Après la série d'attentat perpétrés par des "soldats" de l'Etat islamique en France et en Europe, un débat est né dans la sphère médiatique : faut-il diffuser les noms, photos et vidéos permettant d'identifier les terroristes, ou faut-il les censurer ? Cette réflexion a agité la plupart des rédactions nationales et plusieurs médias ont choisi d'afficher leur positionnement, dessinant deux camps : ceux qui font le choix de ne plus divulguer l'identité des terroristes, et ceux qui continueront à le faire. Mais qu'en est-il à La Réunion? Nous avons posé la question à nos confrères. Après de vives discussions, ils sont une majorité, dont Imaz Press Réunion, à avoir pris la décision de continuer à diffuser les noms et les images des jihadistes.
Au Journal de l'Ile, chez Réunion 1ère ou encore RTL Réunion, les responsables de rédaction que nous avons pu interroger avouent que la question continue de faire débat au sein de leurs rédactions respectives, mais que pour l'heure, les images et les noms des terroristes seront relayés par leurs médias.
• Gilbert Hoair, rédacteur en chef, Réunion 1ère numérique : Le risque , que les gens pensent “voilà ce que les journalistes vous cachent”
"Nous n’avons pas pris de décision commune. Pour l’info nationale, Réunion 1ère diffuse les reportages de France 2, qui décide donc de diffuser ou non les noms et images des terroristes. A titre personnel, sur notre site Internet, je suis plutôt favorable à la diffusion des photos, en floutant les visages peut-être, pour éviter un quelconque effet vedette posthume. Mais sincèrement je me demande si n’est pas un coup d’épée dans l’eau puisque de toute façon tout le monde peut diffuser ces images sur les réseaux sociaux en disant en plus “voilà ce que les journalistes vous cachent”. Du coup cela aurait un effet totalement inverse"
• Eric Fontaine, Rédacteur en chef et Nicolas Delacroix, Directeur de l’Antenne, chez Antenne Réunion : "Au cas par cas"
"Il faut bien entendu éviter la " starification " des terroristes ou encore l’effet "martyr". On a décidé de traiter au cas par cas en fonction des éléments d’information. Les visages seront floutés si nécessaire. Les photos et vidéos avec des armes seront systématiquement floutées ou supprimées. Ce n’est pas une censure, mais de la distance sur l’information, sur ce qui peut et ne doit pas être diffusé. L’argument des réseaux sociaux ne peut pas être reconnu car notre caution et notre responsabilité éditorialement est bien plus grande qu’eux.
• Thierry Durigneux, rédacteur en chef du Quotidien : "Dire 'X a déclaré cela à propos de Y', ce n’est pas faisable"
"Nous en avons discuté. Pour Saint-Etienne-du-Rouvray comme pour d'autres drames de ce genre, la presse s’est beaucoup intéressée à l’enfance des auteurs des faits, à leur vécu, à leur personnalité, elle a posé des questions, interviewé des gens pour déterminer comment ces personnes se sont radicalisées. Je ne vois pas comment ce travail aurait été possible en ne citant pas les noms. Il aurait fallu dire “X a déclaré cela à propos de Y”, ce n’est pas faisable. L'argument sur la stigmatisation des personnes d’origine maghrébines ne tient pas ici à La Réunion. Je suis absolument contre la démarche qui consisterait à traiter les jihadistes comme des criminels hors classe. Ce sont des criminels, point. Le traitement journalistique doit être identique à celui des autres criminels, ni plus ni moins.
• Florent Corré, directeur général adjoint du Journal de l’Île : "Publier les photos des terroristes ce n’est pas leur faire honneur"
"Le débat sur les photos est vide de sens puisque de toute façon tout le monde peut les diffuser sur les réseaux sociaux. Il y a une différence entre publier la photo d’un individu ayant commis un acte atroce et interviewer une personne devant le corps de l’un de ses proches, comme l’a fait à tort France 2 dans les minutes qui ont suivi l’attentat de Nice. Publier les photos des terroristes ce n’est pas leur faire honneur, c’est simplement les traiter comme tous les autres criminels"
• Sylvain Peguillan, directeur du Groupe H2R (RTL Réunion, NRJ…) : "Ne pas le faire reviendrait à laisser libre cours à la propagande de l’Etat islamique"
"il faut publier les noms et les photos des terroristes en faisant un traitement journalistique des actes odieux qu’ils ont commis. Ne pas le faire reviendrait à laisser libre cours à la propagande de l’Etat islamique qui, lui, va diffuser les noms et les photos pour glorifier ces personnages"
Au plan national, plusieurs médias ont décidé de continuer à publier les noms et les photos des terroristes
• Johan Hufnagel directeur adjoint de Libération : (interrogé par liberation.fr) "publier les photos de terroristes et les glorifier, ce n’est pas la même chose. Dabiq (revue de l’EI) glorifie". "Imaginez un papier avec les frères SA et BA, AA, FAM". Il indique que le sujet est un débat "permanent" au sein de la rédaction.
• Alexis Brezet, directeur des rédactions du Figaro : (interrogé par liberation.fr) la publication des noms des auteurs d'attentats relève "du devoir d’information", sinon c’est "prendre le risque de s’aliéner ceux qui croient au grand complot des médias". Concernant les photos, il souligne, "tout est question de mesure".
• Catherine Nayl, directrice générale adjointe à l’information à TF1 : (interrogée par liberation.fr) plaide pour le "cas par cas": "Entre le matraquage d’un nom et d’une photo et un élément d’information, il faut choisir une voie médiane".
• Germain Dagognet, directeur délégué à l’information à France Télévisions : (interrogé par liberation.fr) "nous engager dans une règle systématique d’autocensure ne nous paraît pas être la bonne démarche parce que nous devons porter à destination du public un certain nombre d’informations".
• Michèle Léridon, directrice de l’information à l’Agence France-Presse : (interrogée par liberation.fr) estime que son critère "doit rester la valeur informative d’un texte ou d’une image: en l’espèce, le nom et la photo d’un auteur d’attentat constituent bien une information dont nous ne voulons pas priver nos 5.000 clients dans le monde, qui peuvent ensuite décider ou pas de les utiliser".
Au plan national, d'autres médias, comme RTL, Europe 1, ou La Croix, ont décidé de ne pas publier les noms et les photos des terroristes
Jérôme Fenoglio, directeur du Monde : "depuis l’apparition du terrorisme de l’organisation Etat islamique, Le Monde a plusieurs fois fait évoluer ses usages. Nous avons notamment décidé de ne plus publier d’images extraites des documents de propagande ou de revendication de l’EI. A la suite de l’attentat de Nice, nous ne publierons plus de photographies des auteurs de tueries, pour éviter d’éventuels effets de glorification posthume. D’autres débats sur nos pratiques sont en cours"
• Hervé Béroud, directeur de la rédaction de BFM-TV : (interrogé par lemonde.fr) : "nous voulons éviter de faire une mise en avant involontaire de ces gens, avec des photos qui, de plus, sur l’antenne d’une chaîne d’information en continu, reviennent plusieurs fois dans la journée. Nous voulons aussi éviter de mettre les terroristes au même niveau que les victimes, dont nous diffusons des photos, comme celle du prêtre Jacques Hamel tué mardi à Saint-Etienne-du-Rouvray"
• Les chaînes de France Médias Monde (RFI, France 24 et Monte Carlo Doualiya) ont pour leur part précisé qu’elles ne montreraient plus les clichés des auteurs d’attentats et se montreraient " extrêmement parcimonieuses dans l’utilisation de leur nom ", indique lemonde.fr
D’où est parti le débat sur la publication ou non des identités et des photos des terroristes ?
Dès le départ, le groupe Etat islamique a montré sa maîtrise des réseaux sociaux, diffusant des images des djihadistes et leurs victimes sur Facebook, Twitter ou YouTube. C’était le cas dès août 2014, lorsque l’EI a décapité, à l’écran, plusieurs otages américains, dont le journaliste James Foley. Rapidement, les médias ont fait le choix quasi unanime de ne pas diffuser la vidéo. Depuis la violence des attaques, l'accumulation des morts, le sentiment que l'escalade meurtrière ne s'arrêtera plus, ont fini par changer les regards, les mentalités, les opinions, jusqu'à ce débat, qui a pris une nouvelle tournure avec l'assassinat d'un prêtre cette semaine.
Et nous, chez Imaz Press, on en pense quoi ?
Le sujet a été débattu au sein de la rédaction. La décision a été prise de continuer à publier les identités et les photos des auteurs des atttentats. Il s'agit à notre sens d'informations capitales que nous publions toujours lorsque des crimes sont commis. Dès lors, ne pas publier ces éléments reviendrait à dire que nous appliquons un traitement différencié aux auteurs de ces actes sanglants et donc, de fait, à accepter que l'Etat islamique influence notre ligne éditoriale. Il ne saurait en être question.
Certains lecteurs nous ont déjà fait part de leur avis sur notre positionnement, comme Albatros qui nous disait " vous faites le jeu des terroristes en publiant leur photos ou leurs vidéos!". Le débat, sur la Toile, comme sur notre site, reste ouvert.
www.ipreunion.com
Jérôme Fenoglio, le directeur du Monde, n'est pas le mieux placé pour donner des leçons de déontologie journalistique :
http://www.arretsurimages.net/breves/2016-07-28/Coalition-Ei-erreur-de-date-dans-un-edito-du-Monde-id20065
Nier le fait que les terroristes et leurs commanditaires recherchent avant tout la vitrine que leur offre complaisamment les médias, c'est faire preuve de mauvaise foi.
Bravo, ces fanatiques se demandaient qu'elle cible attaquer pour faire parler d'eux. Ils ont la liste de tous les journaux et en fonction des réponses ils ont le choix. Ils pourront attaquer parce qu'on parle d'eux en les traitant de criminels ordinaires ou parce qu'on ne veut plus parler d'eux. Mais tout le monde de la presse n'est pas Charlie. Ce n'est pas la peine de rêver. En tout cas je l'espère.
Tous les points de vue sont défendables.
Je suis pour garder la ligne éditoriale. On n'a pas à changer nos "comportements" devant les terroristes.
Mais cela devrait être réalisé depuis des lustres. Nous sommes dans une société qui deviens de plus en plus folle ,nous le savons! Mais je vous l'accorde en priorité c'est les djihadistes qui mettent le "bordel" mais ils ne sont pas les seuls.Alors si nous voulons avancer ne pas mettre en avant les extrémistes,les pervers ,les malades combien cherche a se mettre en avant par l'aboutissement d'une connerie! Pas de publicité mais des actes exemplaires de notre justice...peut être certains réfléchirons en deux fois!
Que cherche l'EI sinon la plus grande publicité sur ces crimes ?
Faire comme si ces terroristes étaient des criminels ordinaires fait montre d'une bien grande naïveté.
Aller interroger la famille, les voisins, les cagnards du quartier c'est juste pour faire du buzz.
Ces gens là diront de toutes façons qu'ils ne s'étaient aperçus de rien, même si c'est faux.
En attendant, sans s'en rendre compte, on glorifie les djihadistes.
Quand vous couperez le fil de la télé et des pleines pages de journaux, quand le fait terroriste sera juste relaté dans sa froideur et sans emphase ni pleurnicheries, quel sera l'intérêt médiatique de l'EI ?
Quand le djihadiste n'aura ni son nom, ni sa photo, ni son quartier mis en valeur, qu'il ne pourra pas craner devant ses potes même à titre posthume, quel intérêt aura-t'il ?