Bruxelles a adopté mardi une exemption partielle pour 2024 aux obligations de jachÚres, revendication-clé des récentes manifestations agricoles, alors que les organisations du secteur maintiennent la pression sur les gouvernements à travers l'UE.
C'était une nouveauté de la nouvelle Politique agricole commune (PAC): pour toucher les aides, les agriculteurs doivent respecter des critÚres environnementaux, notamment laisser au moins 4% des terres arables en jachÚres ou surfaces non-productives (haies, bosquets, mares...).
La Commission européenne avait suspendu complÚtement en 2023 cette condition pour produire davantage et compenser les perturbations de l'offre céréaliÚre ukrainienne et russe aprÚs l'invasion de l'Ukraine. Et une majorité d'Etats membres, dont la France, plaidaient vigoureusement pour reconduire cette exemption.
Sous pression aprĂšs des semaines de manifestations agricoles oĂč la question des jachĂšres faisait parfois figure d'Ă©pouvantail, Bruxelles a finalement proposĂ© fin janvier une "dĂ©rogation partielle".
ConfrontĂ©s Ă la flambĂ©e des coĂ»ts des engrais et de l'Ă©nergie, Ă l'impact des importations ukrainiennes ou encore aux "Ă©pisodes climatiques extrĂȘmes", les agriculteurs "Ă©prouvent des difficultĂ©s Ă respecter" l'obligation de jachĂšres car ils risquent une "incidence significative sur leurs revenus", reconnaĂźt la Commission.
Selon la décision publiée mardi, les agriculteurs pourront toucher les aides s'ils atteignent au moins 4% en additionnant non seulement les éventuelles jachÚres et surfaces non productives mais aussi les cultures intermédiaires (poussant entre deux cultures principales) ou fixatrices d'azote (lentilles, pois...) sans usage de produits phytosanitaires.
L'assouplissement sera valable uniquement cette année, précise le rÚglement publié au Journal officiel de l'UE.
Une façon de "limiter les pertes de revenus", tout en préservant un minimum de pratiques favorables à l'environnement, explique Bruxelles.
- "Flexibilité" -
"Cela offre une flexibilité aux agriculteurs tout en continuant à les récompenser pour leur travail crucial en faveur de la sécurité alimentaire et de la durabilité", assure la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen.
La décision a été adoptée en dépit des réticences d'une partie des pays membres de l'UE, incapables de dégager la majorité nécessaire pour approuver le texte lors d'un vote vendredi dernier.
Bruxelles avait initialement proposé fin janvier un seuil de 7% au lieu des 4% finalement adoptés, à la suite des réclamations d'Etats désirant un assouplissement accru. Mais cet abaissement a irrité l'Allemagne, qui a dénoncé une atteinte à la biodiversité et s'est abstenue. L'Italie a voté contre, comme trois autres pays.
Faute d'approbation des Etats membres, la Commission gardait la possibilité de trancher seule. Les Etats peuvent désormais appliquer cette dérogation à leurs agriculteurs, mais ce n'est pas une obligation.
"Je m'engage à ce que cette décision précipitée et immature ne soit pas appliquée en Allemagne", a réagi la ministre allemande de l'Environnement Steffi Lemke.
A l'inverse, le ministre français de l'Agriculture Marc Fesneau s'est "réjoui" d'une "dérogation simplifiant l'atteinte des objectifs environnementaux liés à la PAC, sans les remettre en question".
- "Fardeau" -
Nombre d'autres revendications restent en suspens.
La FNSEA, le principal syndicat agricole français, a prĂ©venu mardi que les agriculteurs Ă©taient prĂȘts Ă relancer leur vaste mobilisation si les mesures attendues du gouvernement n'Ă©taient pas au rendez-vous "d'ici dix jours".
MĂȘme pression en GrĂšce, oĂč le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis rencontrait mardi des agriculteurs en colĂšre, se disant "ouvert Ă la discussion" malgrĂ© des "marges fiscales limitĂ©es" aprĂšs avoir accordĂ© une baisse des factures d'Ă©lectricitĂ© et de la TVA sur l'engrais.
En Belgique, des centaines de tracteurs tentaient mardi de bloquer les accĂšs du port d'Anvers.
L'Italie a concédé vendredi des exemptions fiscales alors que des centaines de tracteurs étaient massés aux portes de Rome.
La Commission avait par ailleurs assuré fin janvier que "les conditions n'étaient pas réunies" pour conclure l'accord commercial décrié avec les pays sud-américains du Mercosur.
Elle avait aussi proposé des dispositifs pour limiter les importations ukrainiennes. Le déversement de céréales ukrainiennes sur la route par des agriculteurs polonais à la frontiÚre dimanche a provoqué une nouvelle crise entre Varsovie et Kiev.
Bruxelles a en outre promis une proposition rapide pour "réduire le fardeau administratif" pesant sur les exploitations.
Le président français Emmanuel Macron a réclamé des simplifications "tangibles" de la PAC et dénoncé les distorsions au sein de l'UE dues à l'application disparate des rÚgles selon les Etats.
Par Delphine TOUITOU - © 2024 AFP

