2 euros le litre d'essence, mythe ou réalité ? Au regard de la situation internationale, notamment les troubles au Moyen Orient et en Afrique du Nord, et des conséquences sur le prix du baril de pétrole, la question mérite d'être posée. Deux enseignants à la faculté de droit et d'économie de l'île, Philippe Jean-Pierre et Julien Baddour, analysent la situation.
Depuis la fin de l'année 2010, le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord vivent une révolution sans précédent. Ben Ali est tombé en Tunisie, Moubarak a abandonné le pouvoir en Egypte et la pression est de plus en plus importante sur Khadafi en Lybie. Sans oublier les mouvements qui touchent le Maghreb, le sultanat d'Oman, Barheïn ou encore le Yemen. Cette "révolte pour le pain et pour la liberté", selon les termes utilisés par Julien Baddour, n'est pas sans conséquence sur le marché international, et notamment le prix du baril de pétrole (159 litres). Philippe Jean-Pierre ajoute que "des facteurs structurels" participent également à cette hausse des prix. "En hiver, la demande en pétrole est plus importante", signale t-il. Les deux économistes rappellent aussi le rôle important de "spéculateurs" dans cette flambée.Il y a un an, en mars 2010, le prix du baril de pétrole avoisinait les 80 dollars sur le marché londonien. Au début de l'année 2011, son prix avoisinait les 95 dollars. Au 4 mars 2011, le prix du baril dépassait les 115 euros, soit une hausse de près de 50% en un an. Et la crise en Libye, qui fait partie des producteurs de pétrole, n'a fait qu'accentuer la flambée. Sur les 15 derniers jours, le prix du baril est passé de 103 dollars à 116 dollars. "Le marché est soumis à de fortes tensions", analyse Julien Baddour qui prédit une "envolée des prix" si la situation ne se stabilise pas dans la zone. De là à dépasser le record de 2008 de 145 dollars le baril de pétrole ? "Rien n'est moins sûr si la contagion se propage aux grands pays de la péninsule arabique", rétorque Philippe Jean-Pierre qui évoque même un baril à 200 dollars à terme. Avis que partage Julien Baddour.
Quelle conséquence cette flambée du prix du baril a-t-elle sur les prix à la pompe et donc sur le porte-monnaie des consommateurs ? "Vu le nouveau système de fixation des prix à La Réunion (ndlr- révision mensuelle des prix de l'essence et du gaz pour mieux coller à l'évolution du marché international) les répercussions de cette hausse ne vont pas tarder à se faire sentir", affirme Julien Baddour. Déjà en Métropole, la hausse ne s'est pas faite attendre. Le prix du litre de sans plomb 95 est d'environ 1,49 euros, celui de sans plomb 98 d'environ 1,52 euros et celui de gazole de 1,33 euros. Et les spécialistes prévoient que ces prix vont "battre les records de septembre 2008" cette semaine.
"Depuis la mise en place du nouveau système de révision, il y a une certaine convergence entre les prix de Métropole et ceux de La Réunion", précise Julien Baddour. En clair, les prix vont augmenter dans les prochains mois. De combien ? "Impossible de le savoir. Il y a beaucoup trop de facteurs en jeu. Le prix du baril, les marges des différents acteurs, les taxes, les cours de l'euro et du dollar...", expliquent les spécialistes.
Mais la tendance à la hausse pour les mois qui viennent est déjà confirmée par la préfecture. Dans son dernier communiqué annonçant les nouveaux prix pour mars, elle indique qu' "il est malheureusement à craindre que les fortes tensions sur le marché du pétrole, dues aux évènements actuels qui bouleversent certains pays producteurs, ne se traduisent par une évolution défavorable des cours et des prix au cours des prochaines périodes". Un bien mauvais présage pour le 1er avril prochain.
Jusqu'où les prix à la pompe peuvent-ils augmenter ? Devra t-on bientôt payer notre litre d'essence à 2 euros ? Scénario "possible mais improbable" selon Julien Baddour, du moins dans ce contexte de crise économique. "Les coûts du carburant pèsent sur le budget des familles. Les salaires stagnent et les coups de rabots se multiplient. Une telle hausse risque de provoquer des troubles sociaux importants", souligne t-il, en faisant notamment référence aux transporteurs. Analyse que partage Philippe Jean-Pierre. "Economiquement, cette hausse est possible. Politiquement, elle ne l'est pas. L'Etat devra enclencher un certain nombre de leviers pour ne pas provoquer d'instabilité sociale", juge t-il.
Là encore, les deux économistes se rejoignent. "Si la flambée se poursuit, l'Etat et les pétroliers devront absorber une partie de la hausse des prix. L'Etat en réduisant ses taxes, les pétroliers en diminuant leurs marges", ajoute t-il. Voeu pieu ou réelle possibilité ? "Même si les consommateurs sont habitués à utiliser leur véhicule, ils diminueront forcément leur consommation avec un litre d'essence à 2 euros. Tout le monde aura intérêt à limiter la hausse", assure Julien Baddour. Selon lui, si l'intervention de l'Etat s'avère nécessaire, "cela risque de porter un coup à la timide reprise économique qu'on enregistre actuellement".
Philippe Jean-Pierre rappelle quant à lui qu'une hausse importante des prix à la pompe va avoir des conséquences sur toute l'économie. "Les prix des billets d'avion vont augmenter. Les prix de marchandises vont augmenter. Cela va provoquer une véritable inflation", détaille l'analyste. Mais il y voit aussi un aspect positif. "La hausse du prix de l'essence pourrait avoir un effet vertueux, nous obligeant à revoir notre façon de consommer et de nous déplacer. Nous devrions alors nous pencher sur une politique d'aménagement et de déplacement moins dépendante de la voiture", termine-t-il.
Mounice Najafaly pour
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