À La Réunion, territoire particulièrement marqué par les violences intrafamiliales, la justice a choisi une voie inédite pour interpeller les auteurs et prévenir la répétition des drames : un film de sept minutes en créole, projeté en ouverture des audiences correctionnelles spécialisées. Réalisé par l’autrice réunionnaise Sabrina Hoarau, le projet a été développé sous la houlette de la présidente du tribunal judiciaire de Saint-Denis, Emmanuelle Wacongne. La première projection est prévue mi-septembre 2025 (Photo RB/www.imazpress.com)
Depuis plusieurs années, la juridiction dionysienne est confrontée à une masse importante de dossiers liés aux violences intrafamiliales (VIF). Violences conjugales, violences sur enfants, violences sexuelles : les cabinets d’instruction comme les juges des enfants croulent sous les affaires. Constatant l’ampleur du phénomène, le tribunal a mis en place dès juin 2023 un pôle VIF, avant même que la loi ne l’impose. Attachés de justice, coordonnateurs et référents y travaillent à fluidifier l’échange d’informations entre parquet, instruction, juges aux affaires familiales et juges d’application des peines.
Le nombre de plaintes pour violences intrafamiliales est en hausse. Les victimes se présentent plus facilement auprès de la police ou de la gendarmerie. Cette évolution tient à une meilleure information des familles, au rôle des associations qui encouragent les victimes à franchir le pas, mais aussi à une formation renforcée des forces de l’ordre. Des référents VIF existent désormais dans chaque service de gendarmerie et de police, pour améliorer l’accueil et l’orientation. Les magistrats eux-mêmes sont appelés à se former spécifiquement sur les violences intrafamiliales, à travers des stages à l’École nationale de la magistrature.
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- Des audiences spécialisées -
Au-delà des violences physiques, la justice s’attache de plus en plus à repérer les situations de "contrôle coercitif", caractérisées par une emprise psychologique et un contrôle permanent exercé par un auteur sur sa victime. Ce type de comportement, souvent banalisé, est un indicateur fort de dangerosité, notamment lors des séparations. La notion est désormais intégrée dans les ordonnances de protection. Elle permet d’agir en amont, avant qu’un drame ne survienne.
Dans ce contexte, des audiences correctionnelles dédiées aux VIF sont organisées deux fois par mois. Chacune traite huit à dix dossiers longs, où la parole des victimes occupe une place centrale. Avocats spécialement formés, associations d’aide aux victimes comme l’ARAJUFA et le Réseau VIF, permanences du barreau : tous les acteurs sont mobilisés. Les victimes sont contactées en amont, préparées et accompagnées. Pour Emmanuelle Wacongne, présidente du tribunal judiciaire de Saint-Denis, il fallait aller plus loin : donner à ces audiences une dimension cathartique et pédagogique, qui dépasse la stricte sanction pénale.
- Le choix du cinéma -
C’est dans cet esprit qu’est né le projet de film, porté par la réalisatrice réunionnaise Sabrina Hoarau et développé sous la houlette d’Emmanuelle Wacongne. "Les violences intrafamiliales relèvent de l’horreur et de l’incompréhensible", explique la réalisatrice. Le cinéma est apparu comme le vecteur idéal pour provoquer une prise de conscience. Pendant plusieurs mois, l’autrice a travaillé avec une société de production locale. Le tournage a même eu lieu dans l’enceinte du tribunal, renforçant la dimension réaliste.
Le résultat : un court-métrage d’environ sept minutes en créole, qui raconte l’histoire d’un jeune homme trentenaire, métis, jugé pour avoir tué sa compagne enceinte. Au fil du récit, on découvre un passé marqué par les violences, la reproduction des schémas familiaux, la culpabilité et le déni. La figure de la mère, poussée au suicide par un conjoint violent, occupe une place centrale. "À La Réunion, la mère est le socle", souligne la réalisatrice. Confronter l’auteur à sa mère, même symboliquement, c’est le placer face à la justice, à sa famille et à la société tout entière.
- Un film qui parle aux auteurs de violences -
Le choix de ce registre, proche de l’horreur, et de personnages ancrés dans la réalité réunionnaise, vise à provoquer l’identification. Contrairement aux films pédagogiques métropolitains souvent jugés trop éloignés, celui-ci parle directement aux auteurs. Il sera diffusé au début de chaque audience, avant l’examen des dossiers. "L’idée est de réveiller quelque chose en eux", confie Emmanuelle Wacongne. Victimes et prévenus assisteront ensemble à la projection.
Le film n’est pas destiné qu’au tribunal. Il pourra être utilisé par le Service pénitentiaire d’insertion et de probation, par le centre de détention de Domenjod, par les associations comme le Réseau VIF et la RAJUFA dans le cadre des stages de sensibilisation. La discussion qui suivra avec les auteurs doit permettre d’ouvrir un espace de parole plus concret, plus adapté aux réalités locales.
- Un préquel à l'étude -
Outre le soutien du Conseil départemental de l’accès au droit, les barreaux de Saint-Denis et de Saint-Pierre ont participé au financement. Déjà, un second film est à l’étude : il s’agirait d’un "préquel", consacré aux violences physiques et psychologiques en amont du crime, pour montrer la graduation et la banalisation progressive qui mènent au drame.
La première audience avec projection se tiendra en septembre 2025. Une innovation judiciaire et artistique qui pourrait, si elle s’avère efficace, être reproduite ailleurs. "Montrer jusqu’où peut mener la violence, c’est peut-être empêcher qu’elle ne recommence", résume la présidente du tribunal.
Si vous êtes victimes de violences conjugales, vous pouvez contacter le 3919, le numéro national de référence d’écoute téléphonique et d’orientation à destination des femmes victimes de violences. Des conseillers sont disponibles 24h/24. La Réunion est le quatrième département français en matière de violences intrafamiliales.
En cas d'urgence, le seul numéro à composer est celui de Police Secours.
Le 112, numéro d'urgence européen
Le 114 pour les personnes sourdes, malentendantes, aphasiques, dysphasiques
Le 115 pour la mise à l'abri pour un hébergement d'urgence
Le 15 pour les urgences médicales, ou le 18
Le 119 pour les enfants en danger
Le 08 019 019 11 pour les auteurs de violences conjugales
Vous pouvez signaler des faits de violences intrafamiliales en ligne, directement auprès du commissariat ou de la gendarmerie la plus proche sur le www.servicepublic.fr/cmi Anonyme et gratuit, ce tchat est accessible 24h/24 et 7j/7 pour échanger avec des policiers ou des gendarmes spécialement formés aux violences sexistes et sexuelles.
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En attendant le film SPL Estival
Encore une fois les Vif sont abordées sur le seul prisme des violences faites aux femmes ( je ne minimise pas cette cause) mais la problématique des enfants maltraités est toujours laissé de coté ( cf: commission d’enquête parlementaire sur l’ase). Quand aux référents Vif dans les gendarmeries ce ne sont que des postes administratifs (pour dire que cela existe) pour leurs réunions internes, je vous mets au défi d’en rencontré un en cas de problématiques