Afrique - Bande dessinées

Le Nigeria se lance dans les super-héros 100% africains

  • PubliĂ© le 31 janvier 2016 Ă  05:00
Un dessin de Jide Martins, fondateur de Comic Republic, une start-up africaine s'étant donné pour mission de fabriquer des super-héros capables de rivaliser avec Iron Man, Batman et Spiderman, le 8 janvier 2016 à Lagos, au Nigeria

Dans le premier numéro d'"Aje", nouvelle bande dessinée nigériane, Teni, une étudiante, lance un mauvais sort à son petit ami, dans un élan de jalousie zébré d'éclairs violets. "Koni dara fun o ni yi aye (les choses ne s'arrangeront jamais pour toi dans cette vie)", gronde-t-elle en yoruba, la langue d'une des trois principales ethnies du Nigeria. Teni est le fruit de l'imagination de Jide Martins, le fondateur de Comic Republic, une des start-up africaines s'étant donné pour mission de fabriquer des super-héros capables de rivaliser avec Iron Man, Batman et Spiderman.

Contrairement Ă  Storm, une des hĂ©roĂŻnes de X-Men, qui a deux passeports, l'un amĂ©ricain et l'autre du pays imaginaire de Wakanda, les super-hĂ©ros de Jide Martins sont nĂ©s et ont grandi sur le continent africain. Et c'est aussi lĂ  qu'ils se battent. "A l'universitĂ©, j'ai commencĂ© Ă  me demander ce qui se passerait si Superman venait au Nigeria", raconte M. Martins, dans son appartement-studio de crĂ©ation Ă  Lagos, oĂč une petite Ă©quipe de jeunes illustrateurs travaille consciencieusement. "Les gens essaient de sortir de la norme et de trouver de nouvelles aspirations," dit-il. "On n'a pas besoin d'ĂȘtre blanc pour sauver le monde".

Jide Martins a 37 ans, une silhouette longiligne, des tùches de rousseur sur le nez et un petit bouc. Son premier numéro de bande dessinée, il l'a publié en 2013: c'était Guardian Prime, un héros en combinaison vert et blanc aux couleurs du drapeau nigérian. Depuis, il est passé de 100 lecteurs par numéro... à quelque 28.000.

Chaque numĂ©ro contient une trentaine de pages, n'existe qu'en version numĂ©rique et peut se tĂ©lĂ©charger gratuitement sur Internet. Des revenus sont gĂ©nĂ©rĂ©s grĂące Ă  la publicitĂ© et Ă  des produits dĂ©rivĂ©s, comme des manuels d'information sur le paludisme reprenant les mĂȘmes personnages.

"Dans l'esprit des gens, les personnages des bandes dessinĂ©es africaines devaient porter des vĂȘtements traditionnels... Ce n'est pas mon avis", explique M. Martins. "Ils peuvent avoir des noms nigĂ©rians et sauver les gens au Nigeria, et on peut les laisser porter du spandex!" Roye Okupe a lui aussi créé son super-hĂ©ros africain. Il est l'auteur d'E.X.O, la lĂ©gende de Wale Williams, une BD dont l'intrigue se dĂ©roule Ă  Lagoon City, sorte de Lagos du futur, ravagĂ©e par la corruption et prise d'assaut par des islamistes. M. Okupe a 30 ans et il a grandi dans la mĂ©galopole nigĂ©riane de quelques 20 millions d'habitants. Il est aujourd'hui basĂ© Ă  Washington, aux Etats-Unis.

"Vous n'ĂȘtes sans doute pas capable de me citer le nom de cinq super-hĂ©ros africains (...) Et mĂȘme si j'adore Black Panther," super-hĂ©ros de la cĂ©lĂšbre maison d'Ă©dition de bandes dessinĂ©es amĂ©ricaine Marvel, "il vient d'un pays africain imaginaire", rappelle-t-il.
"Si on avait sorti un super-hĂ©ros nigĂ©rian il y a dix ans, je pense que personne n'y aurait prĂȘtĂ© attention. Mais maintenant c'est une industrie qui a du succĂšs, parce que les gens recherchent la diversitĂ©", estime M. Okupe.

Pour les spécialistes de BD, les super-héros africains sont une évolution normale, dans un monde jusque-là trÚs dominé par les Blancs. "Je pense qu'il y avait une forte attente", estime Ronald Jackson, co-auteur du livre "Bandes dessinées noires: politiques de race et représentation". "Quand on commence à s'intéresser à d'autres identités, on devient de plus en plus réceptifs à ces nouvelles images représentées dans les bandes dessinées africaines", poursuit-il.

Ce qu'on ne voit pas encore vraiment "ce sont des ?uvres dérivées tels que des films ou des séries télévisées. Je pense que ce sera la prochaine grande étape pour la bande dessinée africaine", dit M. Jackson. Les jeunes illustrateurs de Comic Republic - ils ont tous moins de 30 ans - espÚrent eux aussi voir les personnages qu'ils créent prendre vie sur grand écran.

M. Martins et son équipe ont notamment créé Avonome, un héros qui se bat dans le monde spirituel, et Eru, professeur à l'Université de Lagos dont l'alter ego est une réplique du Dieu Yoruba de la peur.

Et ils espĂšrent que leurs sorciĂšres, encore plus fortes que les Jedi dans "Star Wars", sauront captiver le public. "On connaĂźt les Dieux grecs comme Zeus, mais personne n'a encore entendu parler de Shango, le Dieu de la foudre chez les Yorubas...", s'enthousiasme Tobe Ezeogu, un illustrateur de 23 ans.

AFP

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