"Celui-ci est un +18-pounder+, il reste peut-ĂȘtre un peu d'explosif dedans", lĂąche Franjo, en rĂ©cupĂ©rant au sol un vieil obus d'artillerie dont il identifie tout de suite l'origine britannique. Le dĂ©mineur l'installe avec prĂ©caution dans un bac de sable Ă l'arriĂšre de sa camionnette.
Dans le nord-ouest de la Belgique, au coeur du plat pays flamand, oĂč plusieurs centaines de milliers de soldats sont tombĂ©s pendant la guerre 1914-18, les vestiges du conflit sont partout dans le paysage.
Outre les cimetiÚres militaires et leurs sépultures soigneusement alignées, parfois à perte de vue, munitions et obus de toutes origines -- anglaise, allemande, française -- continuent de remonter à la surface, au point de donner du travail chaque jour au service de déminage de l'armée belge (SEDEE).
Ce service aujourd'hui centenaire a installĂ© une base Ă Langemark-Poelkapelle, au nord d'Ypres, oĂč se concentre la majeure partie de son activitĂ©.
Ses hommes répondent chaque année à plus de 2.000 demandes d'agriculteurs ou de responsables de chantier pour retirer des munitions, déjà tirées ou pas. La découverte survient souvent en retournant la terre, en plein champ, ou lors du terrassement d'une future habitation.
En bout de chaßne, aprÚs identification du degré de dangerosité de l'objet -- dont va dépendre le mode d'élimination (explosion en extérieur ou combustion dans un four)--, "on en détruit 200 à 250 tonnes par an", souligne à l'AFP Jacques Callebaut, chargé de communication du service.
Ce matin-là , il a fallu moins d'une heure à la camionnette aux quatre roues motrices siglée SEDEE/DOVO (la déclinaison en néerlandais) pour ramasser une bonne douzaine d'obus et grenades en sillonnant les petites routes de campagne.
Franjo et ses deux collĂšgues disposent, en guise de carnet de bord, d'une petite pile de courriels de la police, qui rĂ©pertorient avec prĂ©cision tous les lieux, chemins, croisements, oĂč des engins ont Ă©tĂ© signalĂ©s.
- Passage aux rayons X -
Parfois le propriétaire du terrain dépose l'obus à hauteur d'homme, sur un vieux poteau en béton, pour faciliter le travail.
A chaque arrĂȘt, l'un des dĂ©mineurs de l'Ă©quipe fait le guet pour Ă©viter un surgissement impromptu. Tous portent des gants pour manipuler les vieux engins rouillĂ©s.
"Environ 60% environ des munitions qu'on trouve contiennent une charge explosive, et entre 10 et 30% peuvent aussi ĂȘtre toxiques, c'est un danger supplĂ©mentaire", relĂšve Jacques Callebaut.
Phosphore blanc, arsenic ou ypérite, le liquide chimique vésicant qui doit son nom à la ville d'Ypres (connu aussi sous l'appellation "gaz moutarde"): la présence éventuelle de ces substances dangereuses est scrutée de prÚs par les démineurs.
Lorsqu'un doute subsiste malgrĂ© leur oeil expert, ils font appel Ă la technologie. Un passage aux rayons X permet de voir les entrailles de l'obus, repĂ©rer par exemple une cartouche renfermant un fumigĂšne. Si le rĂ©sultat n'est pas satisfaisant, un spectromĂštre Ă neutrons peut ĂȘtre utilisĂ© pour mesurer chaque composant.
Cette expertise de l'armée belge est réputée à l'étranger: "Les munitions toxiques trouvées aux Pays-Bas sont traitées par nous, et il y a quelques semaines, on a été appelés pour neutraliser une bombe en NorvÚge car ils n'avaient pas le matériel pour le faire", vante M. Callebaut.
Champ de bataille de l'Europe dĂšs le Moyen-Age, en raison de sa situation gĂ©ographique au carrefour des empires germanique, français et britannique, la Belgique a vu NapolĂ©on ĂȘtre dĂ©fait Ă Waterloo en 1815, avec des pertes humaines Ă©normes, et elle a aussi Ă©tĂ© durement touchĂ©e par les deux guerres mondiales du 20e siĂšcle.
Un siÚcle aprÚs c'est surtout le métal de la PremiÚre guerre qui affleure, car autour d'Ypres "une ligne de front statique a perduré pendant quatre ans, avec des millions d'obus d'un cÎté comme de l'autre", explique l'historien belge Corentin Rousman.
"En comparaison, les obus de la Seconde guerre ne réapparaissent que de temps en temps dans les villes bombardées".
AFP
