Solitude et déprime

Vivre seul et sans contact physique avec d'autres humains, le lourd coût du confinement

  • PubliĂ© le 4 avril 2020 Ă  12:00
  • ActualisĂ© le 4 avril 2020 Ă  12:38
A San Francisco le 30 mars

Il y a encore trois semaines, on pouvait voir Shelley Howard six jours sur sept dans l'un des restaurants ou bars de Chicago, sirotant un verre avec des amis. Aujourd'hui, comme des millions d'autres personnes sur Terre, cet Américain passe ses soirées seul chez lui à cause de la pandémie de coronavirus.

A 73 ans, M. Howard, de nature trÚs sociable, publiait réguliÚrement des photos de ses soirées animées, le montrant souvent distribuer poignées de main et embrassades.

Mais avec le confinement et la fermeture de tous les commerces non essentiels, ce graphiste dans l'industrie de la musique, qui vit seul, est quasiment à l'isolement, coupé de presque tout contact humain. "Je suis quelqu'un qui aime enlacer les autres, et les gens m'aiment bien. Mais c'est comme ça", se résigne-t-il.

Son expĂ©rience est la mĂȘme que celle de beaucoup d'autres Ă  travers le monde, dĂ©primĂ©s par la perte des contacts physiques quotidiens que l'on considĂ©rait comme acquis et que les scientifiques jugent vitaux.

"Ce qui se passe avec le toucher est un changement trÚs physique", dit Tammy Field, directrice du Touch Research Institute à la faculté de médecine de l'université de Miami.

"Le systÚme nerveux est ralenti. Le rythme cardiaque diminue, la tension artérielle aussi, les ondes cérébrales vont vers plus de relaxation, et cela provoque la baisse de cortisol, qui est l'hormone du stress".

- Appels vidéo -

Lilia Chacon, directrice de la communication de la ville de Santa Fe, au Nouveau-Mexique, a elle aussi la nostalgie de l'Ă©poque oĂč elle avait des contacts humains dans sa vie.

Mme Chacon, 65 ans, vit seule et travaille de chez elle. "C'est fou ce que votre réalité peut vite changer. Je regarde la télé, je vois des gens assis ensemble à une table, s'enlaçant tous, et je me dis: +Oh mon Dieu, ça ne se passerait pas comme ça aujourd'hui+", dit-elle.

Pour pallier le manque, elle raconte avoir recours aux appels vidéo avec ses amis. "On trouve des moyens d'entretenir les amitiés et l'intimité. Je mets un point d'honneur à utiliser (les appels vidéo) FaceTime, à rester en contact avec mes amis de maniÚre visuelle, pas juste à travers des appels. Et ça aide", affirme-t-elle.

Les personnes plus ùgées sont particuliÚrement affectées, parce qu'elles sont trÚs vulnérables au coronavirus et vivent souvent seules.

Mary Carlson est neurobiologiste à la Harvard Medical School. Elle est devenue spécialiste de la privation de sensations aprÚs avoir étudié des bébés ayant grandi dans des établissements roumains en sous-effectif dans les années 1990.

"J'encourage les gens à avoir des interactions sociales par le biais de la vision et de l'ouïe", dit-elle. "Pour ceux vivant seuls, la technologie permet ces interactions téléphone et vidéo pour compenser cette période nécessaire et limitée de restriction du toucher".

Mary Carlson rassure ceux qui s'inquiÚtent et se demandent s'ils se souviendront comment interagir normalement aprÚs la pandémie. "Je donne toujours l'exemple de Nelson Mandela, qui a passé 27 ans en prison", explique-t-elle.

"Nous savons tous que quand il est sorti, nous l'avons vu à la télé et nous avons entendu toutes les choses qu'il a dites, et il n'avait pas du tout perdu ses capacités sociales ou sa sensibilité aux autres".

- Animaux domestiques -

MĂȘme si cela ne remplace pas le contact physique avec d'autres personnes, Tammy Field, du Touch Research Institute, conseille par exemple aux personnes vivant seules de s'asseoir par terre et de faire des Ă©tirements, de se laver dans la douche, de marcher pour stimuler les rĂ©cepteurs sensoriels.

Charlotte Kullen, 46 ans, qui dirige une société de relations publiques dans l'immobilier à Manhattan, vit seule et travaille de chez elle. Pour elle, c'est la durée des restrictions qui commence à poser problÚme.

Car bien qu'elle ait survécu à un cancer et qu'elle souffre d'une maladie auto-immune --et qu'elle apprécie à ce titre les mesures de confinement-- "un mois chez nous est une chose, mais si ça dure 18 mois, c'en sera une autre".

A Chicago, Shelley Howard compense en promouvant sur les rĂ©seaux sociaux les concerts de salon d'un ami. Il compte aussi sur la prĂ©sence de ses deux chats. "Ce n'est pas la mĂȘme chose mais l'un dort sous mon bras, je passe donc dix heures collĂ© Ă  cette chose vivante, qui respire", dit-il. "Et l'autre dort sur mes genoux ou sur ma poitrine. Je suis donc en contact avec des ĂȘtres vivants".

AFP

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