Dans les mers australes

Des albatros "espions" pour traquer les braconniers

  • PubliĂ© le 31 octobre 2018 Ă  16:57
  • ActualisĂ© le 28 janvier 2020 Ă  20:18
Des albatros "espions" pour traquer les braconniers

Des grands albatros vont, ces prochaines semaines, aider Ă  traquer dans les mers australes les bateaux suspects de pĂȘche illĂ©gale, grĂące Ă  un systĂšme de balise portĂ© par ces gĂ©ants des ocĂ©ans, transmettant en quasi-simultanĂ© la localisation des navires qu'ils croisent.

C'est un programme scientifique pour préserver cette "famille d'oiseaux la plus menacée au monde", qui a débouché sur cet emploi indirect d'espion des mers, explique le Centre d'études biologiques de Chizé (CEBC) du CNRS, cornac du projet.

Entre novembre et mars, 150 premiĂšres balises vont ĂȘtre apposĂ©es sur des albatros des Ăźles Crozet, Kerguelen et Amsterdam, dans les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), aprĂšs des essais concluants dĂ©but 2018.

"Ocean Sentinel", programme labellisé Conseil européen de la Recherche (ERC), est né d'une inquiétude sur un déclin démographique "trÚs prononcé" des albatros des Crozet et Kerguelen, "suivis depuis prÚs de 50 ans, dont on connaßt tous les individus", explique à l'AFP Henri Weimerskirch, directeur de recherche au CEBC.

La pĂȘche Ă  la palangre --de lĂ©gine, de thon-- une longue ligne dont les hameçons appĂątĂ©s attirent et piĂšgent les albatros, les entraĂźnant par le fond, a Ă©tĂ© montrĂ©e du doigt. Puis la population s'est rĂ©tablie, aprĂšs les progrĂšs rĂ©alisĂ©s avec les pĂȘcheries australes pour minimiser les risques: notamment poser des lignes de nuit, les plomber pour qu'elles coulent plus vite, ou effaroucher les oiseaux lors de la pose.

Pourtant la mortalitĂ©, en particulier de jeunes albatros, est repartie Ă  la hausse depuis une dĂ©cennie (-20%), posant des questions sur leur vulnĂ©rabilitĂ© particuliĂšre aux pĂȘcheries, voire sur une difficultĂ© plus gĂ©nĂ©rale Ă  s'approvisonner, s'interrogent les scientitfiques.

Selon l'UICN (Union interntionale de conservation de la nature) 18 espÚces d'albatros sur 22 sont menacées, dont certaines en danger d'extinction. A l'échelle mondiale, on compte environ 25.000 couples reproducteurs de Grand albatros (Diomedea exulans).

Un "patrouilleur des mers" idéal

D'oĂč l'idĂ©e du CEBC d'une balise dernier cri, mise au point avec une sociĂ©tĂ© nĂ©o-zĂ©landaise qui, de maniĂšre classique, va renseigner sur le comportement des albatros, leur Ă©tat, leurs dĂ©placements, mais aussi va dĂ©tecter les radars des bateaux croisĂ©s en route par les oiseaux.

Un point crucial, sachant que lorsqu'ils se livrent Ă  des pĂȘches illĂ©gales, des bateaux peuvent "Ă©teindre" leur "systĂšme d'identification automatique" (AIS, qui permet d'identifier statut, position, route des navires) pour passer en mode discret. Par contre, ils ne peuvent naviguer sans radar, pour des raisons de sĂ©curitĂ©.

"Or la moitié des bateaux qu'on détecte (lors des essais) n'ont pas leur AIS branché..." souligne M. Weimerskirch. Mais avec l'albatros et sa balise, qui "capte" le bateau à partir de 5 km, "on a la localisation du bateau une demi-heure aprÚs le contact". En cas de navire non déclaré dans une Zone économique exclusive (ZEE) ou un peu trop prÚs, "l'information est fournie aux autorités, pour information et interception éventuelle", souligne la présentation d'Ocean Sentinel.

Le Grand albatros dispose de la plus grande envergure au monde (jusqu'à 3,50 m), et peut parcourir jusqu'à 20.000 km en 15 jours de voyage d'approvisionnement, ce qui fait de lui un "patrouilleur des océans" de premier ordre, explique M. Weimerskirch.

Il est en outre "facile d'accĂšs, pas du tout farouche" (mĂȘme s'il faut se mĂ©fier des coups de bec). C'est donc un collaborateur idĂ©al pour fixer la petite balise de 70 grammes sur le dos de l'oiseau (de 10-12 kilos) avec un fort adhĂ©sif ou la rĂ©cupĂ©rer. Un collaborateur durable, qui plus est --les plus robustes peuvent vivre 60-70 ans.

Ocean Sentinel doit aussi ĂȘtre testĂ© en 2019 en Nouvelle-ZĂ©lande, en collaboration avec le ministĂšre des PĂȘches, lĂ  aussi en lien avec un dĂ©clin de populations locales d'albatros. Idem aux Ăźles Hawaii.

Et mĂȘme s'il n'est qu'"une petite partie d'un programme de recherche" sur l'albatros, le projet du CEBC a dĂ©jĂ  reçu des lettres d'intĂ©rĂȘt, d'ONG internationales et bien sĂ»r de l'administration TAAF. Et devrait s'avĂ©rer un outil prĂ©cieux pour des commissions internationales de pĂȘche. Ocean Sentinel, ou la revanche du "voyageur ailĂ©", finalement ni si gauche, ni si veule.

AFP

guest
0 Commentaires