Sciences - Attaque mortelle d'un squale contre Mathieu Schiller

Un manque cruel de connaissances des requins

  • PubliĂ© le 21 septembre 2011 Ă  06:00
Mardi 20 Septembre 2011

Recherche du corps  de l'ancien champion de bodyboard Mathieu Schiller

Pascal Bach et Marc Soria sont chercheurs écologues marins à l'IRD (institut de recherche pour le développement). En 2007 et 2008, ils ont proposé à deux reprises, un programme d'études des requins cÎtiers de La Réunion. Il n'avait pas retenu l'attention des financeurs de projets scientifiques. Aujourd'hui, le manque cruel de connaissances des squales montre à quel point il est pourtant nécessaire d'en savoir plus pour savoir comment agir. Au lendemain de l'attaque mortelle dont a été victime Mathieu Shiller, un champion de bodybodard de 32 ans, ce 19 septembre 2011, les deux chercheurs évoquent le "goût amer" engendré par le fait que "le besoin de connaissances de l'écologie des requins cÎtiers n'a jamais été envisagé à sa juste mesure depuis plusieurs années". Interview.

* Que pensez vous de la proposition du préfet d'organiser des "prélÚvements" de requins? Pensez vous que cela serve à quelque chose?

- La dĂ©cision du prĂ©fet d'organiser des prĂ©lĂšvements pourra permettre de rassurer la population en montrant que des actions concrĂštes sont enfin menĂ©es en prĂ©levant des individus potentiellement dangereux des zones sensibles. Pour autant il ne s'agit que d'un pis-aller qui ne peut montrer des rĂ©sultats qu'Ă  trĂšs court terme. Sans connaissances de la structure dĂ©mographique de la population, en particulier de la proportion de grands individus potentiellement dangereux et du comportement de ces derniers notamment leur territorialitĂ©, la rĂ©elle efficacitĂ©, mĂȘme Ă  court terme, de prĂ©lĂšvements est difficilement quantifiable mais probablement mineure.

* Avez vous le sentiment que la question des requins a été envisagée à sa juste mesure depuis quelques années?

La question sur le besoin de connaissances de l'écologie des requins cÎtiers n'a jamais été envisagée à sa juste mesure depuis plusieurs années, disons 5 à 6 ans. Les écosystÚmes changent, les aménagements cÎtiers changent, le comportement des usagers du milieu marin cÎtier évolue et dans cet univers en plein changement, nos connaissances ne peuvent rester figées, et pour La Réunion, le pire est que "le figé" correspond à une absence totale de connaissances.

* Vous avez proposé deux projets de recherche en 2007 et 2008 sur l'étude du comportement des requins qui n'ont jamais été financés, quelle est votre réaction au lendemain d'une nouvelle attaque mortelle?

Les Ă©vĂšnements douloureux de ces derniers mois nous laissent un goĂ»t amer. Lorsqu'en 2007 et 2008, nous avons soumis le projet de recherche CHARC sur le comportement et l'habitat des requins cĂŽtiers de La RĂ©union incluant une Ă©tude sur la structure dĂ©mographique des populations, nous avions anticipĂ© le fait que La RĂ©union avait un besoin crucial d'amĂ©lioration des connaissances sur cette composante importante de l'Ă©cosystĂšme cĂŽtier. Il Ă©tait totalement impensable qu'une rĂ©gion comme La RĂ©union connaissant un fort dĂ©veloppement notamment sur sa bande cĂŽtiĂšre, oĂč le nombre d'usagers du littoral en gĂ©nĂ©ral et le nombre de pratiquants des sports de glisse en particulier, oĂč des attaques de requins avaient dĂ©jĂ  Ă©tĂ© rĂ©pertoriĂ©es, puisse ne pas disposer ne serait ce que d'un minimum de connaissances de l'Ă©cologie de ces prĂ©dateurs. La recherche actuelle est Ă  l'image de la sociĂ©tĂ© avec un fonctionnement permanent en flux tendu, la place est Ă  l'urgence, Ă  l'attraction mĂ©diatique, et malheureusement les dĂ©marches anticipatives trouvent de moins en moins de place pour exister. Nous n'avons pas la prĂ©tention de dire que si ce programme avait existĂ©, les attaques auraient pu ĂȘtre Ă©vitĂ©es le risque zĂ©ro n'existant probablement pas, en revanche des connaissances auraient pu ĂȘtre acquises et utilisĂ©es pour initier une rĂ©flexion sur la prĂ©vention des risques.

* Quelles mesures d'urgence seraient les plus appropriées aujourd'hui, selon vous?

Dans un premier temps, nous prĂ©coniserions une expertise par des spĂ©cialistes engagĂ©s dans la prĂ©vention et la gestion du risque requins (des chercheurs du Natal Shark Board en Afrique du Sud par exemple). Dans un deuxiĂšme temps, une opĂ©ration d'urgence Ă  mener consisterait Ă  rĂ©aliser des campagnes exploratoires intensives couplĂ©es tout d'abord Ă  des marquages classiques permettant simplement de voir si un individu capturĂ© un jour est recapturĂ© les jours suivants pour disposer rapidement d'informations sur les populations ou les sous populations prĂ©sentes dans les zones sensibles concernant les tailles des individus, leur rĂ©partition gĂ©ographique en identifiant peut ĂȘtre des zones de concentration (hot spot) et leur abondance.

* Pensez vous, comme on en a le sentiment, qu'il y a une augmentation du nombre d'attaques de requins? Si oui, avez vous une explication?

Nous n'avons pas d'idĂ©es prĂ©cises sur la sĂ©rie chronologique des attaques Ă  La RĂ©union mais il ne nous semble pas que le nombre d'attaques soit supĂ©rieur Ă  ce qu'il a Ă©tĂ© dans le passĂ©. En revanche, probablement la concentration des attaques dans une pĂ©riode de temps assez rĂ©duite peut donner cette impression. Malheureusement, nous n'avons pas d'explications objectives pouvant expliquer cette concentration et la pĂ©riode inhabituelle de la journĂ©e Ă  laquelle certaines de ces attaques se sont produites. On cherche toujours Ă  expliquer un Ă©vĂšnement a posteriori mais en l'absence de connaissances, lorsque ces Ă©vĂšnements restent somme toute rares, il est difficile de faire Ă©merger une hypothĂšse voire de pouvoir les prioriser lorsqu'elles peuvent ĂȘtre multiples.

Propos recueillis par Marine Veith pour
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