L'écrivain franco-algérien Boualem Sansal, emprisonné depuis un an en Algérie et au coeur d'une grave crise diplomatique entre Alger et Paris, a été gracié et va être transféré en Allemagne pour des soins médicaux.
Le président algérien Abdelmadjid Tebboune "a répondu favorablement" à une demande de son homologue allemand Frank-Walter Steinmeier, "concernant l'octroi d'une grâce en faveur de Boualem Sansal", a indiqué mercredi un communiqué officiel.
"Cette demande a retenu son attention en raison de sa nature et de ses motifs humanitaires", a ajouté la présidence algérienne, en précisant que "l'Etat allemand prendra en charge le transfert et le traitement" de M. Sansal.
S'exprimant à l'Assemblée, le premier ministre français Sébastien Lecornu a exprimé son "soulagement" et les avocats français de M. Sansal se sont dits "heureux que l'humanité ait prévalu sur toute autre considération" plaidant que son sort "devait être dissocié des aléas diplomatiques".
Le 1er juillet, la Cour d'appel d'Alger avait confirmé une peine de cinq ans de prison pour l'écrivain, prononcée en première instance le 27 mars.
M. Sansal était accusé d'"atteinte à l'unité nationale" après des déclarations en octobre 2024 au média français d'extrême droite Frontières, où il estimait que l'Algérie avait hérité sous la colonisation française de régions de l'ouest du pays comme Oran et Mascara, appartenant précédemment, selon lui, au Maroc.
M. Sansal avait renoncé à se pourvoir en Cassation, ce qui le rendait éligible à une grâce du président algérien.
M. Steinmeier avait demandé lundi qu'il soit gracié et bénéficie de soins en Allemagne "compte tenu de son âge avancé et de son état de santé fragile".
- Visite de Tebboune en Allemagne -
Sa famille a exprimé à plusieurs reprises son inquiétude pour la santé du romancier et essayiste de 81 ans, traité pour un cancer de la prostate. La France réclamait depuis des mois un "geste d'humanité" en sa faveur.
"J'y ai toujours cru", a réagi auprès de l'AFP l'une de ses filles Sabeha Sansal, affirmant toutefois avoir été "un petit peu pessimiste" car, malade, "il pouvait mourir là-bas".
Pour convaincre son homologue algérien, le président allemand avait insisté sur le fait qu'"un tel geste serait l'expression d'une attitude humanitaire et d'une vision politique à long terme".
"Il refléterait ma relation personnelle de longue date avec le président Tebboune et les bonnes relations entre nos deux pays", a-t-il dit.
Dans une longue interview accordée en septembre dernier, le président algérien avait évoqué la possibilité de se rendre en Allemagne fin 2025 ou début 2026. Aucune date n'a depuis été avancée.
M. Tebboune a été soigné en Allemagne lors de séjours d'un total de trois mois après avoir contracté le Covid-19 entre fin 2020 et début 2021.
Figure primée de la littérature francophone nord-africaine, M. Sansal est connu pour ses critiques à l'égard des autorités algériennes et des islamistes.
Il a obtenu la nationalité française en 2024.
Ces dernières semaines, la France a de nouveau demandé avec force la libération de l'écrivain, arrêté à l'aéroport d'Alger le 16 novembre 2024, ainsi que du journaliste sportif Christophe Gleizes en attente de son procès en appel le 3 décembre après avoir été condamné fin juin à sept ans de prison pour "apologie du terrorisme".
M. Lecornu a exprimé le souhait qu'il "puisse rejoindre ses proches au plus vite" et "remercié du fond du coeur celles et ceux qui ont contribué à cette libération, fruit d'une méthode faite de respect et de calme".
L'incarcération de M. Sansal avait envenimé une brouille entre Paris et Alger déclenchée en juillet 2024 lorsque la France avait reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental.
Ce territoire, considéré comme "non autonome" par les Nations unies, est l'objet d'un conflit depuis 50 ans entre Rabat et les indépendantistes du Polisario, soutenus par Alger.
Depuis plus d'un an, Paris et Alger sont empêtrés dans une crise diplomatique sans précédent qui s'est traduite par des expulsions de fonctionnaires de part et d'autre, le rappel des ambassadeurs des deux pays et des restrictions sur les porteurs de visas diplomatiques.
L'Allemagne et l'Italie étaient considérés comme des médiateurs qui travaillaient en coulisses en faveur de l'écrivain. Des rumeurs avaient déjà circulé ces derniers mois sur un éventuel transfert en Allemagne.
Berlin a une longue tradition d'accueil de dissidents, despotes et dirigeants malades dans son hôpital de la Charité, l'un des plus réputés d'Europe.
Il y a cinq ans, il avait accueilli l'opposant russe Alexeï Navalny, victime d'un empoisonnement. Avant lui, l'ancienne Première ministre ukrainienne Ioulia Timochenko y avait été soignée pour des douleurs dorsales.
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Par Nicolas GAUDICHET - © 2025 AFP
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