Un danger pour la sécurité de nos marmailles ? Un besoin pour pallier l'absence de personnel ? Alors que le manque de personnel dans la petite enfance se fait sentir, un arrêté publié le 4 août 2022 au Journal Officiel et entrant en vigueur le 31 août 2022, permet de recruter des personnes sans les qualifications jusqu'à présent requises. Ce texte prévoit "à titre exceptionnel et "dans un contexte local de pénurie" que "des dérogations aux conditions de diplôme ou d'expérience" puissent être accordées. Les professionnels du secteurs sont consternés (Photo rb/www.ipreunion.com)
C’est d’ailleurs l’empoisonnement mortel d’un bébé de 11 mois à Lyon en juin, qui a mis en lumière la situation critique dans ce secteur qui peine à susciter des vocations et à recruter. L’affaire avait particulièrement ému la France. Le mercredi 22 juin 2022, la petite fille décède, seulement quelques heures après que son père l’a déposée entre les mains d’une salarié de crèche. Une jeune femme non titulaire d’un diplôme d’État, seule. Agacée par les hurlements de l’enfant, elle a reconnu devant les enquêteurs l’avoir intoxiquée volontairement avec un produit chimique utilisé par déboucher les canalisations .
Ce drame fait écho à l’inquiétude des professionnels après l’autorisation de recrutement de personnels sans qualifications requises.
- Un arrêté qui consterne les professionnels -
Pour pallier le manque de personnel, ce jeudi 4 août un arrêté est donc paru au Journal officiel. Il autorise le recrutement des personnes sans les qualifications normalement requises pour travailler dans la petite enfance et notamment dans les crèches. Le texte entrera en vigueur ce mercredi.
Cette mesure fait grincer des dents les professionnels du secteur de la petite enfance. Le collectif "Pas de bébés à la consigne", rassemblant des syndicats et des organisations professionnelles du secteur de la petite enfance, attendait depuis plusieurs mois cet arrêté ministériel. "On savait qu’il allait tomber", déclare Émilie Philippe, membre du collectif. Elle ajoute, "la pénurie est telle que c’est la porte ouverte au recrutement à tour de bras pour diminuer les postes manquants".
Ce décret l'a consterne d’autant plus "que l’on va demander à des professionnels déjà fatigués et en sous-effectif de former des personnes qui ne sont pas du domaine". Des personnes, qui, au bout de seulement 120 heures de formation accélérée, seraient déclarées aptes à prendre en charge un groupe d’enfants au même titre qu’un professionnel.
Pour Émilie Philippe du collectif "Pas de bébés à la consigne", travailler avec des tout-petits ne s’improvise pas. "La formation est primordiale, elle permet de parler le même langage, le même vocabulaire." Pour elle, "cette possibilité de déroger à la liste des diplômes prévus et de faire appel à des personnes éloignées de l’emploi, a du sens certes, mais ce n’est pas compatible avec le fait de s’occuper d’enfants de moins de trois ans".
Travailler avec des enfants requiert de nombreuses compétences. Les premières étant de savoir s’en occuper, jouer, savoir quelles activités mettre en place, "en fait, tout ce que l’on peut amener à l’enfant pour qu’il puisse s’épanouir pleinement, créer une relation de confiance avec les parents", indique Émilie Philippe. "Cela demande de la disponibilité physique et psychique", ajoute-t-elle. Car travailler avec des bébés et enfants de moins de trois ans s’apprend, même si l’on est parent. "Il faut pouvoir gérer les interactions entre enfants, les moments où ils pleurent, les moments de colère", explique Émilie Philippe.
- La crainte d’un accueil au rabais -
L’arrêté provoque chez de nombreux professionnels la crainte d’un accueil au rabais. La mesure fait bondir Georgette Padavatan, directrice administrative et financière du centre multi accueil Poucelina II à Sainte-Clotilde. "Nous sommes contre cette nouvelle directive", s’insurge-t-elle.
Même indignation du côté de Cédrica Robert, directrice de la Micro-crèche Les Griboulles à Bras-Panon. "Dès qu’il est question de la garde de son enfant, on touche à un sujet sensible et compliqué", dit-elle. "Les parents quand ils confient leur enfant dans une structure ce n'est pas sans a priori. Ils ont besoin d'être écoutés, accompagnés, rassurés. Il faut qu'ils soient certains que leur enfant soit bien en charge dans un environnement serein, avec de la bienveillance et bien entendu encadré" détaille la professinnelle.
Cédrica Robert note aussi, "il y a des fondamentaux à connaître sur le développement de l'enfant, tel que sur le sommeil, l'apprentissage de la marche". Elle ajoute, "accompagner l'enfant nécessite pas mal de compétences, on ne devient pas professionnel de la petite enfance du jour au lendemain. Il faut un minimum de connaissances."
Pour la gestionnaire de la Micro-crèche Les Griboulles, "il faudrait peut-être valoriser et accompagner les diplômés en proposant des formations ou autres, car comme dans tout corps de métier, il y a une constante évolution sur les techniques et méthodes d'accueil et d'accompagnement". Selon elle, "des personnes non qualifiées auront du mal à répondre aux angoisses des parents et dans l'accompagnement du développement personnel et l'encadrement de l'enfant."
Pour Marie-Hélène, ancienne directrice de crèche et infirmière puéricultrice, "la qualité de la prise en soins des jeunes enfants va en pâtir". Selon elle, cet arrêté "est une décision de gestionnaire qui ne tient pas en compte les besoins fondamentaux du jeune enfant". Elle ajoute, "pour moi c’est grave, les parents devraient se mobiliser et refuser, il faut un minimum de personnel formé et expérimenté".
Marie-Hélène explique que, "pour un développement harmonieux, le jeune enfant a besoin que l’on respecte son rythme et ses besoins". Avant d’ajouter, "ce n’est pas à lui de s’adapter à une organisation souvent pas dans la bientraitance". "Mais pour économiser on brade cela", s’insurge-t-elle.
Ce que demande l’infirmière puéricultrice, "c’est plus de formations pour éviter ces embauches qui sont un risque pour les enfants". Car ces personnes non formées "ne sauront pas mettre en sécurité les enfants, anticiper l’organisation, voir des signes de fièvre…". L’ancienne directrice le sait, "je connais, j’ai été à la tête d’une crèche et avec du personnel qualifié et des filles peu formées et on voit la différence".
Émilie Philippe indique quant à elle que le fait d’engager des personnes non qualifiées n’est pas une bonne chose. Ce qu’elle craint par-dessus tout, c’est la survenu d’un drame. "Le pire pourrait être un geste maltraitant, une parole violente, car ces personnes ne sont pas formées quand un bébé pleure sans arrêt." "Quand on passe une journée dans la section, les enfants pleurent, griffent, mordent et cela demande un certain self-contrôle et ne s’improvise pas", ajoute l’éducatrice.
- La petite enfance, un secteur sous tension –
Selon une enquête de la CAF publiée début juillet, 48,6 % des établissements des 8.000 établissements répondants déclarent un manque de personnel auprès des enfants. À La Réunion, ce manque est également présent. Selon les données de l’INSEE, il manquerait 13,6 Etp (l’Etp étant une mesure proportionnelle au nombre d'heures travaillées par un salarié).
En effet, on le sait bien, obtenir une place en crèche est particulièrement difficile. À La Réunion, selon la CAF, il manquerait 3.000 places dans un département qui compte 7.334 places au sein de 346 établissements d’accueil de jeunes enfants.
La pénurie de professionnels est réelle dans ce secteur. "Elle est même passée au stade d’alerte depuis quelques année", déplore Émilie Philippe. "Dans quasiment toutes les villes ont réduit les amplitudes horaires, on ferme des places car il n’y a pas assez de professionnels" dit-elle. "Certaines crèches ferment pour combler les postes manquants". Pour elle, "cela aurait du sens d’améliorer la situation actuelle de manière importante et de ne pas juste se contenter de mettre des rustines" ajoute la professionnelle.
Émilie Philippe explique cette pénurie par le fait qu’il y a moins de professionnels qui sortent de formation. Elle avance une explication à cet état de fait,"le métier est moins attractif, travailler avec des groupes d’enfants dans le bruit, les efforts physiques, le salaire au Smic, le manque de reconnaissance", sont des facteurs qui font que ce secteur n’attire plus.
"C'est pourtant un très beau métier", commente Émilie Philippe. Travailler avec ces enfants est valorisant, "il y a l’émotion, la spontanéité, la chaleur, la confiance avec les parents, que demander de plus ?" termine-t-elle
ma.m/www/ipreunion.fr/redac@ipreunion.com
Cette loi fait trembler car elles sont un outils pervers dans les mains de personnes qui creent des micros crèches comme un business comme un autre pour faire du fric. Pourquoi ne trouvent ils pas de personnel, parceque les conditions de travail sont épouvantables dans ces structures et que les professionnels sont payés à coup de lance pierre. Il faut que les parents jouent leur rôle de régulateur et exigent de voir les diplômes des personnels avant de confier leurs enfants. Après tout ce sont eux les usagers qui permettent aux structures d'exister.