Sur cette plage peu accessible de Mayotte, dissimulées derriÚre la végétation, d'impressionnantes carapaces de tortues marines gisent, vidées de leurs occupantes. Dans l'ßle, "la plus grosse menace, pour les tortues, c'est le braconnage", dénonce François-Elie Paute, de l'association environnementale Oulanga Na Nyamba.
Ce matin-là , les membres de l'association recensent ces victimes du braconnage, marquant d'un trait rouge à la bombe les carapaces géantes mais aussi les crùnes, les os et les écailles qu'ils découvrent à Papani (Petite-Terre) afin de transmettre ces données au réseau d'échouage mahorais de mammifÚres marins et de tortues marines (Remmat).
Cette ßle française est un haut lieu de ponte pour les tortues vertes dans l'océan Indien, avec 3.000 à 4.000 "montées" comptabilisées par an et, en réalité, probablement bien davantage, indique le Remmat, qui souligne les difficultés d'un recensement précis de la population de cette espÚce appelée Chelonia Mydas et considérée comme menacée par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
Ces tortues vertes pondent tout au long de l'année à Mayotte. On en retrouve quelque 400 mortes par an sur les plages, dont environ 80% ont été braconnées, relÚve le réseau. "Nous avons une responsabilité par rapport à la tortue verte", la plus présente dans l'ßle, juge Marc-Henri Duffaud, coordinateur du Remmat.
Dans ce dĂ©partement français, les tortues sont essentiellement tuĂ©es pour la vente de leur chair. Cette "viande dont on ne dit pas le nom" lorsqu'on la propose s'achĂšte jusqu'Ă 100 euros le kilo, relate Ă l'AFP ClĂ©a, d'Oulanga Na Nyamba, sans ĂȘtre toutefois en mesure de prĂ©ciser les canaux de ce commerce.
Sur les consommateurs, peu d'informations circulent lĂ aussi, affirme M. Duffaud en Ă©voquant "un marchĂ© noir". La viande de tortue semble n'ĂȘtre destinĂ©e qu'aux hommes, mais les enquĂȘtes de village ne permettent pas de mesurer l'ampleur de la pratique. "Dans notre enquĂȘte gĂ©nĂ©rale, seuls 5% des sondĂ©s ont avouĂ© avoir consommĂ© de la tortue : soit ils savent que c'est interdit, soit il y a trĂšs peu de consommateurs", indique le coordinateur du Remmat.
Par luxe et par nécessité
Les braconniers "ont des profils atypiques", souvent écartés de l'emploi et de la société, détaille Loïc Thouvignon, chef du service départemental de l'Agence française de la biodiversité (AFB).
Ce ne sont pas forcĂ©ment des clandestins qui braconnent, relĂšve Marc-Henri Duffaud, mĂȘme si certaines personnes en situation irrĂ©guliĂšre sont parfois utilisĂ©es comme "petites mains" pour cette tĂąche, prĂ©cise LoĂŻc Thouvignon.
Ce qui est certain en revanche, souligne ce dernier, c'est que les consommateurs, eux, sont généralement Mahorais.
M. Thouvignon évoque une viande vendue chÚrement et consommée par des personnes a priori plutÎt aisées. Mais aussi, apparemment, par des habitants dans le besoin sur cette ßle pauvre et qui mangent par nécessité cette viande acquise illégalement, souligne M. Duffaud.
En 2017, la réglementation s'est durcie et les braconniers risquent désormais entre un et deux ans de prison ferme et jusqu'à 150.000 euros d'amende. Mais la loi est peu appliquée et seules quatre à six affaires parviennent jusqu'au tribunal chaque année.
Le flagrant dĂ©lit "reste compliquĂ©" en raison d'un manque d'inspecteurs spĂ©cialisĂ©s, du nombre considĂ©rable de plages oĂč les tortues pondent (environ 150), de la difficultĂ© Ă y accĂ©der et du fait que les braconniers opĂšrent de nuit, explique M. Thouvignon. "Ce n'est pas la cĂŽte Atlantique, ici", plaisante Marc-Henri Duffaud, qui avoue que les suivis sont "limitĂ©s".
"Pas des cowboys"
Face aux braconniers, "qui sont parfois 5 ou 10, les agents ne jouent pas aux cowboys", explique Anil Akbaraly, le chef du service Environnement du conseil départemental.
Il souligne les risques d'agression encourus par la vingtaine d'agents du DĂ©partement chargĂ©s d'inventorier les pontes. Ces agents, qui ne sont ni habilitĂ©s au maintien de l'ordre ni armĂ©s, sont accusĂ©s notamment par l'association Sea Shepherd rĂ©cemment de ne pas ĂȘtre au poste sur les plages.
Le maintien de l'ordre revient à sept inspecteurs armés de l'AFB, dont 40% de l'activité (des missions de police de l'environnement) est dédiée à la lutte contre le braconnage des tortues marines, rappelle Loïc Thouvignon.
Sept inspecteurs armĂ©s spĂ©cialistes de l'environnement pour Mayotte, cela peut sembler peu par rapport Ă la surface de l'Ăźle (376 km2) mais c'est bien plus qu'Ă La RĂ©union, par exemple, oĂč ils ne sont que deux.
Chaque année, 250.000 euros sont consacrés à la protection des tortues marines, complÚte Marc-Henri Duffaud.
Reste que "pour l'instant", on manque de statistiques sur la ponte et le braconnage des tortues, reconnaßt Michel Charpentier, président de l'association des Naturalistes de Mayotte, qui s'inquiÚte d'un déclin de la population.
Sur la plage de Papani, ce matin-là , l'association poursuit son recensement, alignant au pied de la falaise les carapaces vides et bombées de rouge. Le Remmat débarrassera bientÎt l'ensemble des plages de Mayotte des reliquats laissés par les braconniers afin de pouvoir procéder à un nouveau comptage annuel, un nouvel inventaire macabre.
AFP



