sur mineurs à l’image de la Suisse, de la Belgique ou du Danemark. D’autres ont rendu imprescriptibles l’ensemble des infractions sexuelles quel que soit l’âge de la victime au moment des faits, comme le Canada et le Royaume-Uni. La France ne doit pas manquer cette occasion.

La prescription glissante, instaurée en 2021 pour les viols sur mineurs, permet de prolonger le délai de prescription d’un délit ou crime sexuel si la même personne viol ou agresse sexuellement un autre enfant par la suite. Elle permet de juger l’ensemble des faits commis par des agresseurs sériels, et représente donc une avancée. Lors des débats, je proposerai d’étendre la prescription glissante à toutes les victimes, mineures et majeures.

La Proposition de Loi initiale visait également à intégrer aux violences psychologiques des précisions inspirées du concept sociologique de contrôle coercitif.

La proposition de loi telle que nous la débattrons jeudi n’emploie plus les termes de « contrôle coercitif », mais intègre néanmoins les comportements s’apparentant à cette notion dans le cadre des dispositifs réprimant le harcèlement sur conjoint. 

Ce harcèlement est défini comme des « propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet de restreindre gravement la liberté d’aller et venir de la victime ou sa vie privée ou familiale, de contraindre sa vie quotidienne par des menaces ou des pressions psychologiques et financières ou de la placer dans une situation de particulière de vulnérabilité ». L’ensemble de ces agissements servent à maintenir la victime captive du contrôle d’un conjoint violent.

Je défendrai plusieurs modifications pour étoffer cette définition. Je proposerai d’élargir la restriction à la vie professionnelle de la victime. En effet, le contrôle peut passer par le fait de contraindre une personne à ne pas travailler. Or, c’est justement grâce à l’autonomie financière permise par sa vie professionnelle qu’une victime pourra plus facilement s’émanciper de son conjoint violent.

Je proposerai d’ajouter que les pressions peuvent être économiques ; plus larges que les pressions financières, les pressions économiques peuvent revêtir diverses formes, comme la gestion exclusive par l’homme du compte joint, ou la privation de ressources, plaçant la femme en situation de demande, même pour les achats quotidiens de la famille. Nous savons que ces situations sont hélas trop fréquentes.

Je défendrai également l’ajout des violences numériques, telles que la surveillance des messageries, qui perturbent les relations de la victime avec ses proches et renforcent son isolement.

Par ailleurs, de nombreux auteurs de violences utilisent le système judiciaire comme un levier pour prolonger leur contrôle coercitif, y compris après la séparation, souvent sous couvert de l’exercice de leurs droits parentaux. Ils exploitent le système judiciaire, et multiplient les recours. J’ai donc déposé un amendement pour mieux sanctionner l’usage abusif de dispositifs ou d’institutions.

Je défendrai également la prise en compte de ces faits de contrôle coercitif dans l’exercice de l’autorité parentale. Enfin, je proposerai que ces faits de contrôle coercitif puissent permettre à la victime d’un tel contrôle de bénéficier d’une ordonnance de protection immédiate.

J’espère que le Sénat se dotera de moyens à la hauteur de ses ambitions pour mieux protéger les victimes de violences sexuelles.

Evelyne Corbière-Naminzo 

Sénatrice de La Réunion 

Vice-Présidente de la Délégation sénatoriale aux Droits des Femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes

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