Plaisir de lire

Deux grandes dames de la culture française

  • PubliĂ© le 21 dĂ©cembre 2014 Ă  13:20
Livre

Christiane Desroches Noblecourt et Jacqueline de Romilly sont deux des plus beaux esprits que la France a compté, deux femmes d'action et de culture, deux spécialistes d'une antiquité dont nous sommes infiniment plus tributaires qu'il y paraît. Deux auteurs incontournables...

Disparue le 23 juin 2011, Christiane Desroches Noblecourt est un personnage pour le moins extraordinaire, par sa culture immense, philologue, archéologue, égyptologue, professeur à l’École du Louvre, conservateur des Antiquités égyptiennes du Louvre, et donc héritière de Dominique Vivant-Denon et Jean-François Champollion ; par ses actes, résistante sous l’occupation, elle participe à la préservation des trésors du département égyptien du Louvre, puis arrache à Nasser l’autorisation de déplacer et sauvegarder les 14 temples et sites archéologiques de Nubie - dont Abou Simbel. des trésors condamnés par le barrage d’Assouan, dont l’érection a été décidée en 1954. Des travaux surhumains sont engagés par l’Unesco, sous sa houlette, pour sauver ce que Malraux qualifiera, d’indivisible héritage de la première civilisation mondiale et de l’art mondial... Un tel legs à la postérité lui vaut tous les honneurs possibles et imaginables.

Son œuvre écrite, elle aussi monumentale, au point qu’il est impossible de l'énumérer ici dans sa totalité ; il convient d’en citer deux des piliers fondamentaux, les biographies - non romancées - de Ramsès II et de la reine Hatshepsout, dont le tombeau est sans hésitation le plus extraordinaire monument de la vallée des reines. Elle a su vulgariser son immense culture et transmettre au plus grand nombre le sens du leg transmis par les anciens égyptiens à notre culture, qu’elle qualifiait à juste titre d’égypto-chrétienne. "Le fabuleux héritage de l’Égypte", fruit d’une vie de recherche, se lit d’une traite comme un divertissement et relie notre contemporain à celui des Égyptiens de l’antiquité, bien au-delà du calendrier et du jeu de l’oie, jusque dans nos fables et la symbolique du christianisme. Première femme archéologue, elle sut tenir tête à l’occupant nazi, à Nasser, Charles de Gaulle, et littéralement soulever des montagnes au nom de la culture universelle.

On peut aborder son œuvre, et un grand voyage avec :

"La grande Nubiade ou le parcours d’une égyptologue". Stock

"Ramsès II, la véritable histoire".Pygmalion 

"Hatchepsout : la reine mystérieuse". Flammarion 

"Le fabuleux héritage de l’Egypte Paris". Télémaque 

"Vie et mort d’un pharaon : Toutankhamon". Pygmalion

Bibliographie intégrale ici

 

Un certain Protagoras, fort mécréant pour son temps

 

Jacqueline de Romilly nous a quittés le 18 décembre 2010. Et ce jour-là, la France a perdu l’un de ses grands esprits. Helléniste, auteur d’une œuvre à franchement parler colossale, comme en témoigne sa bibliographie, Jacqueline de Romilly est élue en 1975 l’Académie des inscriptions et belles-lettres au fauteuil de l’helléniste Pierre Chantraine ; académie qu’elle présidera 12 ans plus tard. Elle rejoindra aussi l’Académie française, devenant la seconde femme, après Marguerite Yourcenar, à devenir immortelle. Son cursus professionnel suit une impressionnante trajectoire, première

femme à intégrer l’Ecole normale supérieure (1933),agrégée de Lettres en 1936... L’occupation ne lui sera pas facile, étant d’origine juive comme son époux, l’éditeur Michel Worms de Romilly. Elle enseigne ensuite au lycée avant d’être nommée maître de conférences en 1949, puis professeur titulaire à la faculté des Lettres de Lille, qu'elle délaissera pour occuper le poste de professeur de langue et littérature grecques à la faculté des lettres de Paris... Enfin, elle rejoindra le Collège de France es qualité de titulaire de la chaire intitulée "La Grèce et la formation de la pensée morale et politique"...

En sus d’une œuvre proportionnelle à son érudition, Catherine de Romilly s’est impliquée dans des actions visant à promouvoir les valeurs de la citoyenneté par l’enseignement des "humanités" et donc de la culture littéraire si mal considérée depuis les années 60. Deux associations dans lesquelles elle a imprimé sa marque sont toujours actives aujourd’hui, "Sauvegarde des enseignements littéraires" et "Élan nouveau des citoyens" qui sont logiquement liées dans des démarches complémentaires. Mais quel rapport peut-on trouver entre la Grèce classique, Thucydide, la Guerre du Péloponnèse, le théâtre d’Eschyle, celui d’Euripide et notre temps ? Quel rapport avec nos politiques et les aventures d’un mauvais garçon nommé Alcibiade ? On y trouve tout bêtement les fondements de notre société, l’invention de la démocratie et du droit, celle de la rhétorique, de l’histoire et de la philosophie, l’invention d’une conscience curieuse et réfléchie, la genèse du miracle grec dont nous sommes les héritiers et exécuteurs testamentaires par-delà les siècles, et jusqu’à notre humanisme chéri ; un certain Protagoras, fort mécréant pour son temps ayant émis l’idée selon laquelle l’Homme est la mesure de toute chose.

Plus encore qu’à propos de l’Egypte ancienne, la Grèce, ce sont des voix

qui nous parlent avec une étonnante "modernité", si l’on veut bien pardonner cet anachronisme. Que de leçons s’offrent à qui veut bien les entendre dans la Guerre du Péloponnèse où l’on voit la démocratie athénienne s’effondrer victime de ses propres excès de populisme, après l’ivresse d’un impérialisme dominateur... Jusqu’à l’histoire agitée de notre " Europe " qui est contenue en germe dans le destin des cités-Etats qui jamais ne surent s’unifier, si ce n’est face au danger perse, et sous l’égide héroïque mais violente de Philippe II et Alexandre III de Macédoine... Si nous perdions le lien avec ces voix qui nous parlent de si loin, notre civilisation deviendrait comme amnésique, au risque d'abandonner une part de notre humanité. Jacqueline de Romilly a capté et réfracté sur notre temps une part de la lumière du miracle grec, ce faisant, elle s’est métamorphosée en étoile et brille dans un ciel empli de mythes et de légendes.

Quelques lectures :

"Pourquoi la Grèce ?" Poche.

"Alcibiade ou les dangers de l'ambition". Fallois. 

"La grandeur de l'homme au siècle de Périclès". Fallois.

"La tragédie grecque".PUF.

"Hector". Poche.

"Ce que je crois". Poche.

Philippe Le Claire pour Imaz Press Réunion

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1 Commentaires
catherine
catherine
10 ans

Pour ceux qui apprécient ces deux femmes exceptionnelles, ce sera un paisir de regarder l'émission "Bibliothèque Médicis" de la chaine" Public Sénat"datant déjà de quelques années. Deux vieilles dames indignes, deux jeunes filles enthousiastes, pleines de vie, de culture, de joie, brillantes et espiègles! Une leçon de vie !