Insécurité alimentaire

Madagascar : quand la guerre des huiles produit une pénurie artificielle

  • Publié le 26 septembre 2023 à 13:49
  • Actualisé le 26 septembre 2023 à 14:49
huile dans les restaurations

L'insécurité alimentaire qui affecte Madagascar avec sa litanie de pénuries en denrées alimentaires vitales, riz, farine, huiles, découle d’abus de position dominante qui favorisent la spéculation et limitent l'offre sur le marché local, tant au niveau de la production agricole, que des importations, sur fond de corruption généralisée. (Photo photo RB imazpress)

Le marché de l'huile alimentaire illustre la chose, avec le monopole de l'Huilerie industrielle de Tamatave (Hita), qui a succédé, dès 2009, à celui du Groupe Tiko. Hita, promue au rang d'importateur et raffineur "officiel", a bénéficié d'une exonération - légale -, totale des taxes et droits liés aux importations. Cela alors que ses éventuels concurrents devaient acquitter, 5% de droits sur les importations d'huiles brutes, 20% sur les huiles raffinées sans oublier 20% supplémentaires de TVA.

Hita truste de 60 à 70% des ventes sur le marché malgache, s'imposant comme le seul importateur financièrement crédible. En juillet 2013, déjà, sur la base d’une analyse de "Bellmon Estimation Studies"USAID (Agence des États-Unis pour le développement international) s’opposait à la monétisation des achats d’huile de soja brute et dégommée par les donateurs via HITA.

Une décision motivée par le faire que le statut fiscal privilégié de Hita lui permettait d’exclure ses concurrents du marché.

C’est pourtant le gouvernement malgache qui a aggravé la situation en 2023 en augmentant de 30 à 40 % les taxes à l’import sur les huiles raffinées, sous prétexte de protéger l’industrie locale, et donc Hita dans sa position monopolistique.

Conséquences de ces abus : 80% des Malgaches sont contraints de se fournir en huiles artisanales, peu ou mal raffinées, souvent toxiques, faute de pouvoir d'achat.

Pour mémoire, la mortalité infantile s’élève à 66/1000 à Madagascar ; soit 66 enfants sur 1000 qui ne dépassent pas l’âge de 5 ans, contre 4/1000 en France. Dans le même temps, 81,6% de la population vit en dessous du seuil international de pauvreté de 2,15 dollars US par jour.

A titre indicatif, quand salaire il y a, il est d'une minimum brut mensuel de 250.000 ariary, soit 52 euros. Un chiffre à mettre en parallèle avec les 25 euros que coûte un jerrican d'huile

- La Jirama refusait de raccorder la raffinerie au réseau électrique -

Selon le bilan d’activité du ministère de l’Industrialisation, du Commerce et de la Consommation (fin décembre 2022), en matière d'huiles, il manquait 60 millions de litres pour subvenir aux besoins de la population et les importations plafonnaient à environ 10 millions de litres.

Mais si le gouvernement s'est résolu à imputer un taux de 0% sur l'importation des huiles brutes, il apparaît que des stratégies opaques d'élimination de la concurrence persistent, ce qui entretiennent des prix élevés et donc des pénuries.

La raffinerie d'huile de palme DMC, en est victime, construite en 2017, avec une capacité de production de 500 tonnes d'huile par jour, soit l'équivalent de 27.000 jerricans, elle n'a pu entrer en production avant 2019.

La Jirama refusait en effet, de raccorder le site industriel à son réseau électrique. DMC a donc tiré 18 kilomètres de lignes entre Mahajanga et son implantation, apportant l'électricité à des centaines de familles qui n’y avaient pas accès.

Un nouveau courrier ministériel d'autorisation de raffinage d’huile alimentaire est finalement intervenu le 15 juillet 2021, situation économique, politique, et pénuries rendant la chose incontournable.

- De zélés agents du Service de lutte contre la fraude -

En 2021, DMC a procédé à une première importation d'huile de palme brute en provenance de Malaisie. le ministère de la Santé ayant délivré trois certificats confirmant la non consommabilité du produit, cette marchandise a été livrée dans de bonnes conditions sur le port de Mahajanga.

En 2022, DMC a importé 3.000 tonnes d'huile brute de palme via son fournisseur, Louis Dreyfus Company Asia Pte. LTD, un groupe français basé à Singapour et géant du négoce des matières premières.

Expédiée le 21 août 2022, la cargaison a voyagé dotée des pièces du fournisseur authentifiant sa nature de "crude palm olein" (oléine de palme brute, la fraction liquide de l'huile de palme)

Le fournisseur a transmis aux banques les factures, le connaissement (reçu de marchandises expédiées par mer), le bordereau de suivi des cargaisons (BSC) et le certificat délivré par Intertek (référence ITSSD/V3130/2022), une entreprise internationale d'inspection, de test physique et de certification, basée à Londres

Après vérification de la conformité des documents, les banques SBM de Madagascar, BOA Madagascar et BFV SG, ont payé la lettre de crédit. La marchandise leur appartient donc jusqu’à achèvement de la transaction.

Mais le 25 octobre 2022, sur délation, avant même le dépotage, des agents du Service de lutte contre la fraude (SLF) ont investi le bateau sous prétexte de "vérification" de la cargaison. Ils ont prélevé des échantillons d'huile ensuite scellés dans les locaux de DMC.

- Une procédure stigmatisée -

Le SLF a expédié de présumés échantillons à l'Agence de contrôle de la sécurité sanitaire et de la qualité des denrées alimentaires (ACSQDA), sans convoquer les responsables de la société DMC à assister à leur remise. Il est ensuite apparu que les contenants fournis n'étaient pas ceux qui avaient été scellés.

En effet, les résultats de l'analyse présentés par les douaniers différaient de ceux du fournisseur, Louis Dreyfus, et correspondraient prétendument à des huiles raffinées.

Au cours de l’enquête, le directeur de l'ACSQDA a stigmatisé l’irrégularité de la procédure, déclarant : "la douane n'a pas remis à l'Agence de contrôle de document officiel sur l'analyse de ces échantillons d'huile…"

L'agence a refusé de garantir la provenance du prélèvement et la validité des analyses obtenues. Le Service des douanes cornaqué par le SLF, a saisi la cargaison, engagé une procédure pénale éclair, éludé la commission d’expertise et de conciliation douanière (CCED), et poursuivi la gérante de la société DMC, le responsable du transitaire, Seal, pour "fausse déclaration en douane".

Or ni l’une ni l’autre ne disposait de pièces permettant la commission du délit.

- Quatre certifications indépendantes contraires aux résultats des Douanes -

Deux particuliers, Gokani Damodar Baskar et son épouse Minaxi Damodar Baskar, ont également été poursuivis. Pourtant, ils n'ont plus rien à voir avec la société Bidco qu'ils avaient créée 10 ans plus tôt. Ils ont cédé l'intégralité des parts, en 2014, d’où le changement de nom de la société Bidco en DMC Industries SARLU intervenu en 2021.

L’un et l’autre ne sont ni actionnaire ni dirigeant de la personne morale DMC Industries.

Le tribunal de première instance (TPI) d'Antananarivo, à la demande la société importatrice, a ordonné un prélèvement sur la cargaison, suivi d'une analyse, à fins de contre-expertise.

L’Institut Pasteur de Madagascar (IPM) a été retenu pour faire ces analyses. Toutes les parties concernées par le prélèvement des échantillons ont été convoquées. Seul le service des douanes a fait défaut. L’échantillon qui a alors été prélevé sous contrôle d'huissier, a été envoyé directement à l’IPM.

Les résultats ont disqualifié les échantillons douteux présentés par les Douanes ; confirmé l'analyse d'Intertek Group. Ils ont ausi démontré scientifiquement que le taux d'acide contenu dans les échantillons soumis à analyse par IPM, 2,66mg/2,80 mg/2,94 mg, correspondait bien à une huile brute.

Le 21 février dernier, le TPI d’Antananarivo, a fait droit aux analyses présentées par DMC et reconnu le fait que la cargaison mise en cause était bien constituée d'huile brute de palme. Il a débouté les Douanes des poursuites engagées contre les prévenus, prononcé la main levée de la saisie des Douane, autorisé DMC à raffiner les huiles, et ordonné l'exécution provisoire du jugement.

DMC a saisi la société générale de certification (SGS) qui a confié au Comité français d'accréditation (COFRAC) le soin de procéder à une nouvelle batterie d'analyses sur les huiles en question.

Les résultats sont similaires à ceux d’Intertek Group et de l’IPM. Quatre certifications indépendantes contredisent les résultats- produits par les Douanes.

Mais, le 4 août dernier, la Cour d'appel d'Antananarivo saisie par l’administration des Douanes, s’est bornée à infirmer le jugement de première instance, reconduisant l'intégralité des charges imputées aux justiciables, sur la foi de "documents" produits par les douaniers, sans même prendre en considération les faits et pièces des défendeurs, analyses des huiles y compris.

Les justiciables menacés de contrainte par corps, ont écopé d'un an de prison ferme, d'une amende  faramineuse (en ariary) d’un montant de 18.791.339,11 euros soit cinq fois que la valeur des marchandises, le tout agrémentée de 324.259 euros à payer au titre des droits et taxes prétendument compromis.

La marchandise fait l'objet d'une mesure de confiscation au profit des... Douanes.

Il s’agit en fait de pousser DMC à la liquidation, soulignent plusieurs observateurs. L'affaire a été soumise à la Cour de Cassation.

Depuis le 25 octobre 2022, l'outil industriel ultramoderne dans lequel DMC a investi des dizaines de milliards, qui employait initialement 1000 personnes et nourrissait autant de familles, se trouve à l'arrêt et ne compte plus que 100 salariés.

Quant aux prix de l’huile alimentaire, ils repartent à la hausse.

plc/www.imazpress.com / [email protected]


 

guest
4 Commentaires
Ded
Ded
2 ans

Il suffirait de donner les noms de tous les actionnaires réels de ces sociétés...les patrons ne sont souvent que des hommes de paille!

Zoubery
Zoubery
2 ans

Article totalement a charge. Pas sérieux. Avis de HITA non demandé. Quels sont les actionnaires de DMC ?

Zoubery
Zoubery
2 ans

Article a charge. Pas un travail sérieux de journalistes sérieux

Dumas
Dumas
2 ans

Oui c est bien comme ça que ça ce passe ici
Bon courage à dmc