"Du jamais-vu", "exceptionnel par l'ampleur, la durée", des "conséquences immenses sur le long terme": quand les scientifiques se penchent sur les chiffres pour réaliser le bilan de la saison des feux au Canada, ils peinent à trouver les bons superlatifs.
"C'est simple: on a pulvérisé tous les records à l'échelle canadienne" lùche, ébranlé, Yan Boulanger, chercheur pour le ministÚre canadien des Ressources naturelles.
Il n'y avait jamais eu autant de surfaces brûlées (18 millions d'hectares, 6.400 feux), de personnes évacuées (plus de 200.000), de provinces touchées, de mégafeux...
"C'est un coup de semonce impressionnant car on ne s'attendait pas forcĂ©ment Ă cela aussi rapidement", explique Ă l'AFP ce spĂ©cialiste des feux de forĂȘt.
Au QuĂ©bec, province trĂšs durement touchĂ©e et moins habituĂ©e que l'Ouest aux brasiers de trĂšs grande ampleur, l'onde de choc a Ă©tĂ© immense, notamment dans la rĂ©gion reculĂ©e d'Abitibi-TĂ©miscamingue, oĂč l'industrie forestiĂšre est cruciale.
Plus de feuille sur les branches, des troncs noircis et des racines carbonisĂ©es: dans une de ses forĂȘts d'Ă©pinettes noires, les reines de la forĂȘt borĂ©ale, seules quelques touffes de mousse ont rĂ©sistĂ© Ă l'assaut des flammes du mois de juin.
"Il y a peu de chances que cette forĂȘt puisse se rĂ©gĂ©nĂ©rer, les arbres sont trop jeunes pour avoir eu le temps de former des cĂŽnes qui assurent la gĂ©nĂ©ration suivante", estime Maxence Martin, professeur en Ă©cologie forestiĂšre Ă l'UniversitĂ© du QuĂ©bec en Abitibi-TĂ©miscamingue.
- Un tiers de forĂȘt perdue -
Face Ă ce bilan alarmant et "si on continue sur la tendance actuelle, d'ici 2100, c'est probablement un tiers de la forĂȘt borĂ©ale que l'on aura perdu au QuĂ©bec", ajoute ce passionnĂ©, en slalomant au milieu des jeunes repousses vertes qui apparaissent sur le sol brĂ»lĂ©.
Pourtant cet anneau de verdure, la plus vaste étendue sauvage au monde, qui encercle l'Arctique - du Canada en passant par l'Alaska, la Sibérie et le nord de l'Europe - est vital pour l'avenir de la planÚte.
Les feux y sont alimentés par des conditions plus sÚches et chaudes, causées par le changement climatique. Et en relùchant du gaz à effet de serre dans l'atmosphÚre, ces incendies contribuent en retour au réchauffement de la planÚte, en un cercle vicieux.
Autre particularitĂ© de cette forĂȘt du nord: elle libĂšre 10 Ă 20 fois plus de carbone par unitĂ© de zone brĂ»lĂ©e que d'autres Ă©cosystĂšmes.
Avec les feux, les émissions canadiennes ont atteint cette année des niveaux inédits (473 mégatonnes de carbone), plus de trois fois supérieurs au précédent record, selon les données de l'observatoire européen Copernicus.
Et en forĂȘt borĂ©ale, en raison de l'Ă©paisseur du humus au sol, les feux peuvent continuer de brĂ»ler sous terre pendant des mois.
"Comme on a expliquĂ© aux gens que les feux ne seraient vraiment Ă©teints qu'avec la neige, tout le monde rĂȘve de voir l'hiver arriver", sourit Guy LafreniĂšre, maire de Lebel-sur-QuĂ©villon, commune quĂ©bĂ©coise de 2.000 habitants qui a dĂ» Ă©vacuer deux fois en juin.
Les habitations ont Ă©tĂ© sauvĂ©es des flammes grĂące notamment Ă un lac qui a stoppĂ© l'avancĂ©e du feu. Mais tout l'Ă©tĂ© a Ă©tĂ© perturbĂ©, aucun enfant n'a fini son annĂ©e scolaire et des centaines de petits chalets construits dans la forĂȘt ont Ă©tĂ© dĂ©truits.
Aujourd'hui, la ville est entourée de tranchées coupe-feu, créées pour contrer l'avancée des murs de flammes, en supprimant les résineux, trÚs inflammables.
"Les machines coupaient les arbres et on avait un hĂ©licoptĂšre pour les arroser en mĂȘme temps pour qu'elles ne prennent pas feu", se souvient le maire, qui veut maintenant voir la ville entourĂ©e d'arbres feuillus, bien moins inflammables, pour qu'ils servent de barriĂšre.
- Débordés -
Depuis des mois, une large partie du Canada, y compris le Grand Nord, est touchĂ©e par une sĂ©cheresse aigĂŒe. Il a souvent suffi d'une journĂ©e avec de la foudre pour dĂ©clencher des centaines de dĂ©part de feu en mĂȘme temps, dĂ©bordant les pompiers et les autoritĂ©s et dĂ©passant les habitants.
"Les gens avaient cinq minutes pour sortir de chez eux et partir. C'était intense et stressant surtout qu'il y avait beaucoup de fumée et les flammes étaient trÚs proches", raconte Doris Nolet, cheffe des pompiers volontaires de Normétal, autre village québécois évacué.
Cette derniĂšre, qui encadre une Ă©quipe de 20 personnes, a eu trĂšs peur pour ses "gars". "C'Ă©tait la premiĂšre fois que l'on Ă©tait confrontĂ© Ă des feux de forĂȘt. Nous, on est formĂ© pour les feux de maisons, de voiture", poursuit cette petite femme au regard bleu perçant.
Cette année, quasiment tous les Canadiens ont été touchés par cette saison des feux, directement ou parce qu'ils ont respiré les fumées des incendies qui se sont déplacées sur des milliers de kilomÚtres, polluant également à plusieurs reprises l'air d'une partie du nord des Etats-Unis.
"Il faut mener une grande rĂ©flexion". Ce n'est pas l'Europe ici, on n'a pas les moyens de combattre tous les feux, ils sont trop grands, trop inaccessibles donc il faut ĂȘtre proactifs", explique Marc-AndrĂ© Parisien.
Pour ce chercheur spécialiste en gestion de risque des feux, ces mégafeux n'ont pas fini de hanter les Canadiens.
AFP
