Les gamins du quartier de Snake Park l'appellent la âmontagne jauneâ. L'imposante ancienne mine d'or surplombe une partie du township de Soweto, en Afrique du Sud, et empoisonne ses habitants selon plusieurs associations locales.
Les poussiÚres à l'odeur ùcre provenant du talus piquent la gorge, se coincent entre les dents. Et pour cause : selon des analyses, le site de résidus miniers contiendrait des matiÚres hautement toxiques comme l'arsenic, le plomb ou l'uranium. Un héritage de la ruée vers l'or à l'origine de la ville de Johannesburg, dans les années 1890.
Dans le nord du township, une association locale, le Snake Park Cerebral Palsy Forum, a recensé plus d'une quinzaine d'enfants atteints de paralysie cérébrale -- sans compter d'autres handicaps et malformations que les habitants attribuent à la mine.
- "Ă cause de la mine" -
Parmi eux, Okuhle, 13 ans, abandonnée dans les rues de Snake Park étant bébé. "Okuhle ne peut ni marcher, ni parler, ni utiliser ses mains," explique sa mÚre adoptive, Lilly Stebbe, 60 ans.
Assise dans son fauteuil roulant, la fillette souriante communique en poussant des cris.
"Ă cause de la mine, Okuhle est aussi asthmatique, ajoute sa mĂšre. Elle a Ă©galement des problĂšmes aux yeux et aux sinus". La sexagĂ©naire elle-mĂȘme tousse inlassablement. Ici, la poussiĂšre est partout.
"Cette poussiÚre peut vous donner toutes sortes de cancers, mais peut aussi modifier votre ADN, et vos enfants naßtront avec des malformations", prévient David van Wyk, chercheur principal à la Bench Marks Foundation, une organisation non-gouvernementale qui scrute l'activité des entreprises.
Plus de 6.000 mines abandonnĂ©es dĂ©figurent le territoire sud-africain, selon lâAuditeur gĂ©nĂ©ral du pays, dont 2.322 considĂ©rĂ©es Ă haut risque sanitaire pour les communautĂ©s avoisinantes.
Selon David van Wyk, 15 à 20 millions de personnes à travers le pays vivraient à proximité de ces substances toxiques. Snake Park, au pied de la mine, compte plus de 50.000 habitants.
Tous les mois, dans le cadre d'une étude menée avec l'Université de Johannesburg, le chercheur aux faux airs d'Indiana Jones effectue des tests dans la décharge de la mine, une vaste étendue au sol poudreux traversée par une riviÚre rougeùtre.
- ChĂšvres Ă trois pattes -
LâĂ©tude, rĂ©alisĂ©e sur deux ans, vise a mesurer et identifier la concentration de solides dissous dans l'eau. Ce jour-lĂ , son appareil relĂšve une concentration de 776 mg par litre. Un taux Ă©levĂ© qui, dit-il, rend l'eau impropre a la consommation. Il ajoute : "Ce ruisseau contient des substances trĂšs toxiques, comme de l'uranium et du strontium, tous deux radioactifs."
Le cours d'eau irrigue pourtant les terres cultivĂ©es par des locaux, et oĂč pĂąturent les troupeaux. Selon des habitants, certaines chĂšvres naissent avec trois pattes.
Selon les résidents et la société Pan African Resources, qui a racheté la mine en 2022 à l'ancien propriétaire en liquidation judiciaire, le site de résidus s'épand déjà depuis une cinquantaine d'années.
"Donnez-nous dix ans, maximum, et nous l'enlÚverons complÚtement", promet à l'AFP Sonwabo Modimoeng, responsable des relations avec les communautés locales de l'entreprise.
Il l'admet : "Nous savons que cela affecte les gens." Entre-temps, le groupe assure avoir installé des panneaux signalétiques autour du site. Des mesures insuffisantes selon les associations locales.
- "J'en veux Ă notre gouvernement" -
Baile Bantseke, 59 ans, habite une petite maison Ă quelques centaines de mĂštres de l'ancienne mine. Son petit-fils Mphoentle, 5 ans, est autiste -- une condition que la grand-mĂšre attribue Ă la "montagne".
De nombreuses études, dont l'une publiée en 2024 dans la revue Environmental Health, indiquent un lien entre l'exposition aux métaux lourds et le développement de l'autisme.
"J'en veux Ă notre gouvernement, lance la grand-mĂšre auprĂšs de l'AFP. Car s'il s'occupait de nous, nous n'aurions pas de tels problĂšmes."
Les familles affectĂ©es reçoivent une aide pour enfants handicapĂ©s de 2.310 rands par mois (113 euros). De quoi acheter la nourriture, les vĂȘtements et les couches, mais pas assez pour payer le transport jusqu'Ă lâhĂŽpital Baragwanath, Ă quinze kilomĂštres, oĂč les enfants sont censĂ©s ĂȘtre suivis.
"Nous n'avons pas de fauteuils roulants ni de pick-up" pour les transporter, se désole Kefilwe Sebogodi, fondatrice du Snake Park Cerebral Palsy Forum et qui élÚve sa niÚce atteinte de paralysie cérébrale.
Chaque mois, une quinzaine de mÚres, tantes ou grand-mÚres, se réunissent ainsi dans une salle aux vitres cassées du centre communautaire pour "montrer que les enfants comptent dans la communauté", explique Kefilwe.
Une des mÚres présente ce jour-là , visiblement à bout, questionne l'utilité de ces réunions. Mais Kefilwe l'assure : "Nous avons déjà accompli beaucoup de choses, car nous sommes toujours debout."
AFP






