Europe de l'est

Roumanie: les protestataires ont rendez-vous devant le parlement

  • Publié le 4 février 2017 à 14:31

Après quatre soirs de manifestations contre le gouvernement, des milliers de Roumains vont marcher samedi vers le parlement, symbole d'une démocratie que les protestataires estiment bafouée par un décret sur la justice anticorruption.

Vuvuzelas, sifflets, drapeaux roumains, devenus les accessoires indispensables des manifestants, seront de sortie dès l'après-midi : pour le premier rassemblement organisé en journée, les habitants de Bucarest sont appelés à défiler vers le monumental palais édifié du temps du dictateur Nicolae Ceausescu, où siègent les parlementaires.

Devant l'édifice, l'un des plus grands bâtiments administratifs du monde, des dizaines de milliers de personnes sont attendues pour exiger l'abrogation d'un décret assouplissant la législation anticorruption, pris mardi par le gouvernement du parti social-démocrate (PSD) sans consulter les députés et sénateurs.
Ce mouvement de contestation, sans précédent depuis la chute du communisme, mobilise depuis plusieurs jours des centaines de milliers de personnes dans toute la Roumanie. Vendredi soir, ils étaient selon les médias quelque 100.000 à Bucarest entonnant l'hymne national, "Eveille-toi Roumain", devant le siège du gouvernement, et au moins autant dans le reste du pays.

"Le gouvernement veut légaliser la criminalité en col blanc, qui est la plus insidieuse", s'insurgeait Sergiu, un employé de banque âgé de 43 ans, sur la place Victoriei de la capitale, l'épicentre de la contestation.

Alors que le gouvernement a martelé son intention d'"aller de l'avant" avec cette réforme pénale, deux mois après les élections, les contestataires entendent poursuivre un mouvement d'une ampleur inédite dans une Roumanie de vingt millions d'habitants habituée aux turbulences politiques depuis le retour à la démocratie, il y a 27 ans.

- Quelle sortie de crise ? -

"Aucun gouvernement ne peut résister à telles manifestations", pronostique le politologue Cristian Parvulescu qui estime que le gouvernement "a perdu sa légitimité". "Abroger le décret ne résoudra pas le problème et ne mettra pas fin à la crise", estime-il encore.
Pour M. Parvulescu, les Roumains "ont appris de l'expérience négative de la Pologne et de la Hongrie, ils ont compris qu'ils doivent se mobiliser rapidement pour défendre la démocratie".

Daniela, une pharmacienne âgée de 50 ans, confiait à cet égard se sentir "comme en décembre 1989", lorsqu'une manifestation géante avait forcé l'ancien dictateur Nicolae Ceausescu à prendre la fuite.

Chassé du pouvoir fin 2015 par des manifestations anticorruption, mais triomphalement réélu aux législatives de décembre, le PSD que dirige Liviu Dragnea s'est montré résolu à faire passer la réforme contestée.

L'assouplissement de la législation anticorruption fait craindre un retour en arrière alors même que, sous la pression de l'UE et de magistrats très offensifs, des centaines de dossiers de malversations ont été instruits ces derniers années, marquant un tournant pour la justice roumaine.

Lueur d'espoir pour les opposants, le Défenseur des droits a annoncé vendredi contester devant la Cour constitutionnelle le décret du gouvernement qui entre en vigueur le 10 février. Le président de centre droit Klaus Iohannis et le Conseil supérieur de la magistrature ont également saisi la Cour.
Le texte contesté relève notamment le seuil délictuel en matière de délinquance financière. Un autre projet du gouvernement prévoit de libérer de prison des responsables déjà condamnés.

Le gouvernement affirme vouloir ainsi désengorger les prisons et mettre en conformité le code pénal dont une soixantaine d'articles ont été invalidés par la Cour constitutionnelle.

Les rangs du PSD, au centre de la vie politique depuis la fin du communisme, ont été particulièrement touchés par les enquêtes du parquet national anticorruption (DNA), qu'il accuse de procéder à une chasse aux sorcières.

Le phénomène de contestation reste cependant essentiellement urbain. Le PSD jouit en effet d'une solide base électorale dans les milieux ruraux et défavorisés, qui l'ont à nouveau plébiscité il y a deux mois sur fond de promesses de hausse des prestations sociales.
Comme la Commission européenne, le Département d'Etat américain a critiqué le décret, se disant "profondément préoccupé".

AFP

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