Course cyclique

Paris-Roubaix: il n'y aura pas d'Enfer du Nord

  • PubliĂ© le 11 avril 2020 Ă  19:27
  • ActualisĂ© le 11 avril 2020 Ă  19:55
Paris-Roubaix: il n'y aura pas d'Enfer du Nord

Il n'y aura pas d'Enfer du Nord dimanche pour tous les fervents de Paris-Roubaix, la grande classique cycliste mise provisoirement entre parenthÚses par le coronavirus alors que seules les deux guerres mondiales ont provoqué jusqu'à présent son interruption.

L'Enfer du Nord, c'est l'image trouvée par le reporter du journal organisateur, L'Auto, quand il traversa la région lors de la reprise de la course, en 1919. Maisons éventrées, bùtiments détruits, champs de mines et de ruines: la Grande Guerre avait laissé des traces de dévastation dans toute la région, jusqu'au coeur de Roubaix.

"Les organisateurs et les coureurs écarquillent les yeux pour constater qu'il n'y a plus de routes, plus de prairies, plus de haies, plus d'arbres ou si peu, mais des trous, des carcasses, des tranchées, des barbelés", raconte l'ancien directeur du Tour de France, Jean-Marie Leblanc, Nordiste qui consacra son premier ouvrage à Paris-Roubaix (Les pavés du Nord, éditions La Table Ronde).

"Ce n'est plus une course mais un pélerinage !", s'écrie le vainqueur de 1919 (à la moyenne historiquement basse de 22,8 km/h), le grand Henri Pélissier, qui allait décrire avec verve la condition de coureur cycliste au reporter Albert Londres dans le Tour de France 1924. De là, naßtrait l'expression quasi-intemporelle de "forçats de la route".

- "Pascale" et "drĂŽle de guerre" -

Pendant cette terrible pĂ©riode, le bois du vĂ©lodrome situĂ© Ă  l'orĂ©e du Parc Barbieux, oĂč Ă©tait jugĂ©e l'arrivĂ©e des premiĂšres Ă©ditions, avait Ă©tĂ© utilisĂ© pour le chauffage. Les dommages humains Ă©taient bien plus graves: Octave Lapize, trois fois vainqueur de la "reine des classiques" entre 1909 et 1911, est tuĂ© dans un combat aĂ©rien le 14 juillet 1917. Deux ans plus tĂŽt, son rival François Faber, qui s'Ă©tait imposĂ© en 1913, est mort lui aussi au front.

Pour Paris-Roubaix, la seconde cĂ©sure sera lĂ©gĂšrement plus courte. En 1939, Emile Masson gagne la derniĂšre Ă©dition de l'entre-deux guerres. Le Belge est appelĂ© sous les drapeaux quatre jours plus tard. L'annĂ©e suivante, il est fait prisonnier et va passer cinq ans en captivitĂ© dans l'Allemagne nazie avant d'ĂȘtre libĂ©rĂ© en 1945 et de gagner Bordeaux-Paris en 1946. "Il n'existe pas d'autre exemple d'un athlĂšte soumis pendant cinq ans au rĂ©gime du prisonnier qui ait rĂ©ussi un tel rĂ©tablissement", a estimĂ© ThĂ©o Mathy dans son histoire du cyclisme belge Ă  propos de Masson, futur directeur de LiĂšge-Bastogne-LiĂšge.

En 1940, c'est encore la "drĂŽle de guerre" au moment de la "Pascale". Les responsables de L'Auto (le journal ancĂȘtre de L'Equipe) tentent d'organiser la course. "Cependant, ils doivent se rendre Ă  l'Ă©vidence: il leur est interdit de faire arriver les champions Ă  Roubaix, situĂ© en zone des armĂ©es", explique l'historien de rĂ©fĂ©rence de Paris-Roubaix, Pascal Sergent, qui a Ă©crit plusieurs livres sur la classique nordiste.

- L'"Aigle noir" se souvient -

Les organisateurs envisagent d'inverser le parcours avec arrivée dans la capitale. Mais le préfet de la Somme interdit le passage de la course dans son département. "Un Paris-Roubaix de guerre se déroulera néanmoins entre... Le Mans et Paris", raconte Pascal Sergent en soulignant que le peloton des 63 concurrents compte un seul coureur belge.

Les deux années suivantes, c'est sur un trajet différent, entre Paris et Reims, que ce pseudo Paris-Roubaix est organisé. Ce n'est qu'en 1943 que l'autorisation est donnée pour un retour sur le parcours traditionnel. Avec, en conclusion, un succÚs belge signé Marcel Kint, le coureur qui aura porté le plus longtemps le maillot de champion du monde (de 1938 à 1946, en raison de la guerre).

PrÚs d'un siÚcle plus tard, l'"Aigle noir" --le surnom de Kint-- avait gardé un souvenir précis de cette victoire: "AprÚs l'arrivée, je ne me suis pas attardé. Je suis rentré chez moi, en vélo comme d'habitude, mais sans mon bouquet que j'avais laissé à Roubaix. Non loin de chez moi, un de mes supporters me croisa et me demanda ce que je faisais là. Je lui ai répondu que je venais de gagner Paris-Roubaix. Il a éclaté de rire et ne m'a pas cru. Mes proches non plus d'ailleurs. Ils ne se sont rendus à l'évidence que le lendemain en lisant le journal."

AFP

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