Il y a deux mois, le 15 février 2023, disparaissait « le Dali local », Vincent Mengin-Lecreulx. L’artiste qui a marqué d’une empreinte indélébile l’histoire de l’art à La Réunion, laisse derrière lui, avec son Lieu d’Art Contemporain, un patrimoine artistique unique au monde et véritable trésor pour La Réunion et la France. À (re)découvrir ce mercredi 12 avril 2023 sur Réunion la 1ère dans le documentaire « Hors Cadre » dont la musique a été composée par Pablo Mengin (photos DR).
Il disait souvent être entré dans l’Art avec une foi absolue, comme d’autres entrent en religion. Vincent Mengin-Lecreulx, disparu le 15 février dernier, a voué sa vie entière à la création. Avec son épouse, Roselyne, ce couple amoureux et passionné a formé durant 43 ans un duo d’audace et de courage, que Vincent lui-même surnommait les deux catcheurs invaincus du Lieu d’Art Contemporain de La Réunion (LAC). Une métaphore bien choisie pour ce couple hors norme qui a combattu toute sa vie pour bâtir un lieu unique au monde au cœur de l’océan Indien.
Vincent Mengin-Lecreulx a construit et réalisé Le Palais aux 7 Portes, un musée consacré aux 28 artistes venus en résidence au LAC pendant les 20 premières années. Puis, Vincent s’est concentré sur ses propres créations en réalisant le Sanctuaire Fantastique, véritable musée à ciel ouvert regorgeant de ses sculptures monumentales et de ses installations stupéfiantes. Enfin, il y a la Chapelle Mengin, gigantesque cabinet de curiosité protéiforme dédié à ses propres œuvres.
Grâce à l’arrivée du numérique à la fin des années 90, en véritable passionné de cinéma, Vincent filme avec son œil d’artiste obsessionnel tout ce qui se passe au LAC : les artistes en résidences, les ateliers de pratiques artistiques avec les scolaires et bien sûr sa propre création. Il constitue ainsi de véritables et précieuses archives audiovisuelles sur l’histoire du lieu.
Pablo Mengin signe la musique de ce documentaire « Hors Cadre » diffusé - justement - dans le cadre de l’émission Archipels et qui outre retracer l’incroyable parcours de Vincent, met également en lumière la complicité artistique qui l’unissait à sa fille Aurélia, fondatrice et directrice du Festival Même pas peur.
• Trois questions à Aurélia Mengin
Vous avez dédié la dernière édition du festival Même pas peur à votre père disparu une semaine avant. Comment allez-vous depuis ?
Pendant un an et demi, j’ai mis ma vie en stand bye et entre parenthèses pour m’occuper de mon père et je suis d’ailleurs rentrée à La Réunion pour pouvoir le faire… Contrairement à des gens normaux qui vivent une chimio de façon peut-être plus classique, mon père a continué à créer des œuvres non-stop et des films sur sa façon de travailler, parfois plus de dix heures par jour. Et moi je réalisais un film et préparais le festival en parallèle.
Nous étions tous les deux dans cette dynamique qu’on avait en commun et qui nous a permis à ma mère, mon frère et moi de tenir. Certes, la dernière édition de Même pas peur a été très difficile car mon père est décédé une semaine avant et que je me devais de lancer le festival où tout le monde m’attendait.
Ce fut compliqué mais pendant ces quelques jours, et notamment le soir de l’ouverture où j’ai honoré sa mémoire à travers un long texte rendant hommage à son travail et salué par une standing-ovation émouvante, je pensais pourtant ne pas arriver. C’est étonnant cette force qu’on peut puiser en nous mais il y a aussi cette force de l’amour qui nous guide et nous porte.
Depuis, je pense à lui tout le temps parce qu’on était très fusionnels, on l’est toujours. Quand je suis à La Réunion, je vis à l’étage au-dessus de ses œuvres et je ressens sa présence tous les jours, tout comme ma mère d’ailleurs, avec cette constante impression qu’il veille sur nous.
Quand on perd un père, c’est toujours terrifiant, on n’ose pas en parler aux gens, à part à ses proches, de peur de les souler. De mon point de vue, j’ose en parler parce que j’ai cette chance de pouvoir être le témoin du travail d’un homme et du patrimoine qu’il laisse. Pour moi, il est toujours vivant à travers ce patrimoine et c’est ce qui m’aide à faire mon deuil.
De son vivant, papa était terrifié par la mort, il voulait être immortel et était obnubilé par l’idée ce qu’il laisserait pour l’avenir. Il disait : « Je m’adresse à ces gens qui ne sont pas encore né », et a toujours porté en lui ce besoin de marquer son passage à travers le LAC et ses créations, contrairement à moi qui n’ai pas peur de ma propre mort, si ce n’est de celle des gens que j’aime.
Depuis sa disparition, les hommages se multiplient, comme si la mort était un révélateur d’une prise de conscience de la valeur de votre père. La diffusion de ce documentaire en est la preuve. Que ressentez-vous ?
Je ne l’ai pas encore vu, je vais donc le découvrir ce soir. Ma mère et mon frère s’en réjouissent. Je savais que ce documentaire était dans les tuyaux mais je n’étais pas au courant de sa diffusion ce soir, je l’ai appris via les réseaux sociaux à mon réveil ce matin. Je verrai le moment venu, si j’ai la force de le voir parler et de ne pas fondre en larmes.
J’ai beaucoup pleuré avant sa mort mais pendant toute sa chimio, il me demandait de le faire rire, de combattre à ses côtés et me disait qu’on n’était pas là pour parler de cancer mais d’art, c’est donc ce que j’ai fait pendant un an et demi.
Encore aujourd’hui, je n’ai pas le temps de pleurer parce que je veux justement me battre pour la reconnaissance du LAC auprès de ma mère. Je veux être à la hauteur de ce qu’il laisse et ça c’est un vrai combat qui jusqu’à présent bloque mon canal émotionnel à mon avis. Pourtant j’aimerais pleurer pendant trois-quatre jours mais je n’y arrive pas parce qu’il m’a confié cette responsabilité avant sa disparition. Ce qui m’empêche d’être une fille qui peut pleurer son père normalement.
Quid de l’avenir du LAC désormais ?
C’est un patrimoine pour la France, pas que pour La Réunion.
Il a certes une grande notoriété, pourtant selon mon père, il n’était pas assez reconnu au vu du travail effectué et il manquait surtout d’aides, de soutien et de financement. Pourtant papa n’était pas un artiste mendiant, il ne s’est jamais plaint et s’est battu comme il a pu avec ses moyens. Mais pour moi, la valeur qu’on porte à quelqu’un, c’est aussi l’argent qu’on lui donne pour soutenir son œuvre.
Se battre avec autant de force pendant 43 ans pour avoir démocratisé l’art contemporain auprès plus de 40 000 élèves réunionnais à travers de vraies visites, des ateliers avec les artistes et au final n’avoir aucune aide, était pour mon père une forme de méconnaissance et aussi d’ingratitude, et il en a souffert.
Alors certes, après son décès, nous avons eu d’innombrables messages de soutien émanant de partout, de la classe politique d’ici et d’ailleurs mais il est primordial désormais que les institutions locales répondent positivement quant on vient taper à leur porte.
Le LAC doit continuer à vivre, nous devons l’entretenir sinon il va mourir et là mon père sera mort pour de bon ! Ma mère, du haut de ses presque 70 ans, ne peut pas entretenir seule 7000 m2 consacrés à l’art.
Il faut que la ville de Saint-Pierre, la Région, le Département, la communauté de communes, les ministères des Outre-Mer et de la Culture prennent conscience du potentiel de ce lieu unique au monde. Il faut maintenant savoir si on reste les bras ballants en attendant que les lieux se dégradent ou au contraire si on passe de la parole aux actes. La question est posée…
vw/www.imazpress.com/redac@ipreunion.com
Archipels consacré à Vincent Mengin-Lecreulx, ce mercredi 12 avril à 19h45 sur Réunion la 1ère
Découvrez également le LAC sur le site web entièrement renouvelé www.palais7portes.com