La montagne Ă  l'arrĂȘt

Au pied de l'Everest, le coronavirus met les sherpas au chĂŽmage

  • PubliĂ© le 1 avril 2020 Ă  18:18
  • ActualisĂ© le 1 avril 2020 Ă  18:33
Des mules sur un sentier de l'Everest, le 24 mars 2020, au Népal

À cette pĂ©riode de l'annĂ©e, Khumjung devrait grouiller d'alpinistes cheminant vers l'Everest. Mais avec la fermeture de la montagne en raison de la pandĂ©mie de coronavirus, la bourgade himalayenne est vide et les sherpas nĂ©palais ont perdu leur gagne-pain.

Comme de nombreux pays, le NĂ©pal s'est coupĂ© du reste du monde pour freiner la propagation du virus et a interdit l'accĂšs Ă  ses illustres sommets enneigĂ©s, au moment mĂȘme oĂč la haute saison aurait dĂ» battre son plein. Dans les maisons au toit de pierre de Khumjung, situĂ© Ă  proximitĂ© du sentier menant au camp de base de l'Everest, les cordes et piolets sont restĂ©s rangĂ©s. Les Ă©choppes, thĂ©s et auberges, normalement utilisĂ©s par les alpinistes s'acclimatant progressivement pour la cime de 8.848m, sont dĂ©serts.

Pour les guides et porteurs sherpas, l'annulation de la haute saison de l'Everest - de début avril à fin mai - représente une catastrophe économique. Travailler pendant cette période permet de nourrir leur famille pendant tout le reste de l'année. "Avec l'annulation de la saison, personne n'a d'emploi. Des vols (d'avions et d'hélicoptÚres, ndlr) aux magasins en passant par les porteurs, il n'y a aucun travail", s'inquiÚte Pemba Galzen Sherpa, un guide qui a gravi 14 fois l'Everest.

Le camp de base abandonné, tous les travailleurs locaux qui y étaient déjà arrivés sont redescendus. Les mains vides, "tout le monde rentre à la maison", s'attriste-t-il.

SituĂ©s en haut de la hiĂ©rarchie des travailleurs de la montagne, les guides gagnent normalement entre 5.000 et 10.000 dollars durant la saison. Mais ce sont les petites mains des expĂ©ditions, comme les porteurs ou les cuisiniers, qui risquent d'ĂȘtre le plus durement frappĂ©s. "Ces gens n'ont aucune Ă©pargne ou contrat auquel les organisateurs d'expĂ©dition sont tenus", explique Damian Benegas, qui mĂšne des cordĂ©es sur l'Everest depuis prĂšs de deux dĂ©cennies.

Phurba Nyamgal Sherpa, qui gravit l'Everest et d'autres sommets népalais depuis l'ùge de 17 ans, est préoccupé par l'avenir, comme les centaines de montagnards habituellement employés par les expéditions d'himalayistes. "Nous n'allons pas sur les montagnes parce que nous le voulons, mais parce que c'est notre seule option pour travailler", dit à l'AFP ce Népalais de 31 ans, fils d'un gardien de troupeaux de yaks, qui vit à Khumjung avec sa femme et son filles de six ans.

- Risques sanitaires -

L'année derniÚre, l'Everest avait connu une année record avec 885 personnes montées au sommet, dont 644 depuis le cÎté népalais. La Chine a elle aussi fermé son accÚs au toit du monde cette année.

Au-delà des sherpas, l'absence de visiteurs étrangers affecte toute l'économie népalaise. Le tourisme représente 8% du PIB de ce pays pauvre d'Asie du Sud et y génÚre plus d'un million d'emplois, selon des chiffres du World Travel and Tourism Council. Se remettant lentement du séisme dévastateur de 2015, le Népal espérait attirer le chiffre record de deux millions de touristes étrangers en 2020. Une ambition désormais remisée.

MalgrĂ© les difficultĂ©s engendrĂ©es par la situation, les rĂ©sidents de la rĂ©gion de l'Everest approuvent la dĂ©cision du gouvernement nĂ©palais d'interdire les touristes et de fermer ses montagnes. "Ça nous a coĂ»tĂ© nos emplois mais c'Ă©tait la bonne dĂ©cision Ă  prendre", estime le cĂ©lĂšbre montagnard Phurba Tashi Sherpa, 21 sommets de l'Everest Ă  son palmarĂšs.

Le risque de contamination est en effet réel. La saison de printemps voit passer des centaines de randonneurs et alpinistes par les village de la zone. Au camp de base, sportifs et employés népalais vivent dans la promiscuité de tentes.

Plus l'altitude monte, plus l'air se fait rare et la respiration difficile, ajoutant aux risques sanitaires si une épidémie de coronavirus éclate dans le pays. Le Népal n'a jusqu'ici compté que cinq cas confirmés de coronavirus sur son territoire depuis le début de la pandémie, et aucun mort.

Mais le coronavirus ferait des ravages s'il arrivait jusqu'aux villages himalayens isolĂ©s. "À Khumjung, nous n'avons qu'un petit hĂŽpital et pas assez de ressources. Imaginez si les gens commencent Ă  tomber malades ici...", dit Ă  l'AFP Phurba Tashi Sherpa. Pour sa part, le guide Phurba Nyamgal Sherpa s'alarme: "si la maladie arrive, mĂȘme l'argent n'y peut rien. Les gens meurent mĂȘme dans les pays dĂ©veloppĂ©s, alors qu'est-ce qu'il nous arriverait au NĂ©pal ?".

AFP

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