Sainte de la mort

En Equateur, les narcotrafiquants s'en remettent Ă  la protection de la Santa Muerte

  • PubliĂ© le 5 fĂ©vrier 2025 Ă  11:39
  • ActualisĂ© le 5 fĂ©vrier 2025 Ă  13:38
Un autel honorant la Santa Muerte dans une maison lors d'une opération conjointe des forces armées et de la police nationale à Duran, en Equateur, le 15 janvier 2025

Portant gants et ruban rouge pour conjurer le mauvais sort, la police équatorienne inspecte avec appréhension un autel dédié à la Santa Muerte, sainte mexicaine de la mort adoptée par les gangs locaux, lors d'une descente dans une cache de narcotrafiquants.

Faux dans la main droite et globe terrestre dans la main gauche, l'inquiĂ©tante statue d'un squelette enveloppĂ© dans une cape est la derniĂšre dĂ©couverte en date des autoritĂ©s, qui tombent rĂ©guliĂšrement nez Ă  nez avec la Santa Muerte dans des repaires de criminels de Duran et la ville voisine de Guayaquil, dans le sud-ouest de l'Equateur, oĂč sĂ©vissent de puissantes mafias.

Aux pieds de la sainte, des offrandes - argent, tabac, alcool, objets religieux - s'entassent, déposés par des délinquants cherchant sa protection.

Les narcotrafiquants Ă©quatoriens "s'en remettent Ă  elle pour ne pas se faire prendre et ĂȘtre invincibles", explique Ă  l'AFP Roberto Santamaria, colonel de la police de Duran, ville d'environ 300.000 habitants.

En plus des offrandes, certains tatouent l'image de la sainte sur leurs bras ou portent des amulettes Ă  son image autour du cou.

Parfois, l'idolùtrie va encore plus loin. Un ancien membre de gang a raconté à l'AFP comment certaines de ses anciennes fréquentations ont commis des sacrifices humains.

"Ils volaient des enfants d'autres villes et les sacrifiaient devant elle (la Santa Muerte) lorsqu'ils voulaient faire un gros coup," a déclaré l'homme, qui a requis l'anonymat.

- Origines -

Le culte de la Santa Muerte remonte au 18e siÚcle, quand les indigÚnes vénéraient un squelette au centre du Mexique. Il a ensuite gagné l'Amérique centrale et d'autres pays.

La sainte a trouvĂ© un terrain fertile dans les quartiers pauvres de Duran, oĂč le taux d'homicides a atteint 160 pour 100.000 habitants en 2024.

Depuis son arrivée au pouvoir fin 2023, le président Daniel Noboa a lancé une offensive contre la criminalité, notamment à Duran considérée comme la capitale du crime en Equateur, pays situé entre la Colombie et le Pérou, les deux plus gros producteurs de cocaïne au monde.

Le tour de vis sécuritaire du gouvernement, critiqué par les défenseurs des droits humains, comprend des états d'urgence autorisant le déploiement de militaires dans les rues.

La police a retrouvé un autel dédié à la sainte dans environ six opérations anti-criminalité sur dix effectuées à Duran en 2024.

Selon M. Santamaria, le culte de la Santa Muerte a pris racine auprÚs des narcotrafiquants équatoriens il y a six ans, lorsque le tristement célÚbre cartel mexicain de Sinaloa a formé Los Choneros, l'un des 22 gangs locaux, en lui transférant ses croyances.

- "Maux de tĂȘte" -

Aussi connue sous le nom de Faucheuse ou SƓur Blanche, la Santa Muerte est une sainte de la guĂ©rison et de la protection Ă©galement vĂ©nĂ©rĂ©e hors des gangs. Des milliers de Latino-AmĂ©ricains s'en remettent Ă  elle pour un passage sĂ»r vers l'au-delĂ .

Comme le Mexique, l'Equateur est un pays largement catholique, mais cela n'empĂȘche pas le syncrĂ©tisme religieux des habitants qui concilient leur religion et la croyance dans la Santa Muerte, dont des reprĂ©sentations sont vendues sur les marchĂ©s ou mĂȘme en ligne.

Les observateurs craignent que les personnes possédant des objets de la Santa Muerte ne soient à tort associés à des criminels face à la répression gouvernementale.

"On criminalise déjà les gens pour leur appartenance raciale, pour leur pauvreté, maintenant on va aussi criminaliser les coutumes populaires?", s'interroge la chercheuse en études sociales équatorienne Cristina Burneo.

"En Equateur, il existe une liberté de culte et n'importe qui peut l'avoir, ce n'est pas un crime", assure Roberto Santamaria.

Témoignant de la portée de la sainte, il explique que beaucoup de ses officiers ont peur de s'approcher des autels.

"Des policiers me disent qu'aprĂšs les opĂ©rations, ils ont des maux de tĂȘte, commencent Ă  se sentir malades et se sentent Ă©tourdis", dit-il, en prĂ©cisant que lui ne croit pas aux pouvoirs attribuĂ©s Ă  la sainte.

Les statues trouvées par la police sur des scÚnes de crime ou lors de perquisitions ne sont détruites que s'il est avéré qu'elles contiennent de la drogue ou des munitions, précise-t-il.

AFP

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