Cuba

A La Havane, une version "volumineuse" et sans complexe du "Lac des cygnes"

  • PubliĂ© le 31 janvier 2016 Ă  12:54
Une troupe de Cubaines répÚte les mouvements du "Lac des Cygnes", à La Havane le 13 janvier 2016

A mille lieues des silhouettes graciles de la danse classique, une troupe de Cubaines assumant leur obésité répÚtent les mouvements du "Lac des Cygnes", proposant une esthétique différente adaptée à leur embonpoint.

Au pays de la célÚbre chorégraphe Alicia Alonso, dont la rigueur militaire est connue pour torturer les corps parfaits, cette troupe de "Danse volumineuse" a été créé en 1996 par Juan Miguel Mas, devenu depuis spécialiste des mouvements adaptés à la morphologie des personnes en surpoids.

Disposant d'une formation de danse contemporaine, "j'ai éprouvé le besoin de mettre à profit mon expérience (...) pour la transmettre aux corps semblables au mien", explique cet homme replet de 50 ans au discret chignon. "Il m'est donc venu l'idée de créer un espace dans lequel ces personnes pouvaient s'entraßner, progresser et créer des mouvements" correspondant à leur physique.

Depuis 20 ans, ce chorégraphe convoque au moins deux fois par semaine ses danseuses dans son petit appartement du quartier populaire de Marianao pour d'exigeantes répétitions. AprÚs une séance d'étirements, les danseuses exécutent des mouvements simples et gracieux. Pas d'acrobaties ni de sauts, les flexions et mouvements de bras sont privilégiés. Pas d'élévation non plus, puisque ce corps de ballet ne compte aucun homme pour le moment.

Pour ces danseuses non professionnelles, l'Ă©quilibre est parfois difficile Ă  trouver au moment de lever la jambe vers l'arriĂšre, et la douleur pointe parfois lorsqu'il faut garder des pauses inconfortables pendant plusieurs secondes. Ces danses "ne vont pas ĂȘtre les mĂȘmes que celles des personnes minces, parce que nous avons un autre poids, une autre morphologie". Ainsi "nous avons dĂ©couvert de nouveaux paramĂštres pour mieux transfĂ©rer le poids du corps" et d'autres mouvements pour "une meilleure esthĂ©tique" adaptĂ©e aux personnes en surpoids, explique le chorĂ©graphe.

"Les grosses ne dansent pas le ballet"

"Danse volumineuse" a déjà interprété plusieurs oeuvres sur scÚne, provoquant des réactions diverses du public. "Au moment des premiÚres représentations, il y avait comme un silence funÚbre, quelques rires. Certains se levaient et partaient (...) Mais quand le public a vraiment vu notre travail, sa difficulté et le fait qu'il y avait beaucoup d'entraßnement derriÚre, un sens esthétique, ils ont beaucoup applaudi et nous nous sommes gagné un public".

"Plus personne ne se moque maintenant, ils sont attentifs", abonde fiÚrement la danseuse Rubi Amaro, 34 ans. Il n'existe pas de limite de poids au sein de "Danse volumineuse". Chaque danseuse affiche de 100 à 120 kilos sur la balance. "J'ai toujours aimé le ballet classique, mais les grosses ne dansent pas le ballet classique (...) Les personnes obÚses sont toujours stigmatisées par la société", regrette Maylin Daza, mÚre au foyer de 36 ans.

"Je me suis donc mise Ă  chercher des personnes qui avaient les mĂȘmes caractĂ©ristiques que moi, qui aimaient plus ou moins les mĂȘmes choses", poursuit cette mĂ©tisse Ă  l'imposante carrure.

La compagnie a compté jusqu'à une vingtaine de danseurs voici quelques années, mais aujourd'hui seules sept danseuses sont vraiment assidues, aprÚs une série de défections et deux décÚs récents. "Cela n'a pas été une trajectoire facile", raconte Maylin, "nous avons perdu des camarades", mortes "à cause de l'obésité". Pour M. Mas, hors de question de se décourager, bien au contraire. La danse contribue "à nous sentir en bonne santé et à ne pas ouvrir la porte aux maladies engendrées par le surpoids", plaide-t-il.

A Cuba, 44,3% de la population souffre de surpoids ou d'obésité, selon des chiffres de 2012 du SystÚme de surveillance alimentaire et nutritionnelle (Sisvan). La semaine derniÚre, les danseuses de la troupe ont eu l'opportunité de se produire au prestigieux Théùtre national de La Havane, à l'initiative d'un groupe d'Américains venus dans le cadre d'un partenariat entre l'Université du Massachusetts et l'Union nationale des écrivains et artistes de Cuba (Uneac).

VĂȘtues de tutus sur mesure, de pantalons souples et de longs gants blancs, elles ont interprĂ©tĂ© un passage du plus cĂ©lĂšbre des ballets, le "Lac des Cygnes", au grand bonheur des quelques privilĂ©giĂ©s prĂ©sents... et des danseuses elles-mĂȘmes. "Ca y est, je fais du ballet classique !", s'est exclamĂ©e Maylin, la sueur perlant sur son front trop maquillĂ©.

AFP

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