Les femmes ont les mains chaudes, leur goût est altéré pendant les rÚgles et elles ne peuvent pas travailler de longues heures, affirment ceux au Japon pour qui l'art de confectionner des sushis serait réservé aux hommes.
Mais un nombre croissant de Japonaises veulent tordre le cou à ces vieux mythes et se forment dans les restaurants et établissements les plus prestigieux du pays pour devenir maßtre sushi. Mizuho Iwai, 33 ans, est apprentie chez Onodera, restaurant haut de gamme du quartier de Ginza, aux rues en damier bordées d'étincelantes boutiques de marques de luxe du monde entier, et qui abrite nombre de tables de sushi parmi les mieux cotées de la planÚte.
Dans un secteur oĂč les femmes sont clairement minoritaires, Mme Iwai est consciente d'ĂȘtre une anomalie. "Mais c'est pourquoi je voulais aller Ă l'encontre du statu quo", dit-elle Ă l'AFP. "Je me suis dit: c'est ma mission". Chez Onodera, elle n'est pas totalement seule: il y avait avec elle une jeune fille parmi les dix apprentis avant la fermeture temporaire du restaurant en avril en raison de la pandĂ©mie de coronavirus. Mais la dizaine de cuisiniers du restaurant sont tous des hommes.
- Clients rétifs -
Le travail peut ĂȘtre Ă©puisant et nĂ©cessite des annĂ©es d'apprentissage. Comme dans la restauration Ă travers le monde, les horaires sont trĂšs lourds. Les apprentis doivent mĂ©moriser le nom et l'aspect d'une multitude de poissons japonais, apprendre les techniques du filetage, de la dĂ©coupe, du dĂ©sarĂȘtage, qui semblent si simples dans les mains d'un professionnel aguerri mais virent vite au dĂ©sastre dans celles d'un novice.
Le restaurant Onodera a aussi sa petite coquetterie Ă lui, sa façon particuliĂšre imposĂ©e au personnel de passer Ă travers le rideau traditionnel, ou noren: d'un geste Ă©lĂ©gant du coude. "Mes collĂšgues m'ont acceptĂ©e", estime Mizuho Iwai, qui a dĂ©cidĂ© de se consacrer Ă l'art du sushi aprĂšs avoir cuisinĂ© dans de petits restaurants japonais. "Ils ne me traitent pas diffĂ©remment parce que je suis une femme", assure-t-elle juste aprĂšs s'ĂȘtre entraĂźnĂ©e Ă trancher du chinchard japonais avec un des cuisiniers.
Le monde du washoku, ou cuisine japonaise, a longtemps été dominé par les hommes, plus encore que dans la gastronomie italienne ou française, selon Fumimasa Murakami, professeur à la Tokyo Sushi Academy. Il n'existe pas de données officielles sur le nombre de femmes habilitées à confectionner les sushis dans les restaurants, mais M. Murakami estime que leur proportion est de "moins de 10%". "La réticence à voir des femmes en cuisine au Japon reste forte, y compris dans le monde du sushi", constate-t-il. "Et il existe réellement des clients qui ne veulent pas voir de femmes derriÚre le comptoir", ajoute-t-il. "Ce sont les clients d'ùge mûr qui ont le plus de mal à accepter cela".
- "Un travail sympa!" -
Mais mĂȘme des cuisiniers ont colportĂ© ces idĂ©es reçues selon lesquelles les mains des femmes seraient trop chaudes pour maintenir la fraĂźcheur du poisson cru, ou que leur goĂ»t serait faussĂ© pendant les rĂšgles. Lorsque le chef d'Onodera, Akifumi Sakagami, 46 ans, a commencĂ© comme apprenti dans un restaurant de sushi il y a plus de trente ans dans la ville septentrionale de Sapporo, les femmes Ă©taient quasiment inexistantes en cuisine.
Pour lui, ĂȘtre cuisinier est une affaire de "compĂ©tence, de talent et d'efforts", qui n'a rien Ă voir avec le fait d'ĂȘtre un homme ou une femme. Fuka Sano, l'autre apprentie du restaurant, dit ne pas s'ĂȘtre prĂ©occupĂ©e de la faible fĂ©minisation du domaine qu'elle s'est choisi. "Je pense que beaucoup de femmes sont convaincues que c'est un mĂ©tier d'homme parce qu'elles y sont si peu reprĂ©sentĂ©es", dit la jeune fille de 18 ans.
Elle s'est décidée à entrer dans la profession aprÚs un voyage édifiant à Londres. "Désolée de dire cela mais les sushis dans les chaßnes de Grande-Bretagne n'étaient vraiment pas appétissants!", s'esclaffe-t-elle. Elle voudrait un jour contribuer à rehausser le niveau de la cuisine japonaise à l'étranger. Sa co-apprentie espÚre que leur exemple va faire bouger les choses. "Que le cuisinier soit un homme ou une femme n'a pas d'importance", dit Mme Iwai. "J'espÚre que ce cliché va disparaßtre et qu'il y aura plus de choix pour les femmes. C'est un travail vraiment sympa!", conclut-elle.
AFP


