Tribune libre de Paul Vergès

"La situation dans le 101ème département français est explosive"

  • Publié le 5 juin 2016 à 11:38

Le sénateur Paul Vergès a adressé un courrier au Premier ministre Manuel Valls ainsi qu'au ministre de l'intérieur Bernard Cazeneuve, concernant la situation à Mayotte. Nous publions ci-après l'intégralité de la missive.

Monsieur le Ministre,

Depuis deux semaines, la situation dans le 101° département français qu'est Mayotte est explosive. En effet, des collectifs de villageois mènent des expulsions à l'encontre de celles et ceux qu’ils considèrent être "étrangers" ; ces "étrangers" sont chassés de leur domicile, leurs maisons sont brûlées ; ces "étrangers" sont accusés d‘être à l'origine de l'insécurité. Tous ces actes sont généralement commis de nuit. Pour l‘heure, ces exactions violentes bénéficient d'une impunité totale.

Les victimes de ces actes incroyables sont originaires pour la plupart des Comores ou de Madagascar. Certains sont en situation régulière, d'autre non. Ces enfants, ces femmes, ces hommes - un bon millier de personnes aujourd'hui, dont 380 pour la seule journée de dimanche - s‘entassent sur la place centrale de Mamoudzou. Une place mal nommée "Place de la République".

A Mamoudzou, où sont les valeurs et règles de la République, où est le respect des libertés, de l'égalité et de l'universalité des droits ? Les réseaux sociaux diffusent des images de scènes qui ne sont pas sans rappeler celles que l'on vu lors de guerres civiles.

Par ailleurs, hier lundi, une vidéo a été publiée sur les réseaux sociaux. On y voit un homme, parlant en shimaoré, qui menace Mayotte d‘actions terroristes. Cet homme serait un Comorien installé en Egypte. La menace est claire: "Au nom de dieu, je le jure au nom de dieu, on vous promet devant dieu le tout-puissant que nous allons conquérir Mayotte par le djihad. nous allons faire couler le sang de la population de Mayotte".

La menace a été suffisamment sérieuse pour que la DGSI ait été saisie de l'affaire. Une enquête a été ouverte. Lors d'une conférence de presse, le préfet de Mayotte a affirmé que la présence des expulsés place de la République ne débouchera pas sur l'attribution de logements. Bien évidemment, cette déclaration a contribué à l'augmentation des tensions déjà très vives : jet de pierres et gaz lacrymogène.

La deuxième réponse de l'Etat a été de "poursuivre l'intensification de la lutte contre l'immigration clandestine", pour reprendre les propos du nouveau préfet de Mayotte. Plus de 200 personnes seraient des "clandestins". Les conditions d’accueil dans le centre de rétention administrative ont été dénoncés par les observateurs.

Ces événements doivent être rajoutés à cet autre drame qui se joue entre Anjouan et Mayotte. avec les naufrages de kwaæa-luvassa sur lesquels embarquent des candidats au voyage à cause du visa imposé pour entrer à Mayotte. C'est une tragédie aussi grave que celle des réfugiés qui traversent la Méditerranée sur de fragiles embarcations. Tous ces événements mettent gravement en cause l'Etat de droit

Nous connaissons tous les complexités et contradictions du contexte historique de l’archipel des Comores, mais en tout état de cause, rien ne peut justifier de telles violations des droits humains.

Enfin. ces événements à Mayotte vont concerner La Réunion: elle est particulièrement concernée au titre de la solidarité indianocéanique ; en outre, la
poursuite de ces violences fait peser de lourdes craintes sur la cohésion sociale réunionnaise.

Mais au delà de La Réunion. c'est toute la cohésion de l'océan Indien, notamment de la commission de l‘océan indien qui est menacée. La France en assure aujourd’hui la présidence. Au moment où l‘on s’apprête à fêter le 30° anniversaire de cette structure - que la France a initiée - son existence est fragilisée.

Nous souhaitions attirer votre attention sur cette extrêmement tendue, et souhaiterions connaître les mesures que vous envisagez de prendre pour que les droits humains soient respectés.

Nous vous prions d‘agréer, Monsieur le Ministre, l'expression de notre haute considération.

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