Conseil régional - Plan Ordinateur portable

POP : entre aubaine et catastrophe économique

  • Publié le 5 mars 2011 à 06:00
Vendredi 4 Mars 2011

3A informatique

Promesse de Didier Robert lors de la campagne des régionales, le Plan Ordinateur Portable (POP) de la Région a été lancé en octobre 2010. Près de 18 000 lycéens ont pu bénéficier d'un bon de 500 euros pour récupérer un ordinateur portable aux caractéristiques bien spécifiques (écran de 13 pouces, disque dur de 250 Go, système d'exploitation sous GPL, mot de passe administrateur...) auprès d'un des 90 revendeurs agrées par la Région. 6 mois après, le bilan du côté des professionnels est contrasté. Alors que certains se disent "très satisfaits" de l'impact économique de ce projet, d'autres parlent de "catastrophe économique". C'est le cas de Jean-Marie Le Charles, gérant de 3A informatique, actuellement en proie à de graves difficultés financières "à cause de ce plan". Il évalue le montant de ses pertes à près d'un million d'euros.


La société 3A informatique est installée sur l'île depuis près de 7 ans. En quelques années, elle a réussi à s'ancrer dans le paysage informatique local et a crée le concept d' "ordinateur péï". Elle fait partie des 90 revendeurs agrées par la Région pour distribuer ces machines. Revendiquant 17% de part de marché dans l'informatique, Jean-Marie Le Charles décide de commander 4 000 ordinateurs POP auprès de Toshiba. Coût de l'opération, plus d'1,8 million d'euros. "Les configurations des ordinateurs POP étant bien spécifiques, nous ne pouvions pas commander des appareils de série. Nous avons nous même installé les logiciels dans les 4 000 ordinateurs. C'est un travail énorme. D'où un coût de revient plus élevé", explique le chef d'entreprise.

6 mois après le lancement du plan régional, Jean-Marie Le Charles n'a vendu que 1 300 ordinateurs POP, soit une perte de près d'un million d'euros. Les conséquences sont immédiates. Sur cette période, l'homme a dû se séparer de 12 salariés sur un effectif de 43 personnes et songe à fermer un magasin. Et le professionnel ne peut même pas espérer écouler le stock restant. "Les caractéristiques étant spéciales, ce matériel est invendable", précise t-il.


Pourquoi une perte aussi considérable ? Le POP n'a-t-il pas eu le succès escompté ? Au contraire. Selon le conseil régional, au 24 février 2011, 15 400 bons d'achat avaient été imprimés. Pour quelle raison la société 3A informatique se retrouve-t-elle aujourd'hui en difficulté financière ? L'entrepreneur pointe du doigt les grandes surfaces et autres entreprises non spécialisées dans l'informatique. La Région leur a accordé le droit de vendre les ordinateurs POP, "ce qui a faussé la donne", commente le gérant de 3A informatique.

Pourtant, selon le chef d'entreprise, la convention signée entre la Région Réunion et les revendeurs "écartait de facto les grandes surfaces". Il base son argumentaire sur l'interprétation d'un terme. La convention est passée entre le conseil régional et des "professionnels de l'informatique", peut-on lire dans le document. Jean-Marie Le Charles est clair sur le sujet : "les grandes surfaces et beaucoup d'autres magasins qui ont signé la convention ne sont pas des professionnels de l'informatique". 



"Les contraintes techniques sont trop importantes pour que les grandes surfaces puissent répondre convenablement à toutes les exigences", insiste le chef d'entreprise. "Elles utilisent l'ordinateur POP comme un produit d'appel. Ce n'est pas le cas pour les vrais professionnels qui en font leur c?ur de métier. Aujourd'hui, ce sont les professionnels de l'informatique qui souffrent, pas les grandes surfaces", souligne-t-il.



Interprétation que ne partage pas Philippe Rousseau, président de l'Artic (Association réunionnais des professionnels des technologies de l'information et de la communication) qui distingue "professionnel de l'informatique spécialisé" comme 3A informatique et "professionnel de l'informatique généraliste" comme les grandes surfaces ou les magasins Ravate. "Tout le monde a le droit de participer à cette campagne tant qu'il répond au cahier des charges de la Région", explique t-il. 



Patrice Togam, gérant de DistriPC abonde dans le sens du président de l'Artic. Il impute les difficultés de 3A informatique plutôt à un "problème de gestion". "Je déplore ses difficultés économiques mais il faut être réaliste. Il a eu les yeux plus gros que le ventre", commente t-il. Ce que confirment plusieurs professionnels interrogés. Jean-Marie Le Charles refuse quant à lui de parler d'erreur stratégique. "Si je savais que les grandes surfaces allaient faire partie des revendeurs, jamais je n'aurais commandé autant d'ordinateurs", assure t-il. 



"La Région a crée une concurrence déloyale en faveur des grandes surfaces en leur permettant de signer la convention", fustige Jean-Marie Le Charles. Ce que contredisent Philippe Rousseau, mais aussi Romuald Jaslier, gérant de Cyberdock. Selon eux, "les grandes surfaces n'étaient pas vraiment à la fête avec le POP". "Elles n'ont pas atteint les objectifs fixés" confie Romuald Jaslier. "Le gain a été minime par rapport au temps qu'il leur a fallu pour configurer les ordinateurs", ajoute t-il. 



Sans aller jusqu'à parler de "concurrence déloyale", des professionnels confirment avoir été "surpris" par la présence des grandes surfaces sur la liste des revendeurs. C'est le cas de Jean-Marc Péquin, dirigeant de ISA Informatique. Mais pas de quoi mettre en difficulté son entreprise. Sa société a écoulé 700 ordinateurs depuis le lancement du plan, ce qui lui a permis de dégager une marge nette de 15 000 euros environ. "C'est pas mal pour une entreprise de taille moyenne", se félicite Jean-Marc Péquin. "J'ai simplement commandé petit à petit pour ne pas avoir de stock trop important", complète t-il. 



Jean-Marie Le Charles souhaite désormais mettre un terme "par tous les moyens" à cette pratique de "concurrence déloyale". Il songe notamment à un recours contre les grandes surfaces pour "concurrence déloyale" ou devant le tribunal administratif pour demander l'annulation des conventions passées entre la collectivité et ces grandes surfaces. De fait, cela lui permettrait de "tenter de redresser la barre" à la rentrée prochaine, lors de la distribution de nouveaux bons d'achat POP. 



Le chef d'entreprise est bien conscient que la bataille sera difficile. "C'est un peu la lutte du pot de terre contre le pot de fer", reconnaît-il. "Mais je ne peux pas laisser mon entreprise couler sans me battre", martèle t-il. Un combat dans lequel il souhaite être suivi par les autres professionnels de l'informatique "victimes du POP". Jean-Marie Le Charles fonde actuellement un club pour les réunir. "Ensuite, nous envisagerons les actions à mettre en ?uvre", indique-t-il. 



Les autres dirigeants d'entreprise interrogés ne semblent pas vouloir suivre le mouvement. Ils se disent tous "satisfaits voire très satisfaits" du plan POP. Seul Jean-Marc Péquin émet un bémol. "Ce serait bien que les grandes surfaces ne fassent pas partie des revendeurs pour la prochaine rentrée", affirme t-il. Un souhait qu'il compte bien soumettre à la collectivité.

Du côté du conseil régional, on se dit "surpris" des propos tenus par Jean-Marie Le Charles. "3A Informatique fait partie de nos meilleurs revendeurs. Il est au même niveau qu'un Carrefour et a vendu plus d'appareils qu'un Géant Casino", s'étonne Vincent Payet, vice-président au conseil régional en charge des TIC. Il rappelle que selon le dernier bilan, 66% des appareils POP ont été vendus par les petits distributeurs et 33% par les grandes surfaces ainsi que Ravate. "Vendre 10% des ordinateurs POP, ce n'est pas rien", poursuit-il. "Nous n'avons eu que des échos positifs sur le plan pour l'instant. Il a permis à certaines entreprises de sortir de la tête de l'eau. Il y a forcément dû y avoir une erreur dans la gestion des stocks pour que 3A Informatique se retrouve dans cette situation", affirme t-il.

Pour Vincent Payet, "il n'a jamais été question de ne pas passer de convention avec les grandes surfaces. Tant qu'elles répondent aux exigences de la collectivité, elles peuvent vendre les ordinateurs POP. Après, si elles sous traitent leur service après vente, c'est leur problème", souligne-t-il. Il annonce par ailleurs qu'un comité de suivi du POP devrait se réunir en milieu de semaine prochaine. "Nous écouterons les problèmes que soulèveront les revendeurs et nous tenteront de les supprimer pour la rentrée prochaine", indique t-il. La Région pourrait-elle écarter les grandes surfaces à la rentrée prochaine ? "Je n'aurai pas d'état d'âme. Si la filière estime que la présence des grandes surfaces a réellement posé problème, nous envisagerons toutes les possibilités", répond Vincent Payet.

Mounice Najafaly pour
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